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Du médiéval amoureux au contemporain tragique... une œuvre en marche !

Du médiéval amoureux au contemporain tragique... une œuvre en marche !

22 mars 2025 - par Lisa, ummsbiaus 
 - © Aimablement prêtée par l'autrice
© Aimablement prêtée par l’autrice

L’histoire de mon projet musical, ummsbiaus, prend son origine en 2014, en connexion très étroite avec la langue française. L’année dernière a marqué le 10ᵉ anniversaire de la création de mon théâtre francophone musical, où j’ai pu me découvrir artistiquement à travers le son, le dessin, le costume, le mouvement et la lumière. L’idée de ce théâtre est née particulièrement pendant mes études à l’Université nationale Taras Chevtchenko de Kyïv, en tant qu’étudiante en philologie et littérature française. Avec ma professeure, Tetiana
Bourmistenko, nous avons organisé un théâtre étudiant francophone, où ma liberté d’expression artistique a commencé à s’épanouir.

Premier spectacle / 2015
Le spectacle réalisé en 2015, intitulé La plus belle affaire / Le musée vivant, était composé de deux parties : l’histoire de la création de la Nature terrestre et l’histoire de la création des peintures à travers différentes époques. Au cœur de cette composition se trouve l’idée de la Création elle-même et de tout ce qui l’entoure. La beauté de l’apparition d’une âme mondiale – l’être humain – qui poursuit un processus de création sans fin, jusqu’à nos jours, est devenue le thème central du premier acte de la pièce, illustré par ces lignes introductrices :

Narratrice :
Le premier jour, le ciel immense
A découvert la permanence,
S’est réuni avec le sol
Et ses trachées, ses alvéoles
Ont exhalé une ombre, après
La grande lumière fut créée.


Forces de la nature
© Aimablement prêtée par l’autrice

Mais aucune création ne peut être parfaite. Parfois, la nature prive les êtres vivants de leur capacité à percevoir le monde dans son intégralité. Ainsi, les personnages de cette pièce sont des êtres humains privés de la vue, de l’ouïe, de la parole ou de l’odorat. Pendant le premier acte, ces personnages partagent leurs impressions en découvrant pleinement le monde pour la première fois. Accompagné de musique live, jouée au piano et suivie de voix chantées, ce spectacle propose une fusion de plusieurs sources de perception, réunies dans une vision de la beauté de la vie.


Frida Kahlo
Aimablement prêtée par l’autrice

Le deuxième acte du spectacle, Le musée vivant, poursuit l’histoire de la création, mais cette fois à travers l’esprit humain. Sept tableaux peints par des artistes de styles différents prennent vie et racontent les histoires cachées derrière leur création. L’amour, la haine, la douleur, la fantaisie, la mélancolie et l’adieu : tous ces sentiments habitent ces peintures éternelles. Ce spectacle est accompagné d’une musique inspirée de la poésie sacrée française du haut Moyen Âge, mélangée avec l’expérimentation électronique.

Les influences médiévales
La thématique médiévale m’a fascinée au fil des années. J’ai commencé à découvrir le Moyen Âge français, une époque marquée par la jonction entre, d’un côté, un paganisme menacé ou déjà éteint, laissant une empreinte dans les contes vernaculaires, et de l’autre, le christianisme, influençant l’illumination et le développement culturel. Ma grande source d’inspiration était Le Roman de la Rose, une œuvre poétique médiévale sous forme de rêve allégorique, écrite en deux parties entre 1230 et 1280, d’abord par Guillaume de Lorris, puis par Jean de Meung.
Non seulement lu et analysé en profondeur, ce poème est aussi devenu la première œuvre médiévale que j’ai entièrement traduite en ukrainien, marquant ainsi la première traduction littéraire complète de cet ouvrage en Ukraine. Malheureusement, seuls quelques extraits ont été publiés dans le magazine ukrainien de traduction littéraire Vsesvit (L’Univers), grâce au soutien de Dmytro Drozdovskyi, rédacteur en chef de ce périodique fond ne reste plus qu’à trouver un moyen de le publier.

Le Roman de la Rose est une galerie de personnages incarnant divers sentiments et émotions liés à l’amour. Cet éternel sujet permet au lecteur de s’identifier au personnage principal, l’Amant, quelle que soit l’époque où la poésie est lue. Cette personnification des traits de caractère abstraits a influencé ma vision du théâtre et de la musique. Après un an de travail quotidien sur Le Roman de la Rose, j’ai découvert la possibilité de donner une voix à des choses généralement silencieuses. Chaque sentiment est capable d’acquérir une couleur, une forme ou une sonorité. C’est avec cette sensation qu’en 2016, j’ai commencé à créer mon deuxième spectacle, Daou C’halon (Deux Coeurs).

