Les Carnets Vanteaux avec l’atelier Microfictions
animé par Milena Mikhaïlova MakariusConsigne : réécriture de la microfiction « Lexomil » de Régis Jauffret, (Microfictions, éd. Gallimard, 2007, Folio, p. 565) dont voici le début et la fin :
— Je suis une femme qui ne dort pas souvent.
Ma fille vient d’avoir dix-huit ans. Je me dois d’entrer plusieurs fois chaque nuit dans sa chambre pour surveiller son sommeil. Quand je la sens nerveuse, je m’allonge à côté d’elle jusqu’au matin. J’ai toujours peur qu’elle prenne peur dans un rêve, et se réveille après avoir fait une chute du haut de la statue équestre qui est en face de chez nous…
(…)
Bientôt elle ne quittera plus son lit. Je la nourrirai à la cuillère, et je m’occuperai à nouveau d’elle comme d’un bébé.
Le cauchemar de mille nuits
Par Léa Onfray
Je ne dors jamais sans rêver.
Aujourd’hui une figure sombre aux mains griffues me poursuit après que j’ai échappé à sa surveillance. J’étouffe comme dans un oeuf et je me sens déboussolée. Dans cette fournaise intemporelle, ma peau moite colle à ma robe alors que je m’engouffre dans le couloir à la lumière verte. La porte d’entrée est bloquée, les vitres fermées et la moquette au sol compresse le bruit de mes pas.
Mes jambes sont cotonneuses, parvenant à peine à soutenir mon poids et mes oreilles bourdonnent au rythme de ma respiration incertaine. L’ombre, toujours lancée à ma poursuite, grogne et gémit comme un animal blessé puis pousse un cri, révélant son visage tordu d’une douleur intérieure qui semble la déchirer. Elle me rappelle ma mère, une copie pantomimique décalée, à mille lieues de la femme aimante que j’ai connue dans ma jeunesse. L’ombre est un monstre égoïste, une abomination, une tortionnaire effrayante, un cauchemar. Mon cauchemar qui m’empoisonne et m’emprisonne dans une cage abstraite.
“C’est pour ton bien, je sais ce qui est mieux pour toi. Les autres m’ont tourné le dos mais toi tu ne ferais jamais ça, n’est-ce pas ? Ils en feront de même avec toi, tu sais ? Il n’y a que moi qui t’aime. Maman te protège. Papa est parti, et les autres aussi.”
Une poigne se resserre sur mon bras et tandis que je tente de m’y soustraire, je croise le regard de la créature. Des yeux noirs familiers qui me renvoient mon reflet émacié et témoignent de sa vile folie. Tout à coup la scène se détache de moi et je deviens alors spectatrice de cette tragédie, de ma vie qui, dans ce mauvais rêve, n’a ni futur ni présent. Même la piqûre sur mon bras n’y change rien.
Un souffle chaud dans ma nuque puis plus rien, je ne ressens plus rien.
L’horloge murale affiche l’heure : presque minuit. Deux bras me traînent jusqu’à ma chambre, il est l’heure d’aller dormir.