La Côte d’Ivoire a vécu, en octobre 2015, une élection déterminante pour la réconciliation nationale, après la grave crise post-électorale de 2010-2011, parenthèse sanglante d’une décennie de conflit politico-militaire. Pour ce grand rendez-vous, le parti au pouvoir et l’opposition ont affûté leurs atouts et leurs arguments politiques pour la campagne présidentielle, mais sous le signe de la méfiance réciproque dans un climat de dialogue sans confiance.
POLITIQUE
« La Côte d’Ivoire a retrouvé la paix et la stabilité ». Ainsi se réjouissait à l’Hôtel Ivoire (Abidjan-Cocody), le 10 juillet 2015, Donald Kaberuka, président sortant de la Banque Africaine de Développement. Certes, les dizaines de milliers d’armes laissés entre les mains des ex-combattants, la terreur que sèment les jeunes délinquants appelés les « microbes » et le phénomène des coupeurs de routes constituent parfois des facteurs de perturbations sociales. Mais une chose demeure certaine : le gouvernement et les forces de sécurité n’ont pas ménagé d’effort au cours des dernières années pour combattre les poches résiduelles d’insécurité. Au nom de la paix et de la stabilité. Si bien que l’indice de sécurité est passé de 3,8 en janvier 2012 à 1,4 aujourd’hui, selon Paul Koffi Koffi, ministre chargé de la Défense. Pour prévenir les risques de violence sociale, le gouvernement est parvenu à assurer la réinsertion de 55 000 ex-combattants, sur 64 000, « soit un taux concluant de 85 % », s’est félicité Bruno Koné, porte-parole du gouvernement. Une autre mesure de décrispation sociale a été l’inculpation d’importants ex-chefs rebelles pour crimes commis pendant la crise post-électorale de 2010-2011. Il s’agit de Cherif Ousmane et Losseni Fofana, deux anciens com’zones.
- L’ombre de Laurent Gbagbo plane toujours sur la vie politique ivoirienne (Flickr - clara sanchiz)
Pour la Fédération des Droits de l’Homme, ces inculpations représentent « le rééquilibrage des poursuites », alors que pour l’opposition, elles constituent un pas dans la lutte contre l’impunité et la fameuse justice des vainqueurs. Pendant ce temps, les victimes de la crise post-électorale, bien qu’ayant été indemnisées par le gouvernement ivoirien, continuent de protester pour que Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé soient jugés, puis condamnés par la justice internationale pour « crimes contre l’humanité ». La même accusation pèse contre Simone Gbagbo, l’épouse de l’ex-président ivoirien, qui est également réclamée par la Cour Pénale Internationale, même si elle a écopé de 20 ans d’emprisonnement à la fin de son procès en Côte d’Ivoire. Les autorités ivoiriennes refusent cependant de satisfaire la demande de transfèrement de Simone Gbagbo à La Haye. Mais la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, maintient la pression et annonce, par ailleurs, que les investigations dans le camp Ouattara vont s’intensifier à propos des violences postélectorales. En attendant, les procès de Laurent Gbagbo et de son co-accusé Blé Goudé ont été fixés au 10 novembre prochain…
- Le président Alassane Ouattara remet son titre en jeu ! (Page FB de Alassane Ouattara)
Pendant ce temps, les partis politiques se préparent pour le scrutin présidentiel prévu pour le 25 octobre 2015, selon la Commission Electorale Indépendante. En course pour un second mandat, Ouattara a été officiellement investi le samedi 25 avril 2015 comme le candidat de la coalition réunie au sein du Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP). Il a bénéficié de coups de pousse majeur de la part d’Henri Konan Bédié, grâce surtout à l’appel de Daoukro par lequel celui-ci a exhorté les membres et militants du PDCI à accepter la candidature unique d’Alassane Ouattara.
Qualifié d’« appel de raison, de cœur », par le président Bédié du PDCI, l’appel en question n’a pourtant pas fait l’unanimité au sein de son parti. Puisque des « irréductibles » comme Charles Konan Banny, Essy Amara et Konan Kouadio Bertin ont décidé de se rallier au sein d’une coalition avec des membres de LIDER (Mamadou Koulibaly) et du FPI (faction Abou Drahamane Sangaré), en créant officiellement la Coalition Nationale pour le Changement (CNC), le 15 mai 2015. Mamadou Koulibaly et KKB se sont déjà déclarés candidats pour la présidentielle. Pascal Affi NGuessan, président légal et officiel du FPI, a lui aussi été investi candidat de ce parti, au grand dam du camp « Gbagbo ou rien » qui conteste sa légitimité. Lui et ses partisans ambitionnent de « battre le Président Ouattara, d’assurer la restauration de la paix et de la réconciliation véritables en Côte d’Ivoire, tout en mettant un point d’honneur sur la libération de Laurent Gbagbo ».
