- Le roi Felipe VI (Flickr - Parlamento de Cantabria)
POLITIQUE - Par Rosa de Diego
Le roi d’Espagne, Juan Carlos I, a abdiqué le 2 juin à l’âge de 76 ans. Son fils, le prince Felipe, lui a succédé au trône. Juan Carlos, longtemps très populaire par son rôle dans la transition espagnole, a connu une forte dégradation de son image en raison d’un soupçon de corruption pesant sur sa fille Cristina, la duchesse de Palma, et son époux Iñaki Urdangarín. Le couple est soupçonné d’un détournement de 6 millions d’euros. Son voyage au Botswana en 2012, pour participer à un safari, en pleine crise, avait aussi entamé la popularité du roi. D’autre part, il a connu quelques ennuis de santé. Le prince Felipe, discret et proche des gens, a pris à 46 ans la succession de son père. Il a cultivé une image de modernité renforcée par son mariage en 2004 avec la journaliste Letizia Ortiz. Ils ont vécu loin du faste traditionnel, dans une maison construite pour lui, près de Madrid, dans le parc du palais de la Zarzuela. Ils ont eu deux filles, Léonor, devenue princesse des Asturies, et Sofia. Le prince Felipe avait assumé, progressivement, un rôle protocolaire, car il avait multiplié les activités publiques et les voyages officiels, aussi bien en Espagne qu’à l’étranger, grâce à ses connaissances de l’anglais ou du français, en plus du catalan. Pour tenter de récupérer la popularité de la monarchie, Felipe VI a décidé de réduire de 20 % la pension qui lui est attribuée par l’État espagnol, mais aussi de limiter le budget dédié aux déplacements de la maison royale et aux frais protocolaires. Cette monarchie espagnole, moderne, a été connue et reconnue en France grâce à son voyage diplomatique à Paris au mois de mai 2015. Il faut également signaler que le 11 juin, le roi d’Espagne Felipe VI a décidé de retirer le titre de duchesse de Palma à sa sœur, l’infante Cristina, par les accusations de délits fiscaux en lien avec les affaires de son époux.
POLITIQUE - ÉCONOMIE
Selon les analystes, l’économie espagnole se redresse en 2015 grâce au taux de croissance du PIB et à la création d’emplois grâce à la réforme du marché du travail réalisée par le gouvernement du Parti Populaire. Il s’est produit une flexibilisation des contrats et la baisse du coût des licenciements des travailleurs en contrat à durée indéterminée. En plus, les demandes de crédits des petites et moyennes entreprises redémarrent. Le tourisme s’est relancé avec une hausse du nombre de touristes, aussi bien étrangers qu’espagnols. Il y aura, en conséquence une baisse du chômage. La confiance semble revenir petit à petit. Pourtant la sortie de crise sera lente et longue, car le chômage reste encore très élevé. Il manque sans doute des mesures d’austérité en ce qui concerne la taille de l’administration.
Avec ce scénario de reprise, l’Espagne est entrée dans une période électorale avec des scrutins municipaux et régionaux. Des élections marquées par la très forte poussée de deux formations nouvelles, les indignés de Podemos (Nous pouvons, un parti politique de la gauche radicale qui n’existait pas il y a un an) et les centristes de Ciudadanos, (Les Citoyens, « libéraux progressistes »). Ces deux nouveaux partis sont issus de la contestation et le mécontentement populaires et par la multiplication de la corruption. Il s’est produit un vote sanction contre le Parti populaire de Mariano Rajoy, le chef du gouvernement au pouvoir depuis 2011, qui a perdu la majorité absolue dans toutes les communautés autonomiques et la plupart des grandes villes. D’autre part, ces élections ont fait voler en éclats le bipartisme qui organisait la vie politique depuis la fin du franquisme. L’hégémonie des deux partis, qui avaient gouverné en alternance depuis plus de trente ans, les conservateurs du Parti populaire (PP), et les socialistes du PSOE a été brisée.
