Avant d’entrer dans le vif du sujet…
La Moldavie ? Ah oui, on sait bien où c’est ! Au centre de l’Europe ! Je me permets de tirer, subjectivement, une première conclusion à l’issue du deuxième Sommet de la Communauté Politique Européenne, accueilli par un pays petit au grand cœur – la République de Moldavie. Eh bien, cette conclusion serait la certitude qu’au moins pour presque 700 journalistes venus de 49 pays dans le mien à l’occasion du Sommet, la République de Moldavie ne sera plus jamais un point inconnu qui doit être cherché sur la carte, mais le pays européen qui a organisé le Sommet de Boulboaca. Ça fait des décennies qu’on passe par le purgatoire des explications et du positionnement géographique de la Moldavie dans les discussions à tous les niveaux avec les étrangers. Des clichés comme « une ex-république soviétique coincée entre la Roumanie et l’Ukraine », « le pays le plus pauvre de l’Europe » ou « le pays avec un conflit gelé sur son territoire » se sont enracinés dans le mental collectif européen, suite, d’une part, aux reprises et répétitions constantes par les médias, et d’autre part, à la présence et la visibilité réduites du pays sur l’arène internationale, surtout dans des contextes positifs.
Ce début d’été, cependant, a changé, on veut croire, irréversiblement les choses. On reste, historiquement une république qui a fait partie de l’Union Soviétique, mais on veut que cette mention apparaisse seulement dans un contexte strictement nécessaire pour expliquer certains phénomènes, car on ne l’est plus depuis 32 ans. C’est aussi vrai qu’on est un pays pauvre, et qu’on a un conflit non-résolu à l’est, mais les nouvelles réalités donnent plusieurs angles pour présenter et analyser ces sujets, et donc de sortir des clichés. La mise de la Moldavie sur la carte de l’Europe s’est produite, et ça c’est déjà un gain énorme pour nous.
Du sérieux à l’officiel
Que-est-ce qui s’est passé, donc, à Boulboaca le 1er juin 2023 ? En bref – les travaux du deuxième Sommet de la Communauté Politique Européenne, une plateforme non-institutionnalisée, pan-européenne de dialogue et coopération, lancée à l’initiative du président français en mai 2022 à Strasbourg. Le premier Sommet avait eu lieu à Prague en octobre 2022, quand la Présidente moldave Maia Sandu a annoncé l’accueil par la Moldavie de la deuxième réunion à haut niveau, la règle se basant sur la succession d’un pays-membre en non-membre de l’UE qui abriteront les travaux du Sommet. Malgré de nombreuses réticences et même peur au début, étant données les capacités d’infrastructures, logistiques, ressources humaines et financières limitées du pays, et avec une gigantesque contestation de la part de l’opposition pro-russe et ses adeptes y compris parmi la population moldave, la Présidente de la République, Maia Sandu, a serré la main à 49 président(e)s, premier(ère)-ministres et haut(e)s officiel(le)s de l’Union Européenne, sur le tapis rouge allongé dans la cour du Château Mimi.
Quelques mots sur le Château…
Le manoir a été construit en XIXe siècle sur l’ordre du dernier gouverneur de la Bessarabie de la période tsariste, Constantin Mimi, qui, à part être un homme politique, était aussi un excellent vinificateur, formé dans un domaine à Montpellier. L’établissement a été rénové entre 2011 et 2016, par des fonds privés Il comprend un musée, une galerie d’art pour les jeunes artistes, une salle de conférence, un hôtel, un restaurant, plusieurs ateliers de créations, tant d’arts populaires que de cuisine, ainsi que des salles de réception.
Les côtés symboliques du Sommet
Le premier à arriver, par voie terrestre au Château Mimi a été le président ukrainien Volodimir Zelenski, dont la présence au Sommet avait été gardée en secret jusqu’au dernier moment. Habillé dans sa tenue quasi militaire habituelle depuis le début de la guerre dans son pays, il a serré la main de la présidente moldave Maia Sandu avec une fatigue évidente trahie par son visage. Après quelques dizaines de minutes de discussions en privé, les deux présidents ont réitéré devant la presse, d’une part, le soutien et la solidarité de la Moldavie avec l’Ukraine, et d’autre part, la reconnaissance pour l’attitude des moldaves envers la tragédie ukrainienne, mais aussi la nécessité d’aller ensemble sur le chemin de l’intégration européenne et de l’éloignement de la Russie.
Le choix du lieu pour le Sommet est aussi symbolique. Boulboaca est une localité située à environ 35 km de la capitale Chișinău, et à environ 20 km de la frontière avec l’Ukraine, pays agressée sur son sol par la Fédération de Russie depuis plus d’un an. Le Château Mimi est aussi un établissement vinicole, dans un pays profondément marqué par la production de vins, ce qui augmente le poids symbolique de l’événement. En même temps, les avions de l’OTAN ont surveillé l’espace aérien moldave durant le Sommet, ce qui a représenté, outre le niveau de sécurité sans précédent adopté sur le territoire de la Moldavie, un message direct pour la Russie – que la Moldavie n’est pas seule, même si son statut de neutralité introduit dans la Constitution avec l’influence des russes, ne lui permet pour l’instant de parler d’une adhésion au bloc militaire.