Mais il faut reconnaître que face à Ouattara, l’opposition ivoirienne reste profondément divisée. Le président saura-t-il tirer profit de cette division pour se faire élire dès le premier tour des élections* ? Pour l’heure, il compte sur une carte non secrète : miser sur les efforts consentis par son gouvernement pour améliorer le quotidien de ses concitoyens. La réussite de cette élection présidentielle est cruciale pour l’avenir de la Côte d’Ivoire, comme en témoignent ces propos de la sous-secrétaire d’État adjointe aux Affaires de l’Afrique de l’Ouest, du département d’État américain, Bisa Williams : « Nous sommes convaincus qu’une élection réussie contribuera grandement à permettre à ce pays de retrouver sa place traditionnelle de locomotive dans la sous-région et de réaliser son objectif de devenir une démocratie forte et dynamique et de se vanter d’une économie émergente d’ici à 2020 ».
* Le président Alassane Ouattara, 73 ans, a été réélu dès le premier tour de l’élection présidentielle du 25 octobre 2015, avec 83,66% des voix, pour un mandat de 5 ans.
- Une politique de grands travaux qui ne satisfait pas tout le monde (Flickr - Maxence)
ÉCONOMIE - SOCIÉTÉ
« Si, en 2010, notre programme a parlé au cœur des Ivoiriens, nous sommes convaincus qu’en 2015, ce sont nos actions qui parleront pour nous ». Ainsi s’exprimait le Prado (président Ado) au cours d’un grand meeting tenu le 25 avril 2015 au stade Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan. La célébration des 55 ans d’indépendance de la Côte d’Ivoire fut aussi bien pour le chef de l’État que pour ses supporters de rappeler, dans un bilan élogieux, les actions menées en moins de cinq ans par le gouvernement du Premier ministre Kablan Duncan. Pour étayer leurs propos, ils mettent en avant les nombreuses infrastructures réalisées à travers le pays et toutes « les avancées socio-économiques qui ont permis à la Côte d’Ivoire d’être créditée de bonnes notes par les institutions financières internationales ». C’est le cas du ministre Joël NGuessan qui, tirant les leçons d’une fin d’année 2014, ne manqua pas souligner, entre autres, que c’est le président Ado qui a restauré nos universités (Abidjan, Bouaké, Korhogo et Daloa), doté Abidjan de son 3e pont (en l’honneur de Bédié) après plus de 50 ans, achevé l’autoroute Abidjan-Yamoussoukro, construit l’échangeur de la Riviera, puis équipé ou réhabilité des milliers de centres de santé (parmi lesquels se trouvent les hôpitaux généraux de Gagnoa ou d’Adjamé, et les centres hospitaliers universitaires)…
- Destination incontournable ! (Flickr - maxence)
Au nombre de ces réalisations effectuées dans l’intérêt supérieur de la nation ivoire, les membres du gouvernement ne manquent pas non plus de rappeler la construction de logements sociaux, la mise en place de la couverture maladie universelle, la création d’un million d’emplois pour les jeunes, l’adoption du projet d’école obligatoire pour les enfants de 6 à 16 ans dès la rentrée 2015-2016, sans oublier la revalorisation du salaire des fonctionnaires et l’amélioration du revenu des paysans. Au vu de ce bilan reluisant, le chef de l’État sortant est donné par de nombreux observateurs comme le grand favori du scrutin d’octobre prochain. Cela est d’autant plus vrai que grâce à l’éco-diplomatie et à l’ouverture du pays, ainsi qu’aux investissements privés et publics, aux reformes structurelles et sectorielles, la Côte d’Ivoire a pu passer d’un taux de croissance de -4,7 % (en 2011) à une croissance moyenne de 9 % (durant ces trois dernières années). Si on en croit le Premier ministre Kablan Duncan, ces prouesses ont permis au pays « de gagner 30 places dans les classements Doing Business de 2012 à 2015 et d’être classée pour la deuxième année consécutive parmi les dix meilleurs pays réformateurs au monde ». En dépit de ces avancées significatives, la question de la cherté de la vie reste une problématique pour le gouvernement ivoirien. Au point que ses adversaires se plaisent toujours à sortir cette boutade pour fustiger le caractère non inclusive ou la portée limitée de la croissance tant vantée : « On ne mange pas les routes et les ponts », ironisent-ils.
