Confinement et sécrétion
Les mots et les histoires que Kokouvi Dzifa Galley sculpte sur le papier ont pour mission de montrer que « l’Universel, c’est le local sans les murs ». Ses histoires que d’aucuns pourraient penser togolo-togolaises tant elles mettent en scène des rois, des amazones et des reines dont l’horizon est le golfe de Guinée ou le royaume du Dahomey n’en abordent pas moins de thèmes sans frontières : la place de la Femme dans la société, le patriarcat écrasant, le veuvage ou le pouvoir. Questions universelles si il en est ! Pourtant, L’Universel est une notion qui divise. Considérer ses propres valeurs comme l’Universel est douteux, voire dangereux. L’Occident a parfois la tendance à phosphorer de la sorte. Notion à manier avec des pincettes donc, à moins de penser à l’instar d’Antoine de Saint-Exupéry que « le culte de l’Universel exalte et noue les richesses particulières – et fonde le seul ordre véritable, lequel est celui de la vie. Un arbre est en ordre, malgré ses racines qui diffèrent des branches. »
Afin de mitonner au plus juste sa future pièce, Kokouvi Dzifa Galley est venu s’isoler en bonne compagnie à la Cité Internationale des Arts. Oxymore, certes. Mais un séjour en ces lieux hantés par le passage de tant d’artistes est indéniablement un moment d’isolement à partager ? À partager entre artistes aux multiples talents, venus de latitudes et longitudes tous azimuts, porteurs de cultures si différentes que l’uniformisation tant souhaitée par certains est remisée au fond d’un placard. Kokouvi Dzifa Galley, lui, profite de ce mélange de genres pour « remettre en question ses certitudes ».
« Ici, la pièce que j’écris a beaucoup de chance de rencontrer un metteur en scène. Dans le contexte du Covid, la création est dans une période de sécheresse, mais ici, nous vivons dans un contexte de travail ! Je me lève et je m’assois pour travailler. Tout le monde a le génie d’écrire, mais tout le monde n’a pas le génie de s’asseoir ! » sourit-il. Pour moi le confinement est un mode travail, un écrivain est tout le temps confiné même si à cause de la Covid je suis dans un confinement réel et pas métaphorique... Celui qui ne se confine pas ne se concentre pas, son esprit ne produit pas, ne sécrète pas ! L’écriture est comme la sueur, une sécrétion. »
Diantre, une sécrétion, stimulée par Notre Dame échaffaudagisée, par le Panthéon que l’écrivain contemple de se fenêtre, par la Seine qui coule imperturbable au virus qui vide les quais, « je me ressource avec ce que consomme par la bouche et aussi par les oreilles et les yeux ! Je me ressource par la terre que je foule, par les gens croisés, les arbres et le paysage. » En gros, voilà ce qu’est une résidence : une téléportation créatrice.
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Havre de paix
Christine Zayed est palestinienne. Joueuse de kanoun, initiée très jeune aux musiques du Levant, au jazz et même au violon classique, elle réinterprète les poésies originelles, celles de Mahmoud Derwich et de Hocine Barghoussi. Elle collabore avec diverses musiciennes et s’épanouit avec la formation Atine et d’autres groupes, toujours à la recherche de la part féminine des poésies. Pourquoi venir à la Cité ? « Pour la stabilité ! Avant de venir en France, je ne me rendais compte combien la vie en Palestine est difficile. Prendre un avion, passer d’une ville à l’autre, payer les taxes pour entrer ou sortir du pays... tout est complexe. Quand je suis arrivé à Paris, j’ai habité dans une colocation... Là encore, le contexte n’était pas favorable à la création et à la réflexion. Ici, à la Cité, je bénéficie de la facilité de vivre en France, de la liberté de mouvement, tout en étant tranquille, préservée. » Elle, pour qui la langue française n’a rien de culturel ni de maternel, a dû s’acheter elle-même les manuels DELF B1 puis B2 à son arrivée à Paris. Aujourd’hui, même si elle s’en défend, son français est fluide et riche. Il lui permet d’enseigner le kanoun au Conservatoire de Créteil, qui compte créer un département de musique arabe. Christine Zayed qui a grandi dans une famille de musiciens suit des études de musicothérapie après avoir passé une licence de psychologie. Hyperactive studieuse, Christine Zayed a eu besoin de se poser et s’isoler, pour un temps.
Repli stratégique
Si la création est la motivation première pour beaucoup d’artistes en résidence à la Cité, pour Sara Ouhaddou, celle-ci se double d’une seconde urgence. Franco-marocaine, Sara Ouhaddou travaille depuis environ 7 ans main dans la main avec des artisans marocains. Ils conçoivent ensemble des œuvres contemporaines. Ses acolytes artisans travaillent le verre, les tissus ou le marbre et viennent de Marrakech, Meknès ou Tanger. Des collaborations qui se sont arrêtées net sous les coups portés par la pandémie. Si elle s’est repliée en famille les premiers mois, elle s’est vite rendu compte que l’interruption de ses activités mettait ses compagnons de route en grande difficulté. Sara Ouhaddou a fermé son atelier à Rabat, réservant ses économies pour honorer les prestations en attente, mais... la pandémie s’est enracinée et dure, dur ! Alors la jeune femme a postulé pour une résidence à la Cité, un moyen comme un autre de retrouver un minimum de liquidité qu’elle s’est empressée de répartir auprès des artisans. Elle n’a cessé de garder le contact, mais le sentiment de culpabilité était trop fort pour qu’elle « oublie » ceux qui accompagnent sa création depuis si longtemps. « Au Maroc, tout est mort, la médina de Marrakech est à l’arrêt, les artisans se sont transformés en marchands de fruits au coin des rues, l’économie informelle a pris le dessus... Les artisans avec qui je travaille étaient dans l’informel avant notre collaboration, puis ils se sont structurés, ont changé de statuts et là, ils se retrouvent à nouveau dans la précarité. Bien sûr, l’informel est une habitude au Maroc et ils ont un sens de l’adaptabilité assez impressionnant. Ils jonglent comme ils peuvent pour maintenir une activité. Ceux qui souffrent le plus sont ceux qui ne travaillent que pour les touristes ; là... j’ai hâte de reprendre la route et de retourner les voir pour constater leur réalité, surtout j’ai hâte que l’on puisse poursuivre le travail engagé. »
Un travail engagé qui participe à l’émancipation de certains artisans marocains vis-à-vis du sacro-saint tourisme. En effet, il n’est pas rare aujourd’hui de rencontrer de jeunes diplômés des beaux-arts mettre leur grain de sel dans la production artisanale. Un mouvement plus appuyé à Marrakech, car le nombre d’étrangers – artistes en tous genres - installés là-bas est considérable. « Plus personne n’est surpris quand je propose un projet d’exposition à Beaubourg ! » Alors qu’à Meknès, « chez moi », le mouvement est plus lent. « Je dois m’adresser aux plus jeunes, aller les voir dans les universités, les écoles et imaginer avec eux un avenir plus numérisé, plus créatif sans effacer les savoir-faire locaux. » Ce double objectif est la raison de créer de Sara Ouhaddou, objectif mis à mal depuis le printemps 2020, mais que, à sa mesure, la Cité Internationale des Arts contribue à maintenir en vie.