Entrée en français dans l’univers d’un auteur malgache historique.
Elle : « Je ne t’aime plus ». Lui, réincarnation de l’Autre : « Je connais le tombeau de celui que tu as aimé ». Enigme et sentiments. Lisy et Lala gèreront leur amour au forceps, dans la dureté de la forêt profonde, celle des insurgés de 47, près de Moramanga, jusqu’au coup de théâtre final.
Otages involontaires de l’histoire, confinés malgré eux, avec la troupe de l’insurgé Marolahy. Lui, médecin malgré lui, qui amputera un jeune combattant, accouchera une femme vazaha (Blanche), fuira devant les Sénégalais, assistera impuissant aux bombardements et mitraillages aériens des villages, verra incrédule l’ombiasy dont la médecine transforme en eau les balles des militaires et miliciens blancs. Elle, la foi intense pour viatique, l’amour ancien entretenu et sublimé, elle « qui rend des baisers pleins de prières là où lui rend des baisers pleins de désirs ». Lui qui sait de toute éternité que « l’amour c’est comme les allumettes : toutes enflammées d’un coup elles risquent de brûler la boîte et de ne laisser que des cendres. »
« Roman d’aventure à l’eau de rose », comme l’a qualifié un critique malgache ? Roman d’amour évidemment, dans une atmosphère parfois irréelle et presque énigmatique, une atmosphère de « presque-songes », humblement servie par la traduction de Johary Ravaloson . Mais aussi roman d’aventures. Témoignage d’histoire rebelle vécue, naturellement, avec ses horreurs ordinaires, ses traîtrises, mais aussi ses amitiés inattendues entre « ennemis », son unité des Malgaches sans distinction de cheveux, avant la dilution du « vivre ensemble », car celui-ci est « comme le tissu du raphia ; quand il est neuf on ne peut éviter les frottements ; quand il est vieux, on ne peut empêcher qu’il s’effrite »
Dans le même livre encore, une réflexion philosophique et religieuse incarnée, sur la question du mal, celle de la vengeance, l’inanité ou la pertinence des religions importées…
Ah oui, il eût été affligeant que ce livre-là ne fût pas traduit, offert aux non locuteurs du malgache, alors qu’Emilson Daniel Andriamalala (1918-1979), considéré comme le père du réalisme malgache, a écrit dix-huit livres reconnus comme majeurs dès son vivant. « C’est l’auteur malgache le plus moderne, celui qui a déconstruit les récits, qui a fait des mises en abyme des récits », commente Michèle Rakotoson. Celui qui en a fait objet de thèse, le professeur William Ratrema, le qualifie d’écrivain « à la charnière de deux mondes »
Comme son essai Ny Fanagasiana (« La malgachisation »), trois de ses livres, Ny Fofombadiko (« Ma promise »), Hetraketraka (« La violence »), et Ilay Vohitry ny Nofy (« La colline des rêves »), souvent primés, figurent au programme de l’enseignement général à Madagascar.
Andriamalala mène sa quête d’amour, dans toute son œuvre, jusqu’à chérir une extra-terrestre ! Il est aussi en quête de Madagascar, de sa vérité, de sa langue pure et inventive, qui est pour lui un enjeu identitaire et une œuvre politique. C’est heureux qu’il puisse enfin être apprécié bien au-delà des lecteurs malgaches. On attend d’autres traductions. Elles sont en route, semble-t-il, à l’occasion du centenaire de sa naissance. On s’en réjouit.
Emilson Daniel ANDRIAMALALA, Ma promise, roman de 1954, traduction de Johary Ravaloson, Editions Dodo Vole, La Réunion, avril 2020, 204 pages, 10 euros, https://dodovole.blogspot.com/