La Croatie vire à droite
Le feuilleton politique croate continue. Après les législatives de novembre 2015, suivies de deux mois de tractations, la coalition gouvernementale conservatrice formée n’a cessé de susciter des controverses et a fini par s’effondrer en juin dernier, entraînant des élections anticipées. Lesquelles se sont soldées par un résultat similaire… Une instabilité qui n’a fait que retarder les réformes économiques. Le pays a toutefois enfin renoué avec la croissance, au terme de six années de récession.
Sur la scène culturelle, après le festival « Rendez-vous », qui a mis à l’honneur la culture française, plusieurs expositions locales ont rythmé l’année, tandis que la ville de Rijeka a été élue capitale européenne de la culture en 2020.
POLITIQUE
On prend les mêmes et on recommence. Ou presque. Le 11 septembre 2016, les Croates se sont rendus aux urnes, pour la deuxième fois en moins d’un an, pour élire leurs députés dans le cadre des législatives anticipées. Résultat du scrutin : 61 sièges pour l’Union démocratique croate (HDZ, droite conservatrice) - emmenée par le nouveau président du parti depuis juillet dernier, Andrej Plenkovic, un ancien député européen dont la tâche est de restaurer l’image du parti - contre 54 pour l’opposition, le parti social-démocrate SDP, tandis que le Most (ndrl : le Pont), une formation de centre-droit composée de candidats locaux, en a remporté 13. Sept sièges sont revenus à un parti antisystème, Zivi zid (ndrl : Bouclier humain), qui réunit des acteurs associatifs luttant contre les expulsions locatives. En somme, faute de majorité absolue, il faudra former une coalition gouvernementale, les candidats du Most se retrouvant en position de faiseurs de roi.
- Le Premier ministre Tihomir Oreskovic (Ph : Gouv croate)
Un scénario qui n’est pas sans rappeler celui des législatives de novembre 2015 remportées de justesse par le HDZ (59 sièges) face aux sociaux-démocrates (56) sortants et marquées par la percée surprise du Most (19). Il aura fallu deux mois de négociations avant qu’une coalition gouvernementale soit formée par le HDZ et le Most. Fruit du compromis entre les deux partis, le Parlement investissait en janvier 2016 comme Premier ministre Tihomir Oreskovic, un ancien cadre de l’industrie pharmaceutique, novice en politique, ayant passé l’essentiel de sa vie au Canada et maîtrisant mal la langue croate. Son gouvernement, qu’il avait baptisé « Tim’s team » (ndrl : l’équipe de Tim) s’était d’emblée attiré des ennuis. Quelques jours après sa nomination, le ministre des anciens Combattants a été contraint de démissionner, éclaboussé par un scandale fiscal. Il avait en outre déclenché la polémique en voulant créer un registre des « traîtres à la patrie ». Mais c’est surtout une autre nomination qui a cristallisé les inquiétudes : celle du ministre de la culture, Zlatko Hasanbegovic, un historien soupçonné de révisionnisme sur le rôle des oustachis alliés des nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale. Accusations de vouloir mettre au pas les médias, boycott par les minorités juive et serbe d’une commémoration à Jasenovac, un camp d’extermination du régime oustachi, pour protester contre ce qu’ils percevaient comme une volonté de relativiser les crimes… autant de controverses liées à ce gouvernement qui n’a cessé de défrayer la chronique. Miné en outre par des dissensions autour des réformes économiques, l’exécutif n’aura tenu que six mois. C’est au final un scandale politico-financier qui a provoqué sa chute : accusé par l’opposition de conflit d’intérêts dans une affaire relative à la compagnie pétrolière nationale INA, l’un des deux vice-Premiers ministres et alors président du HDZ, Tomislav Karamarko, a été confronté, en juin 2016, à une motion de censure au Parlement. La voie était ouverte pour des élections anticipées de septembre…
Autre actualité à la une du pays au cours de l’année écoulée, la crise migratoire. La Croatie était en effet devenue, à la mi-septembre 2015, la nouvelle route d’exil des migrants et des réfugiés se dirigeant notamment vers l’Allemagne et l’Europe du nord, après la clôture par la Hongrie, jusqu’alors principal pays de transit, de sa frontière avec la Serbie. Plus de 650 000 migrants ont transité par la Croatie en six mois, avant la fermeture, en mars dernier, de la « route des Balkans ».
- La Banque Nationale croate (Ph : wmc - diego delso)
ÉCONOMIE
L’instabilité politique dans laquelle s’est enlisé le pays depuis les législatives de 2015 n’a fait que freiner les réformes économiques tant demandées, entre autres par la Commission européenne qui a récemment épinglé la Croatie pour ses déséquilibres macroéconomiques « excessifs », liés en particulier à une dette publique qui frôle désormais 87 % du PIB. Autres faiblesses pointées par Bruxelles, la gouvernance des entreprises publiques ou encore un taux de chômage élevé, surtout celui des jeunes et des demandeurs d’emploi de longue durée.
