- Partenariat OIF / Agora francophone
« Découvertes »
La simplicité d’un mot pour affronter la complexité d’une anomalie. Les femmes seraient-elles comme le sucre dans le lait chaud ? Partout mais peu visibles. Paradoxe, emprunté au philosophe Coluche qui correspond à merveille aux paroles d’Hassane Kassi Kouyaté, le directeur de la strucure des Francophonies – des écritures à la scène : « Dans ma carrière, partout où je suis passé, de la mise en scène au conte, de la création à l’administration, j’ai fait le même constat, la présence des paroles, des voix et des corps féminins manquent au théâtre. C’est en opposition complète au fait que les jeunes filles à l’école sont beaucoup plus portées vers la littérature, la poésie et même le théâtre que les garçons, que dans les stages ou les écoles de théâtre les jeunes femmes sont bien plus nombreuses que les hommes et... dès que l’on passe au niveau professionnel, leur présence diminue fortement. Pourtant le théâtre raconte la société, il propose un débat public, il parle de nos passés, nos présents et nos futurs, ne pas entendre la parole des femmes est inacceptable. » Une légende raconte que les jeunes femmes douées pour cet art seraient kidnappées par une société secrète masculine aux rites un brin douteux. Légende à vérifier mais le fait, lui, l’est déjà par moult rapports et enquêtes.
Ouvrir des fenêtres
« Quand j’ai pris mes fonctions à Limoges, j’ai voulu faire de cette question un axe majeur. Les Zébrures entendent le monde depuis plusieurs fenêtres, le point de vue féminin en est une capitale. » Pour ne pas dire une baie vitrée ! Outre la programmation des Zébrures d’automne, le temps fort de l’année, Hassane Kassi Kouyaté et son équipe ont voulu mettre en place un dispositif dédié à la création théâtrale au féminin. « Structure ambitieuse sans beaucoup de moyens », reconnait-il. Jusqu’à ce que l’Organisation Internationale de la Francophonie vienne y mettre son bienvenu grain de sel et apporter son soutien sonnant et trébuchant.
Le programme « Découvertes » est modeste mais il est en harmonie complète avec tout l’édifice des Zébrures. « C’est de l’artisanat. Nous accueillons deux autrices à qui nous associons un parrain ou une marraine... un mentor, en sorte. Les écrivaines choisies sont souvent méconnues du public d’ici et parfois peu connues chez elle. Le travail qu’elle effectue est double : elles écrivent leur pièce accompagnées du mentor et aussi elle légitimise leur travail vis à vis du milieu professionnel dans leur pays comme en France. Le passage par Limoges crédibilise leur parcours. »
Crédibilité qui est renforcée par les partenariats que les Zébrures ont tissé avec la Cité Internationale des Arts à Paris ou la Chartreuse à Villeneuve lez Avignon. Le passage de 2 mois à Paris et les séjours en Avignon sont des outils qui facilitent l’approche du métier et étendent le réseau de chacune des autrices. Hassane Kassi Kouyaté reconnaît que le travail est de longue haleine : « Le partenariat avec l’Organisation Internationale de la Francophonie nous permet notamment de verser une bourse aux autrices. Ces femmes sont dans les meilleures conditions pour travailler à la fois sur la forme, le fond. Le processus dure de juin à février, puis, en mars lors des Zébrures de Printemps ont lieu les premières lectures en public, des idées de mises en scènes germent, des éditeurs assistent aux représentations... l’objectif est que les pièces soient mises en scène, jouées et programmées lors de prochaines Zébrures d’Automne. » Ainsi l’accompagnement peut durer 1 ou 2 ans... à distance et en présentiel comme les temps récents en ont imposé le rituel !
- Corinne Loisel, responsable de la Maison des auteurs et autrices
Parmi les réussites de « Découvertes », Corinne Loisel, responsable de la Maison des auteurs et des autrices, aime citer Gaëlle Bien-Aimé. Comment décrire Gaëlle Bien-Aimé ? Connue en Haïti pour ses multiples activités : comédienne, « stand-upeuse », journaliste, organisatrice d’événements culturels, co-fondatrice d’une école de comédiens... n’en jetons plus ! Incontournable en Haïti et quasi inconnue au-delà. Corinne Loisel raconte : « Gaëlle est arrivée à Limoges avec en tête son premier texte dramatique, elle désirait sortir du stand-up. Nous lui avons proposé comme parrain son compatriote Guy Régis Jr, ils se connaissaient bien, Guy Régis Jr avait déjà programmé Gaëlle à son festival Quatre chemins à Port-au-Prince. » Vraisemblablement Gaëlle Bien-Aimé - accompagnée par son parrain - a profité « à fond » du dispositif. Les propositions de résidence se sont multipliées : La Rochelle et Paris l’ont invitée puis l’ALCA* l’a sélectionnée pour trois mois de résidence répartis entre Bordeaux, La Rochelle et Limoges. Enfin, mais pas fin, sourire aux lèvres, Corinne Loisel précise : « La pièce écrite à Limoges, Port-au-Prince et sa douce nuit a remporté le Prix RFI 2022 ce qui lui ouvre de bien belles perspectives... »
Nathalie Hounvo Yekpe est une autre autrice qui a su tirer parti de « Découvertes ». La Béninoise a gravi les marches quatre à quatre. Dès sa pièce écrite, Courses aux noces, l’éditeur Emile Lansman l’a repérée et éditée et Pascal Paradoux de RFI l’a sélectionnée pour une lecture au Festival d’Avignon dans le cadre de l’émission, Ca va, ça va le monde. « La résidence à Limoges a été un tremplin qui a renforcé son statut d’autrice, aujourd’hui, elle est en résidence à Valence, dans la Drome » souligne Corinne Loisel. Le pari de la crédibilité est tenu !
* ALCA : Agence livre cinéma audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine
- Hassane Kassi Kouyaté et les autrices en résidence 2022 - 2023, Claudia Shimwa et Fatou Sy.