Éducation aux médias : éviter le saupoudrage !
Quelques impressions après plusieurs interventions dans des établissements. Je suis moi aussi arrivé à cette conclusion : si on veut que l’éducation aux médias (EMI) soit utile, il faut absolument éviter le saupoudrage. Sous la pression de l’urgence et notamment d’une actualité sociale qui amène à s’interroger sur le fonctionnement des médias, on entend dire partout que l’’EMI doit devenir une priorité. Certainement. Mais il serait contre-productif de vouloir envoyer des journalistes animer des séances d’une heure devant toutes les classes de tous les établissements. Les sujets à aborder, les questions posées par les élèves, les idées reçues qui circulent dans les esprits, demandent du temps et exigent, pour y répondre, de pouvoir établir une relation de confiance entre les intervenants et les collégiens et lycéens. Or, il ne faut pas espérer y parvenir en heure. C’est pourtant souvent ce que l’on demande à un journaliste : « Venez donc nous parler de votre métier ! Vous aurez une heure devant vous ». Sauf que simplement « parler » du métier de journaliste n’a qu’un intérêt limité. On peut à grands traits présenter le rôle du journaliste, ce que l’on attend de lui, les compétences requises, les voies d’accès à ce métier, répondre à quelques questions (« Monsieur, ça gagne combien un journaliste ? ») et déjà la sonnerie marque la fin du cours.
Autrement dit, si on sollicite des journalistes pour intervenir en classe, il faut prévoir plusieurs séances afin de pouvoir travailler sur un projet ou sur un sujet qui laisse la place à la réflexion, la confrontation d’idées, la construction. Évidemment, c’est une contrainte de temps pour les journalistes, mais beaucoup acceptent déjà de s’engager ainsi dans ces conditions.
Ceux qui sont évidemment les mieux placés pour travailler sur le temps long, ce sont les enseignants. C’est même leur rôle ! Or, j’en ai fait le constat, une forme de rivalité – ou d’ incompréhension - peut opposer journalistes et enseignants en matière d’EMI. Les seconds reprochent parfois aux premiers de ne rien connaître à la pédagogie et les premiers accusent les seconds de ne rien savoir du monde des médias. Il faut dépasser ces « bisbilles » si on veut avancer. Il y a de nombreux enseignants très motivés et formés à l’éducation aux médias (en particulier par le Clemi) qui sont parfaitement capables d’animer des ateliers sur le fonctionnement et les dysfonctionnement des médias ou d’encadrer un groupe d’élèves qui veut, par exemple, créer une web radio. Et il y a bien des journalistes qui, parfois parce qu’ils enseignent dans des écoles de journalisme, savent comment aborder une classe et transmettre des connaissances.
A n’en pas douter, il faut davantage de moyens si véritablement on souhaite que l’éducation aux médias occupe une place importante dans l’enseignement scolaire. En attendant que ces moyens soient dégagés un jour (il faut l’espérer), mieux vaut sans doute concentrer ceux qui existent sur quelques établissements, au lieu d’émietter les énergies disponibles sur l’ensemble du territoire. Et il ne faudrait pas pour autant ne viser que les collèges ou lycées des quartiers dits « difficiles » comme le soulignent fort justement Lucas Roxo et Amandine Kervella dans cet article fort pertinent.
Un point très encourageant pour terminer : les élèves sont demandeurs. Il n’y a pas rejet global du sujet. Si on leur propose de travailler sur les médias, sur le journalisme, voire de participer à la création d’un média scolaire, ils sont généralement volontaires, même si une fois les discussions engagées, ils peuvent se montrer fort critiques ou sceptiques, ce qui est bien naturel.