Heureuse nouvelle, cependant : le pays a enfin renoué avec la croissance, au terme de pas moins de six années de récession qui l’ont amputé de 13 % de sa richesse nationale. Après avoir crû de 1,6 % en 2015, le PIB devrait continuer sur sa lancée : la Banque Nationale croate (HNB) s’attend à une croissance de 2,3 % en 2016, tirée notamment par la demande extérieure, mais aussi intérieure. L’institution projette une accélération de la croissance en 2017, à 2,5 %. Les clignotants sont également au vert sur le plan du chômage. Le nombre de personnes en emploi a considérablement accéléré au premier trimestre 2016, indique la HNB dans une note datée de juillet dernier, tandis que le taux de chômage est descendu à 14,6 % pendant la même période. Depuis le début de la grande récession, il avait en effet doublé, à 16,5 % en 2015.
SOCIÉTÉ ET ÉDUCATION
C’est sous le slogan « La Croatie peut mieux faire » que plusieurs dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées dans les principales villes croates, le 1er juin 2016, pour dénoncer l’ingérence de la droite conservatrice dans la réforme de l’éducation. Le groupe d’experts nommé par le précédent gouvernement de gauche pour mener cette réforme, qui visait à moderniser le système éducatif primaire et secondaire, venait en effet de démissionner, évoquant des ingérences politiques.
Autre défilé, celui pour « la dignité inaliénable à la vie, de la conception jusqu’à la mort naturelle ». Organisé en mai par des groupes conservateurs et catholiques et baptisé « Marche pour la vie », il a attiré sept mille personnes, dont l’épouse du Premier ministre Tihomir Oreskovic. Une contre-manifestation, en parallèle, a cependant rassemblé plusieurs centaines d’autres manifestants qui, eux, redoutaient la remise en cause du droit à l’avortement.
Enfin, un projet de coopération, ressurgi au printemps 2016, entre la Faculté théologique catholique (KBF) et la Faculté des lettres de Zagreb (FFZG), a de son côté provoqué la colère des étudiants de cette dernière, qui estimaient que ce rapprochement leur serait défavorable sur le marché du travail. Le syndicat « Akademska solidarnost » (ndrl : Solidarité universitaire) avait pour sa part lancé une pétition contre la « cléricalisation » de l’enseignement. Une affaire qui, depuis, n’a cessé d’envenimer les relations avec l’administration de la faculté.
CULTURE
Au terme de plus de 250 événements en l’espace de cinq mois, « Rendez-vous », festival de la France en Croatie, a pris fin en octobre 2015, avec le parcours créatif « Nuit blanche » dans la capitale. Concerts, danse, théâtre, expositions, cinéma, littérature… ont été à l’honneur dans environ 40 villes du pays.
Rendez-vous festival : Anamorphose III from Damjan Denona on Vimeo.
Parmi les expositions qui ont marqué l’année, une rétrospective de l’œuvre du peintre Menci Klement Crncic (1865 -1930), célèbre pour ses paysages, a été organisée de février à mai à la galerie Klovicevi dvori. Le Musée d’art moderne (MSU) a, lui, présenté au printemps une exposition de 150 affiches graphiques, créées entre la fin des années 1960 et 1990, de Boris Bucan, figure emblématique de l’art graphique croate dont les œuvres font partie des grandes collections internationales à l’instar de celle de MoMA de New York.
- "Fillette", rétrospective du peintre Menci Klement Crncic (source : galerie Klovicevi dvori)
Le théâtre et la philosophie se sont quant à eux à nouveau rencontrés dans le cadre du programme Filozofski teatar (ndrl : Théâtre philosophique) du Théâtre national croate (HNK), un espace de débats qui s’interroge sur les grandes questions contemporaines. L’invité star, en janvier 2016, pour la deuxième fois en un an, a été le célèbre Slavoj Zizek, surnommé « le philosophe le plus dangereux de l’Occident ». Et la maison d’édition Fraktura de présenter sa première pièce de théâtre philosophique « Antigona », une réinterprétation de la tragédie grecque proposant trois destins différents… La pièce est attendue prochainement sur les planches du HNK.
Côté cinéma, « Zvizdan », une histoire de trois amours défendus, se déroulant dans trois décennies différentes, mais jouées par les mêmes acteurs, a été l’un des films les plus vus par les spectateurs croates et a remporté plusieurs prix internationaux.
Enfin, l’UNESCO a décidé d’inscrire dans le patrimoine mondial les tombes médiévales appelées « stecci », décorées et sculptées en pierre calcaire, qui parsèment certaines régions de Croatie, de Bosnie-Herzégovine, du Monténégro et de Serbie.
L’avenir, quant à lui, se tourne vers la ville de Rijeka, élue capitale européenne de la culture 2020, sous le slogan « Rijeka 2020 – le port de la diversité ».
GÉOGRAPHIE
Situé au nord-ouest de la péninsule balkanique, le pays compte 4,28 millions d’habitants. Ouvert sur l’Adriatique, son littoral est riche de plus de 1 200 îles. Capitale : Zagreb.
HISTOIRE
1102 - Le Royaume croate s’unit à la couronne hongroise
1809-13 - Napoléon intègre la Dalmatie et l’Istrie aux « provinces illyriennes »
1918 - Création du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes
1941 - Le régime d’oustachis
1945 - Formation de la Yougoslavie communiste
1980 - Disparition de Tito
1991-95 - Proclamation de l’indépendance. Guerre contre la Serbie
1999 - Mort du président Tudjman. Normalisation démocratique
2004 - Observateur au sein de l’OIF
2013 - Adhésion à l’Union européenne