- Mariano Rajoy réagit aux attentats de janvier à Paris (Flickr - Moncloa Gobierno de Espana)
En nombre de voix, la droite espagnole est arrivée en tête, mais, payant le prix de quatre années de politique de forte austérité et de constants scandales de corruption, elle a réalisé son pire résultat depuis 1991, en recul de plus de dix points par rapport aux précédentes élections locales, il y a quatre ans. De l’Andalousie à la Galice, ils arrivent en tête, mais nulle part ils n’obtiennent la nécessaire majorité absolue à laquelle ils étaient habitués. Le principal obstacle du Parti populaire réside dans sa difficulté à négocier avec d’autres formations, qui s’y opposent fortement. La droite a beau être unie, elle n’obtient nulle part la majorité absolue, ni dans ses noyaux municipaux ni dans quelques parlements régionaux qualifiés comme « territoires de chasse », tels que Castille Léon, Castille la Manche, Communauté Valencienne, Murcie ou la Rioja. En face, une gauche disséminée a pu, paradoxalement, former des coalitions majoritaires. Le Parti socialiste (deuxième force en suffrages), a été l’allié de Podemos, le grand arbitre, ce qui lui permet de prendre le contrôle de plusieurs communautés autonomiques et de quelques villes. En fait, les principales villes d’Espagne, dont Madrid et Barcelone, se sont officiellement dotées de maires appuyés par la gauche radicale du parti Podemos en coalition avec d’autres groupes comme le Parti Socialiste ou les Nationalistes. À Madrid, Manuela Carmena, a été élue par le conseil municipal, devenant la première élue de gauche à diriger la capitale espagnole après 24 années d’administration de la ville par le Parti populaire. À 71 ans, cette magistrate qui circule à vélo, sans aucune expérience politique, a suscité l’enthousiasme des indignés de Podemos, dont elle était la candidate : « C’est vous, les gens de la rue, qui avez gagné ces élections ! », a-t-elle proclamé. À Barcelone, c’est Ada Colau, une jeune militante engagée dans la lutte contre les expulsions immobilières, qui succède aux nationalistes catalans, pour qui cette municipalité était un bastion. À Saragosse, Valence, La Corogne ou Cadix, d’autres candidats issus de l’indignation ont obtenu de bons résultats et sont aussi en bonne position pour prendre le gouvernement municipal. Il est impossible de comprendre la popularité de Podemos sans analyser celle de son chef de file, Pablo Iglesias.
- Pablo Iglesias (Flickr - Xixon si puede)
Ce professeur intérimaire de sciences politiques à l’Université Complutense de Madrid, de 36 ans, devenu député européen, doit son succès aux réseaux sociaux et à la télévision. À l’aise devant les caméras, Iglesias ne s’irrite jamais dans les débats idéologiques. Sa relation avec le petit écran n’est pas le fruit du hasard : il y a cinq ans déjà qu’il participe au plateau de « La Tuerka », une émission diffusée sur Internet où il a appris à parler face au public et qu’il continue de présenter tous les lundis. Son programme économique propose une semaine des 35 heures, la cogestion des entreprises, le droit au crédit et une réforme fiscale approfondie.
Pour le Parti populaire, ces derniers résultats risquent d’être bien amers : il va certainement perdre l’essentiel de l’énorme pouvoir territorial obtenu en 2011. Un mauvais présage pour les prochaines élections législatives de novembre 2015 sur lesquelles pèse l’ombre de Podemos, qui en coalition avec le Parti Socialiste, pourrait prendre le pouvoir.
CULTURE - Par Carmen Mata Barreiro
Le paysage culturel espagnol de l’année 2014-2015 présente une série de traits : l’émergence de nouvelles cultures politiques, la visibilité de l’Histoire et de la mémoire, le dynamisme des arts de la scène et la percée croissante de la création d’origine francophone.
2015, nouvelles cultures politiques, nouvelles représentations identitaires
Les changements issus du travail des plates-formes citoyennes ayant remporté les élections municipales du 24 mai 2015 touchent aussi la culture et les représentations identitaires. Outre l’expression d’arguments associés à l’éthique animale qui s’opposent à ceux du parti conservateur Partido Popular (PP), qui tient à imposer la corrida comme élément prioritaire du Patrimoine immatériel espagnol, d’autres affranchissements concernent des champs essentiels tels que la laïcité. Ainsi, les trois maires de trois villes importantes de la Galice, Saint-Jacques de Compostelle, La Corogne et El Ferrol, ne participent plus aux cérémonies d’invocation à des saints patrons, cérémonies qui scellaient l’alliance entre le pouvoir civil et le pouvoir de l’Église catholique, alors que l’Espagne est un « État aconfessionnel » d’après la constitution. La réaction de l’archevêque de Saint-Jacques a été immédiate : il a averti du danger de « l’oubli de Dieu ».