L’agenda du Sommet, les principales déclarations
Les trois thèmes majeurs du Sommet de la CPE ont porté sur l’énergie, la sécurité et la connectivité. Pour les réunions bilatérales, les pays participants ont abordé des sujets particuliers, plus pointus. La présidente moldave, qui a eu plusieurs discussions bilatérales, mais aussi trilatérales (dont une Moldavie-Ukraine-France), a mis en avant l’agenda de son intégration européenne, en insistant sur l’objectif d’ouvrir, à la fin de cette année, les négociations d’adhésion de la Moldavie à l’UE. À la question posée par plusieurs journalistes concernant le sujet de l’adhésion, Charles Michel, le président du Conseil Européen a souligné le fait que la Commission Européenne va publier le rapport concernant l’extension avant cet automne, et le sujet de la Moldavie pourrait être mis en discussion avant la fin de cette année.
À son tour, Emmanuel Macron a déclaré sur le même sujet que l’année 2030 pour que la Moldavie devienne membre de l’UE « n’est pas seulement réaliste, c’est un fait qui doit être réalisé ». Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell a opiné, dans le contexte, que la région séparatiste non-reconnue de Transnistrie ne serait plus la pierre lourde dans le chemin d’adhésion de la Moldavie à l’Union Européenne, en évoquant le cas du Chypre, qui a été accepté en tant que membre en 2004, ayant le territoire divisé de facto. Cette ultime déclaration est vue avec scepticisme à Chișinău, mais, soyons sincères, qui aurait imaginé, il y a un an, que la République de Moldavie organiserait le Sommet de la CPE, et à un niveau apprécié comme excellent par les poids lourds de l’Europe ? Dans la catégorie de déclarations inattendues je tiens à citer également celle de Giorgia Meloni, la première ministre italienne, qui a déclaré que « l’Europe n’est pas un club, mais en premier chef est une civilisation….il ne s’agit pas d’élargissement de l’UE avec la Moldavie, l’Ukraine, la Géorgie et les Balkans de Ouest, mais de revenir aux frontières naturelles de l’Europe ». Ce message a surpris de manière positive, étant donnée l’hésitation antérieure de l’Italie d’avoir une position tranchée vis-à-vis de la Russie.
Les décisions du Sommet concernant la Moldavie
En termes concrets, la Moldavie, qui a prouvé, pour la première fois dans son histoire qu’elle peut non seulement demander d’aide à l’Europe, mais aussi offrir et contribuer à l’unité et au dialogue européen, est sortie gagnante sur tous les plans. Premièrement, la libéralisation des tarifs de roaming à partir de 1er janvier 2024 entre la Moldavie et l’UE a été annoncée par la présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, arrivée à Chișinău à la veille du Sommet. La Présidente de la CE a annoncé également, un nouveau portefeuille d’assistance pour la Moldavie de 1,6 milliard d’Euro, dont 100 millions seront destinés à la gestion de la crise énergétique, par la couverture des nécessités immédiates des familles vulnérables, l’assurance de la résilience des bâtiments du point de vue énergétique et la préparation pour l’hiver prochain.
Josep Borrell, à son tour, a inauguré le 31 mai à Chișinău une Mission de partenariat de l’Union Européenne en République de Moldavie. La mission civile contribuera à la gestion des crises et des menaces hybrides, y compris celles liées à la cybersécurité, en luttant contre la manipulation et l’ingérence des informations étrangères. Une quarantaine d’experts étrangers seront déployés dans le pays jusqu’à la fin de l’été pour aider à déjouer les menaces russes.
En même temps, La Pologne est venue en Moldavie avec une donation d’armes, munitions et équipements destinés à la police moldave, la Norvège a annoncé, par la voix de son premier ministre Jonas Gahr Støre une aide de 50 millions d’Euro pour faire face aux crises provoquées par la guerre en Ukraine, et la République Tchèque ouvrira en août le poste d’un attaché militaire à Chișinău, selon le premier ministre tchèque Petr Fiala. La décision a été prise dans le contexte de la nécessité de fortifier les domaines de la sécurité et de la défense en Moldavie.
Outre les conséquences palpables, immédiates du Sommet, il est crucial de souligner les bénéfices à long terme pour la Moldavie et son peuple. Ça pourrait paraître bizarre pour les pays occidentaux, mais la route qui fait la liaison entre l’aéroport international Chișinău et le Château Mimi a été modernisée à l’occasion du Sommet, et elle reste à la disposition des citoyens et citoyennes moldaves. En plus, l’événement a été une excellente opportunité d’attirer l’attention des investisseurs étrangers, dont la Moldavie a extrêmement besoin. Notre domaine des services, notre potentiel cuisinier et vinicole, qui ont été mis à une grande épreuve pendant la période de la préparation pour le Sommet, ont donné le maximum, en atteignant un autre niveau de qualité, nettement plus élevé. Depuis maintenant, tous seront intéressés de garder ce niveau, et de l’améliorer en permanence. Et puis, l’Europe nous a vu, et ça c’est LE bénéfice qui n’a pas de prix ni de terme d’expiration !