- (Flickr - Maxence)
À la vérité, de grands défis restent à relever par le gouvernement pour pouvoir atteindre les objectifs sociaux de son Programme National de Développement (PND). Mais les partisans du président Ado insistent, à raison peut-être, que « les routes et les ponts font manger ». Cela n’a pas empêché l’opposant et président de LIDER, Mamadou Koulibaly, de revenir à la charge contre les actions du gouvernement : « Nous avons certes entendu parler de croissance à deux chiffres qui devaient arriver, pourtant dans nos assiettes nous n’avons vu prospérer que la pauvreté ». Sans nécessairement partager ce point de vue foncièrement négatif, le ministre Mabri Toikeuse, dans une entrevue à Jeune Afrique reconnaît que la mise en place du PND a pris du temps, avant d’ajouter ceci : « Ce que nous avons commencé à faire, timidement c’est vrai, c’est de rendre cette croissance inclusive. C’est-à-dire faire en sorte qu’elle bénéficie au plus grand nombre. C’est sera l’enjeu du second mandat du Président de la République ».
- Les Eléphants sur le toit de l’Afrique du football (Flickr - Ben Sutherland)
CULTURE - SPORT
- Une supportice des Eléphants retient son souffle (Flickr - Gustave Deghilage)
En Côte d’Ivoire, l’année 2015 a été marquée au niveau culturel et sportif par le sacre des Éléphants, l’équipe nationale de football qui a remporté la Coupe Africaine des Nations, le 8 février. L’importance de l’événement a été soulignée par le chef de l’État ivoirien, qui a vu dans cette victoire un vecteur de cohésion sociale, comme en témoignent ses propos adressés aux nouveaux champions d’Afrique : « Grâce à vous, la Côte d’Ivoire est rassemblée à nouveau ». Pour rendre un vibrant hommage aux Éléphants, Alpha Blondy a offert au Palais de la culture de Treichville un concert gratuit pour l’unité et la fraternité entre les Ivoiriens.
Ce concert a pris la forme d’une liesse populaire ayant permis d’exorciser par la musique les souvenirs douloureux de la crise post-électorale, qui a, par ailleurs, inspiré plusieurs ouvrages d’auteurs ivoiriens au cours de l’année. Nous songeons au livre-témoignage de Joël Poté intitulé Côte d’Ivoire. Il fait le pas vers le pardon, nous enseigne une leçon de vie, d’humilité et de grandeur dans cette voix de sagesse : « Je devrais apprendre à pardonner pour pouvoir un jour amener les Ivoiriens à se pardonner ». Ce pardon marque une étape décisive vers la réconciliation, que revisite Jean-Marie Kouakou dans son essai Penser la réconciliation pour panser la Côte d’Ivoire (2015). Ouvrage collectif dont le projet est d’analyser les origines de la crise ivoirienne afin « de pouvoir proposer des solutions comme à l’effet d’un pansement ».
Sans ces solutions, il serait illusoire de concevoir « une véritable émergence de la Côte d’Ivoire, qui requiert la réconciliation, hors des sentiers battus des seules considérations économiques ». C’est dans ce sens qu’abonde l’ouvrage de Jérôme Kablan Brou consacré à L’Autre Côte d’Ivoire ou L’Alter-Emergence. Élections Présidentielles 2015. Enfin, un ouvrage qui a fait du boucan sur les scènes de la culture ivoirienne est le livre controversé de la journaliste française Fanny Pigeaud : France Côte d’Ivoire : une histoire tronquée. Il se donne à lire comme une « contre-histoire la crise ivoirienne et des “rapports tumultueux entre Paris et Abidjan pendant les années 2000”. Les positions partisanes et idéologiques qui y sont défendues feront certainement couler beaucoup d’encres et de salives dans le camp Ouattara comme dans celui de l’opposition. Mais il y a peu de chance que l’émergence de la Nation ivoirienne à l’horizon 2020 perde son envol dans les débats contradictoires suscités par son auteur sur les bords de la lagune.