La consigne : Seul entouré de chiens qui mordent (titre du recueil de David Thomas, Editions de l’Olivier, 2021)
« Eh ! Eh ! Est-ce que vous m’entendez ? Il y a quelqu’un ? Aidez-moi, je vous en prie !
– Oui, Madame, je vous entends. Savez-vous pourquoi vous êtes ici ?
– Non, aidez-moi, sortez-moi de là ! Mais… Je… Je suis dans une cage… Avec… Avec des chiens ? Mais pourquoi ? Pourquoi m’avez-vous enfermée ici ? Vous allez me torturer, c’est bien cela ?
– Silence ! Taisez-vous donc, vous allez les réveiller !
– Aïe ! Mais faites quelque chose ! Je viens de me faire mordre !
– Oui, c’est la Peur. Vous venez de la réveiller à force de crier comme si on essayait de vous égorger ! La Peur ! Couchée ! Non ! Couchée, pas bouger. C’est bien, bon chien ! Reste aux pieds de la dame.
– Pourquoi suis-je ici ?
– Dites-moi, chère Madame, vous vous souvenez de ce que vous avez fait, non ? Vous ne pensiez tout de même pas que l’on allait vous laisser vous en sortir comme cela ?
– Ce que j’ai fait ? Mais… Je n’ai rien fait du tout ! C’est lui qui… Il n’arrêtait pas d’appeler alors j’ai… J’ai fini pas décrocher…
– Personne ne vous a obligé à décrocher. Eh ! Le Déni ! Au pied !
– Mais… Je me suis dit qu’il devait être inquiet ! Je voulais simplement le rassurer, lui dire que j’arrivais, que… tout allait bien ! Je voulais lui dire de ne pas laisser les clefs sur la porte… et…
– Et vous n’êtes jamais rentrée.
– Non, je… Je lui parlais, et d’un seul coup…
– Vous n’aviez pas vu que le feu était rouge.
– Est-ce que je suis… morte ? Aïe ! Mais enfin ! Vos chiens me mordent ! Sortez-moi de là !
– Ce n’est rien, c’est seulement la Tristesse. Elle a de grandes dents pointues mais rassurez-vous, ce n’est pas la plus dangereuse. La Tristesse ! Couchée ! Allons, arrête d’embêter la dame !
– Je vous en prie, laissez-moi sortir, mes parents doivent être inquiets.
– Oh que oui, ils le sont ! Il fallait y penser avant, ma chère.
– Aïe ! Aïe ! Au secours ! Au secours !
– Ah… Celui-ci fait mal, n’est-ce pas ? C’est la Culpabilité. Elle risque de vous mordre pendant longtemps.
– Et elle, vous ne lui demandez pas de se coucher ?
– Non. J’aime qu’elle vous morde, vous le méritez.
– Aïe ! Mais Enfin ! C’est affreux ! Sortez-moi de là ! SORTEZ-MOI DE LA, ETES-VOUS SOURD ?
– Calmez-vous, vous allez réveiller la Colère !
– Aïe !
– Ben voilà que cela est fait.
– Je suis en enfer, c’est cela ? Vous ne m’enverrez pas au Paradis ?
– Si… Rassurez-vous… Mais avant, je compte vous garder ici un moment. Mes chiens ont faim, vous comprenez ?
– Au Paradis, je reverrai ma grand-mère, mon petit lapin Poupouille et… ma meilleure amie, Clara ! Ils y sont, n’est-ce pas ? Oh que j’aimerais les retrouver ! Ah ! Je vous en prie, laissez-moi les voir !
– Mais… L’Euphorie, que fais-tu ici ? Je t’ai déjà dit de ne pas entrer dans la cage… Bon, pour cette fois, je vais faire comme si de rien n’était, allons, couchée !
– Aïe ! Mais, que se passe-t-il encore ?
– Ah… Je crains qu’une mauvaise nouvelle arrive…
– Mais… Aïe ! Aïe !
– Vous allez rester ici un moment ma chère. La Frustration vient d’arriver.
– Aïe ! Mais que dois-je faire ?
– La Frustration déteste être rejetée. Caressez-là, laissez là venir près de vous. Laissez la Colère et la Culpabilité venir avec elle, la Frustration ne reste jamais seule.