Deuxième spectacle / 2016
En août 2016, je suis partie me ressourcer dans les montagnes des Carpates, en Ukraine occidentale, pour deux semaines. Je me suis isolée pour écrire le scénario et la bande-son de mon deuxième spectacle, la chantefable Daou C’halon. Cette nouvelle performance s’inspire fortement des légendes du nord de la France, en particulier de la Bretagne. Pour l’écrire, j’ai dû m’immerger dans cette culture, au point d’apprendre la langue bretonne pendant un certain temps. C’est précisément à cela que je me suis consacrée avant mon
voyage dans les Carpates. Premièrement, j’ai créé un récit racontant l’histoire de l’amour du Soleil et de la Lune, qui ne pouvaient jamais se toucher. Cette allégorie, sans doute influencée par les thèmes médiévaux, raconte une histoire philosophique sur la chaleur et le froid, qui ne peuvent jamais coexister. Entourés par les déesses celtiques, le Soleil et la Lune vivent une aventure empreinte d’amour, d’espoir, de lutte intérieure, de mort et de renaissance. Voici quelques lignes du scénario :

Soleil :
Et mon cocon est façonné,
Enrubanné, criard, j’y garde
Les dons qui brillent comme les monnaies.

Ensemble (Lune et Soleil) :
Ce sont tes yeux, c’est ton regard.

Lune :
J’y choie tes larmes.
Tes cils rigolent
Et ils voltigent.
Ensemble (Lune et Soleil) :
Je ne me sens
Plus seul(e), je ne suis plus seul(e).
Plus seul(e) !
Quand je te vois, quand je t’entends.

Soleil :
Et mon cocon me donne l’abri,
Me donne la paix et le sommeil.
Je m’y endors. Berce-moi, je prie,
Dans le cocon de mon âme vermeille.

La deuxième étape de création était de trouver des chansons traditionnelles qui pouvaient se combiner avec l’histoire que j’avais écrite. Après plusieurs semaines de recherches, j’ai choisi trois chansons bretonnes et j’en ai également composé deux autres, dans le même style, mais en français. Ces nouvelles chansons impliquaient une réalisation entièrement polyphonique. Inspirée par les chants médiévaux, j’ai commencé à former un chœur de cinq voix pour interpréter ces chansons en live sur scène. L’idée principale était de fusionner le scénario poétique avec les chansons, pour transformer ce spectacle en une longue mélopée
ou, mieux encore, en une mélodéclamation. En deux semaines, le scénario a été finalisé, accompagné des premières esquisses musicales. Lors des répétitions, la musique est devenue polyphonique, s’entrelaçant progressivement avec la poésie. Le rituel était prêt à être accompli.

Hommage à l’Université nationale Taras Chevtchenko de Kyïv
La Francophonie en Ukraine s’est développée rapidement, et j’ai eu la chance de profiter de cet élan. Pendant mes études à l’université, mes professeur(e)s ont organisé de nombreux événements mêlant littérature, musique, art visuel et, bien sûr, philologie française. Chaque jour à l’université était une véritable source d’inspiration et une puissante impulsion à créer sans cesse – à créer en français. Des grands maîtres comme Dmytro Tchystiak, traducteur et écrivain renommé, Tetiana Bourmistenko, organisatrice de nombreux projets et événements francophones à Kyïv, ainsi que mes autres professeurs inspirateurs, tels qu’Antonina Skrypnyk, Dmytro Brytvin et bien d’autres, m’ont aidée à cultiver mon amour pour la création. Grâce aux efforts de Tetiana Bourmistenko, notre théâtre s’est produit à plusieurs reprises sur la scène du Théâtre Molodyi à Kyïv ainsi que lors des festivals de théâtre francophone à Dnipro et Odesa.

Je vous suis infiniment reconnaissante pour votre dévouement à la Francophonie, mes chers
professeur(e)s et collègues !