D’autres déclarations et décisions à retenir
Celles-ci visent en particulier l’Ukraine et sa tragédie. Le président Volodimir Zelenski a demandé de manière claire et directe plus de garanties de sécurité pour son pays de la part de l’Europe entière, en insistant sur l’ouverture des portes de l’OTAN à l’Ukraine. En réplique, les opinions des leaders européens oscillent entre l’impossibilité de parler d’une potentielle adhésion d’un pays qui est en guerre, et la nécessité de continuer les discussions sur le sujet afin de fortifier les garanties de sécurité pour l’Ukraine. Le chancelier Olaf Scholz a été plus tranchant, en déclarant que les garanties de sécurité pour l’Ukraine doivent être différentes du statut du membre de l’OTAN. Zelenski a également exprimé le souhait d’avoir une coalition occidentale des avions de lutte et une autre des systèmes anti-aériennes PATRIOT qui protègent l’Ukraine des bombardements russes. Côté décisions, les présidents ukrainien et roumain ont signé à Boulboaca une déclaration commune concernant le soutien par la Roumanie de l’intégration transatlantique de l’Ukraine et l’aide post-conflit rendue par la Roumanie afin de reconstruire l’Ukraine.
De même, à Boulboaca, la présidente kosovare Vjosa Osmani a rencontré le président serbe Aleksandar Vucic, en présence du président français Emmanuel Macron, du chancelier allemand Olaf Scholz et du chef de la politique étrangère et de sécurité de l’UE, Josep Borrell. Les parties ont mené des discussions pour désamorcer la crise déclenchée il y a quelques jours au nord de Kosovo, suite à laquelle y compris deux militaires moldaves des troupes de pacification KFOR ont été blessés. Osmani a déclaré après la réunion que son pays est prêt à organiser de nouvelles élections locales, tant qu’elles seront le résultat de décisions judiciaires.
Le Sommet de Boulboaca a également fourni une plate-forme pour des discussions de paix entre les dirigeants azéri et arménien, Nikol Pashinian et Ilham Aliyev, qui se sont rencontrés en compagnie du président du Conseil européen, Charles Michel, du président français Emmanuel Macron et du chancelier allemand Olaf Scholz, mais la seule entente était qu’ils se reverraient à nouveau le 21 juillet, à Bruxelles.
Ursula von der Leyen, Roberta Metsola, Charles Michel, Josep Borrell, Emmanuel Macron, Olaf Scholz, Rishi Sunak et encore 42 noms qui comptent en Europe, qui prennent les décisions et qui construisent l’Europe dans toute sa complexité ont visité, certains pour la première fois, Roberta Metsola pour une deuxième fois dans un intervalle de 10 jours, la République de Moldavie, un pays égal en droits et obligations avec tous les autres. Il m’est encore difficile de « digérer » l’envergure et le poids de cet événement, surtout en sachant que la réalité de la Moldavie se cache aussi, assez maladroit, dans ses difficultés d’ordre social, démographique, économique etc. En sachant que les villages moldaves sont presque vides, qu’une bonne partie de la population est pauvre, qu’une autre partie est fortement influencée par la propagande russe ou pro-russe locale, que dans les hôpitaux un médecin travaille pour 4, que dans les écoles il y a une insuffisance énorme d’enseignants, que les agriculteurs passent à peine d’une année agricole à l’autre, je me sens coupable d’avoir le sentiment de fierté, de dignité, de reconnaissance, et même d’espoir par rapport à cet événement unique qui s’est passé le 1er juin à Boulboaca, un village moldave de 5000 habitants. Je sens à la fois de la culpabilité et de l’espérance que l’histoire de la Moldavie européenne écrite à Boulboaca portera un jour ses fruits pour tous ceux et toutes celles qui sont aujourd’hui pauvres, fatigué(e)s, tristes pour leur destin et le destin de leur pays. La République de Moldavie reste divisée et bouleversée, mais je me permets de laisser cette fois–ci la balance pencher en faveur de l’espoir, de la confiance dans la présidente de la République Maia Sandu et son équipe, mais aussi dans les 75.000 - 80.000 moldaves qui ont participé le 21 mai 2023 au grand rassemblement national intitulé « la Moldavie Européenne », en confirmant leur adhésion aux valeurs à l’espace européens. Je ne sais pas si 2030 est un terme raisonnable pour nous de devenir membre de l’Europe institutionnelle, mais je suis certaine que c’est plus que possible et raisonnable que chacun et chacune d’entre nous apporte sa pierre à l’édifice en travaillant honnêtement, avec audace, sincérité et esprit d’appartenance à cette Moldavie qui a besoin de se transformer, de se moderniser, de se réformer afin de devenir prête à devenir membre de l’UE. D’ailleurs, je dirais même que la transformation de la Moldavie en un pays attirant pour ses propres citoyens et citoyennes est un objectif plus important que celui de devenir membre de l’UE. Pour l’instant, ils sont complémentaires, suivons-les !
- Démonstration de force pacifique des "pro-Européens" à Chisinau le 21 mai 2023