– Aïe ! Mais ils me font mal !
– Plus vous vous agiterez, plus ils continueront de vous mordre !
– Aïe ! D’accord je… Je vais les accepter… Mais si vous saviez à quel point c’est douloureux !
– Leurs crocs sont puissants ! Mais vous verrez, les blessures cicatrisent vite. Sauf…
– Sauf quoi ? Dites ! Dites !
– Sauf celles de la Culpabilité. Les plaies ne se referment jamais, et si, par malheur, elles commencent à cicatriser, l’Angoisse viendra y poser sa langue râpeuse pour les faire saigner de nouveau.
– Mais c’est affreux !
– Hélas, oui.
– J’entends un autre chien aboyer depuis tout à l’heure ! Est-ce l’Angoisse ?
– Ah non ! L’Angoisse ne mord qu’au niveau de l’abdomen. Elle provoque une sensation de malaise d’un seul coup sans que vous ne sachiez quoi faire ! Vous vous sentez en danger sans forcément qu’il y ait de raison et ses morsures ont pour effets secondaires une sensation de mal-être, comme si quelque chose bouillonnait dans votre ventre et… vous avez des palpitations, des bouffées de chaleur, ce n’est pas agréable du tout !
– Ah non effectivement, ce n’est pas l’Angoisse. Non, je dirais que la manière dont ce chien aboie n’est pas désagréable… Regardez, la Peur ne s’en est même pas rendu compte.
– Oh mais oui ! Je l’entends aussi ! C’est… C’est le Pardon ! Mais… Que veut-il ? Ah ! Le Pardon a une nouvelle importante pour vous.
– Est-ce que je devrais… me pardonner ?
– Oui. Mais pour cela, il vous faudra revenir sur Terre. Croyez-moi, ce ne sera pas une partie de plaisir. Vous vous réveillerez d’un coma interminable, et vous aurez perdu l’usage de vos jambes.
– Mais enfin, non ! Je ne me pardonnerai jamais ! Regardez ce que la Culpabilité m’a fait ! Elle m’a mordue jusqu’au sang !
– Eh bien, vous préférez rester ici ? Très bien. L’Angoisse ? Le Manque ? Le Malaise ? Le Rejet ? L’Epuisement ? Le Déni ? La Souffrance ? L’Anxiété ? La Haine ? La Fierté ? La Honte ? La Peine ? Allez-y, attaquez ! Tous en même temps ! Ah, il nous faudra peut-être l’Euphorie pour gérer l’anxiété, elle ne se nourrit que de rires nerveux !
– Non, non ! D’accord. J’aimerais répondre au Pardon. J’accepte de revenir, j’accepte, je vais me pardonner ! Je vais me pardonner !
– Fantastique !
– Mais comment puis-je soulager mes blessures, pour que le Pardon accepte de rester auprès de moi ?
– Apprenez de vos erreurs ! Acceptez-les et assumez-les !
– Je devrais accepter mes blessures ?
– Oui, elles font partie de vous désormais. Mes chiens ne sont pas si méchants, vous voyez ? Essayez de les comprendre, de savoir ce qui les nourrit, arrêtez de vous comporter de manière violente avec eux. Tenez, la Tolérance vous accompagnera durant ce retour sur Terre, elle devrait vous aider à vous respecter, à accepter vos blessures, à vous pardonner.
La Tolérance ? Non, Madame, attendez ne partez pas tout de suite ! La Tolérance ?
Oh non… Cela est bien triste. Voilà que la Dépression a pris la place de la tolérance. Et cette jeune fille ne s’en est même pas aperçu ! Triste monde ! Tant pis, espérons qu’elle ne revienne pas trop vite… Candidat suivant ? Candidat suivant !
Oui ? Mais qui me parle donc ? Je… Je cherche l’enfer, c’est bien par-là ?
Ah un suicide ! Mais dites-moi, cher Monsieur, vous n’êtes pas celui qui a appelé la dame qui était là juste avant vous ? C’est vous qui l’appeliez pendant qu’elle était sur la route ? C’est vous qui l’avez envoyée dans le coma ? Mais que vous êtes sot ! Elle vient tout juste de revenir à la vie !
La Poisse ? La Poisse, aux pieds ! Debout ! Attaque !