La Chanson d’Eve
Aimablement prêtée par l’autrice

Troisième spectacle / 2017
L’un des plus grands événements universitaires était le 1ᵉʳ Colloque international francophone en Ukraine, organisé à l’Institut de philologie en octobre 2017. À cette époque, j’ai commencé à travailler sur la composition d’un spectacle musical, basé sur l’œuvre poétique La chanson d’Ève, écrite par le symboliste belge francophone Charles van Lerberghe. Comme par magie, ma mission lors du colloque était d’accompagner l’un des invités, une personne exceptionnelle : Edgar Fonck, directeur de l’Association pour la Promotion de la Francophonie en Flandre. Avec Edgar, j’ai partagé mes idées pour mon futur spectacle musical, et il m’a généreusement apporté de Belgique une rare édition de La chanson d’Ève.
Trois mois plus tard, nous nous sommes retrouvés près de la maison natale de Charles van Lerberghe, à Gand.

Je suis alors partie en voyage en Belgique, sur les traces de cet incroyable auteur. Avec Edgar Fonck, j’ai découvert des lieux emblématiques de la Francophonie belge, dont le point culminant était ma visite à la Bibliothèque royale de Belgique, où Laurence Boudart, l’actuelle directrice, m’a gracieusement permis de travailler sur des manuscrits et dessins originaux de Charles van Lerberghe.

C’est là que mon cycle musical La chanson d’Ève est né – une oeuvre que je peux sans hésitation considérer comme mon magnum opus, un projet qui a forgé mon identité musicale et artistique. En décembre 2017, avec mon petit chœur de cinq voix, nous avons présenté la première version de ce spectacle.

Devenir moi-même, devenir ummsbiaus
Cette période de ma vie m’a entièrement transformée en la personne que je suis aujourd’hui. Le projet ummsbiaus est né en même temps que la révolution en Ukraine et la guerre cruelle menée par la Russie, qui a commencé en 2014, au sud et à l’est de mon pays, et qui continue à grande échelle jusqu’à aujourd’hui.
Chaque spectacle dont je parle ici, dans cet essai, porte les échos de la guerre. Par exemple, dans mon deuxième spectacle, Daou C’halon, le narrateur Vercingétorix conclut l’histoire par cette phrase :

Et moi, Vercingétorix, je vous quitte ici et maintenant parce que ma terre m’appelle.

L’idée de lutter pour la liberté de mon pays natal, de se révolter contre l’injustice, m’a poussée à devenir une guerrière sur le champ de bataille culturel. Autrefois inspirée par des œuvres empreintes de merveilleux, j’ai finalement dû affronter la réalité. J’étais forgée et prête à agir, c’est pourquoi, en 2022, ma musique a commencé à refléter pleinement la dure réalité de la guerre.

L’univers d’ummsbiaus s’articule autour de la musique d’ambiance, des enregistrements de terrain et des vocaux expérimentaux. En outre, j’ai commencé à révéler mes dessins à l’encre noire et blanche, un style que j’ai commencé à développer en 2014, parallèlement à mon théâtre. Je les transforme en visualisations pour mes performances scéniques, dont les idées primaires ont émergé lors de mon travail avec le théâtre francophone.
Voici l’un de mes concerts récents, où ummsbiaus collabore avec Difference Machine, un projet unique de Kyïv. Ensemble, nous avons créé l’album на півшляху від витоку до краю (À mi-chemin de la source à la limite), un voyage folk expérimental qui mêle la musique traditionnelle ukrainienne à une nouvelle approche performative :



Cette ummsbiaus que je suis aujourd’hui est le fruit de plusieurs influences : le théâtre, l’art médiéval et symboliste francophone, la guerre en Ukraine, la tradition ukrainienne, et bien sûr, la Francophonie.

L’avenir d’ummsbiaus : FLORA et FAVNA
Récemment, j’ai publié mon deuxième album solo, FAVNA, un hymne électronique polyphonique dédié à la force féminine, incarnée par l’eau, la flamme, la terre et l’air. Cet album rend hommage à la féminité à travers les mythes des anciennes déesses slaves, chantant à la fois leur puissance et leur vulnérabilité. Dans son ensemble, l’album plonge dans la faune intérieure d’une artiste féminine, explorant les incarnations obsédantes de leurs douleurs et de leurs luttes. Totalement inspirée par l’image d’Ève, j’essaie de recréer
un personnage féminin capable de renaître et de refleurir après des années de luttes, tant intérieures qu’extérieures.

En ce moment, je travaille sur mon prochain album, FLORA, entièrement basé sur mes partitions de La chanson d’Ève, que j’ai finalisées la semaine dernière. Ce grand projet synthétise tout ce que j’ai évoqué dans ce texte : l’importance de la nature, des textures et des sons qui nous entourent, l’inspiration de la littérature française médiévale et du symbolisme francophone, et bien d’autres éléments qui m’ont façonnée.


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