Histoire et mémoire
Des expositions et des conférences ont abordé la Première Guerre mondiale dont l’exposition de photographies « Plus jamais ça ! ¡ Nunca más ! Documents inédits d’un Poilu », à l’Institut français de Madrid, et celle concernant « La Grande Guerre vue d’Espagne » à Conde Duque (Madrid).
Dans le cadre de l’hommage au médecin canadien Norman Bethune que le Canada, la Chine et l’Espagne lui rendent en 2014, à l’occasion du 75e anniversaire de sa mort, l’exposition « Norman Bethune, la trace solidaire », présentée au Centre culturel de Chine à Madrid et au Parlement d’Andalousie, a montré son engagement dans la lutte contre le fascisme en Espagne, en 1936, et son travail au Service canadien de transfusion de sang, qu’il a créé. Et en 2014, est parue une réédition révisée des écrits d’Albert Camus appuyant l’Espagne républicaine, ¡ España libre !, textes traduits par un espagnol exilé en France, Juan Manuel Molina.
L’engagement pour la mémoire de la violence sexuelle auprès des femmes de la République Démocratique du Congo et dans la lutte pour l’éradiquer a été reconnu par le Prix Prince des Asturies de la Concorde 2014, accordé à la journaliste congolaise Caddy Adzuba.
Arts de la scène : dynamisme, création et francophonie
Le dynamisme des acteurs de l’univers du théâtre et leur rôle comme passeurs de sensibilités et de problématiques qui touchent des sociétés plurielles continuent à être remarquables. Parmi les pièces jouées, Phèdre de Racine, Petite trilogie de la mort de Maurice Maeterlinck, Rhinocéros de Ionesco, Pingüinas de Fernando Arrabal, des pièces de Lepage, Mouawad, García Lorca, Shakespeare, Ibsen, O’Neill, Albert Camus et Max Aub. L’écrivain péruvien et Prix Nobel de littérature Vargas Llosa a débuté comme acteur dans Les Contes de la peste, une adaptation personnelle du Décaméron de Boccace.
Robert Lepage a participé au « Festival d’Automne au Printemps » 2015 à Madrid avec une nouvelle version de Les Aiguilles et l’opium/Needles and Opium, où convergent audace, humour, poésie, intelligence et technologie. Et le metteur en scène Santiago Sánchez, qui a introduit en Espagne l’improvisation théâtrale et qui travaille actuellement avec le griot et acteur de Burkina Faso Hassane Kouyaté, avec qui il approfondit les formes essentielles de communication en Afrique, a mis en scène Un obus dans le cœur, de Wajdi Mouawad, qui a eu un excellent accueil.
L’énigmatique pièce de García Lorca, El público/Le public a été le point de départ d’un opéra homonyme, créé par le compositeur Mauricio Sotelo et représenté au Teatro Real de Madrid. Et dans le domaine du cirque, Le Cirque du Soleil a choisi Madrid pour la première en Europe d’Amaluna, qui est une réflexion sur l’équilibre du point de vue de la femme. En ce qui concerne la danse, les Grands Ballets canadiens de Montréal ont présenté aux Teatros del Canal (Madrid) la création de La Belle au bois dormant du chorégraphe suédois Mats Ek : une version très contemporaine, originale et subversive.
Cinéma : visibilité du cinéma français et francophone
La reconnaissance de la qualité de l’œuvre du réalisateur Pedro Almodovar a été mise en relief par le Prix Lumière 2014, dans le cadre du Festival Lumière de Lyon. Figure de proue de la Movida, il est devenu « l’un des patriarches du cinéma mondial », d’après le journal Le Monde.
Dans une Espagne où, comme l’affirme Almodovar, « il est de plus en plus difficile d’aller au cinéma », un travail est mené pour faire découvrir le nouveau cinéma français et francophone. Ainsi, uniFrance films, dans sa promotion du cinéma français à l’échelle internationale, a organisé l’événement « Ton rendez-vous avec le cinéma français », où le public madrilène a eu l’occasion de visionner des films récents et de rencontrer des acteurs et des réalisateurs tels qu’Ariane Ascaride, Robert Guédiguian et Laurent Cantet.
Dans le cadre de la célébration de la Francophonie, en mars 2015, des Ambassades de pays francophones et le Bureau du Québec ont répondu avec enthousiasme à l’invitation faite par Alain Lefebvre (École du Cinéma de la Communauté de Madrid, ECAM), Carmen Mata Barreiro (Universidad Autónoma de Madrid) et Alba Wystraëte (Alliance française de Madrid), en vue de créer un Festival de cinéma francophone, ce qui a déterminé « Encuentros/Rencontres. I Muestra de cinéma francophone », qui a proposé des films de Belgique, Canada, Haïti, Liban, Luxembourg, Suisse, le Canada étant le pays invité. Le lieu choisi a été la Cineteca de Matadero Madrid, qui accorde une attention spécifique au cinéma d’avant-garde et qui, parallèlement, a une vocation pédagogique matérialisée dans le travail de sensibilisation des lycéens au cinéma.
Peinture : des ponts interculturels
En 2014, le musée Guggenheim de Bilbao a célébré son 20e anniversaire, et en 2015, il a présenté la première rétrospective de l’œuvre de Niki de Saint Phalle. Et à Malaga, en Andalousie, le chef du gouvernement espagnol et la ministre française de la Culture et de la Communication ont inauguré, en mars 2015, la première implantation provisoire du Centre Pompidou à l’étranger.
Le musée du Prado a accueilli en 2015 l’exposition « 10 Picasso du Kunstmuseum Basel », prêtée par cet important musée suisse, qui a prêté parallèlement d’autres tableaux de grands peintres du XXe siècle, dont Chagall, Modigliani et Fernand Léger, au musée Reina Sofía. Le musée Thyssen-Bornemisza a montré l’œuvre de Raoul Dufy et une rétrospective de Paul Delvaux.
Littérature
Juan Goytisolo, Le Clézio, Louise Dupré, Khadra, Foenkinos
L’écrivain espagnol Juan Goytisolo, intellectuel engagé pour la liberté de conscience et pour les droits de l’homme, essayiste et romancier (cf. L’Exilé d’ici et d’ailleurs, Makbara, Et quand le rideau tombe), a remporté en 2014 le prix Cervantes, considéré comme la plus haute distinction en littérature hispanique. Le jury a souligné « sa capacité de recherche sur le langage » et « son pari permanent en faveur du dialogue interculturel ». S’étant exilé en France sous le franquisme, il vit actuellement à Marrakech.
La France a été le pays invité au Hay Festival 2014 à Ségovie, et les écrivains Jean-Marie G. Le Clézio, prix Nobel de littérature 2008, et Pierre Lemaître y ont participé. D’autres auteur(e) s français et francophones ont été invités à participer à des débats et à réfléchir sur la littérature, à Madrid, dont Louise Dupré, Yasmina Khadra, David Foenkinos, Florence Noiville, Édouard Louis et Josep Dallerès.
Culture scientifique
Dans l’Espagne actuelle, la qualité des chercheurs coexiste avec de graves problèmes de financement. Le témoignage de deux chercheures appartenant à deux générations différentes est révélateur. Margarita Salas, disciple du prix Nobel Severo Ochoa, spécialiste reconnue en biologie moléculaire et académicienne, dénonce la « situation critique » de la science en Espagne. María Blasco, une autorité mondiale dans le champ des mécanismes du vieillissement et les télomères et directrice du CNIO (Centre National de recherche en oncologie), rappelle aux politiciens le grave problème de la fuite des talents. Et en 2015, le gouvernement espagnol a décidé de ne plus participer à un programme de recherche européen (HERA) concernant les humanités, ce qui empêchera la participation de chercheurs espagnols à des projets et l’accès à un financement important.