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Felwine Sarr, nostalgique des Lumières

Felwine Sarr, nostalgique des Lumières

29 septembre 2019 - par Arnaud Galy 
 - © Arnaud Galy - Agora francophone
© Arnaud Galy - Agora francophone

Un peu plus de monde ce matin pour les causeries sous le chapiteau. L’invité du jour, interviewé par le président Kouyaté lui-même ne passe pas inaperçu. Son parcours universaliste, ses récentes prises de position inattendues, sa présence médiatique remarquée en font une figure qui compte dans les cercles intellectuels. Sénégalais qui suivit des études en France, il est aujourd’hui, comment dire, économiste, oui, philosophe, certes, musicien, assurément...

Homme des Lumières, Felwine Sarr vient tout droit d’un monde ancien, vu de Paris, où l’honnête homme se devait d’être pointu en astronomie autant qu’en poésie, en botanique autant qu’en philosophie. Aujourd’hui, l’hyperspécialisation a tout saucissonné. L’humanité est découpée en tranches à tel point que l’intelligence dégringole faute de savoir s’attacher au global, au collectif. Lui, l’aîné de 8 enfants, dont 4 frères, a commis son premier acte de rébellion familiale en refusant de suivre la voie tracée par un père militaire : l’armée, naturellement. Le petit Felwine, préféra la musique et comble de la forte tête, il embarqua dans son aventure artistique tous ses frères ! Aucun ne devint militaire. Tous musiciens. À l’heure de choisir ses études, entre l’Académie militaire de West Point et l’université, le choix fut vite fait. L’université et la musique. Mais attention, pas la musique en dilettante, la musique jusqu’au bout de la nuit, jusqu’à obtenir en France le statut d’intermittent du spectacle. Chose malaisée à obtenir s’il en est !

Attiré par la philosophie Felwine Sarr entre... en faculté d’économie. Son souci d’un certain universalisme sans doute. Au fil des années son hyperactivité ne s’est jamais démentie. Pas de perte de temps, donc pas de télévision à la maison ! Bannir les choses inutiles et savoir mettre, à la fois, plusieurs plats au four sont quelques-uns de ses préceptes. Sa méthode transversale ressemble à s’y méprendre à l’idée africaine de l’éducation. Les enfants n’y sont-ils pas tout autant éduqués par les professeurs que par les grands-parents, ne savent-ils pas réparer la roue du vélo autant qu’aller ramasser du bois et collecter des plantes ? Apprendre à naviguer et à faire paître le troupeau autant que préparer l’entrée au lycée ou à l’université ? L’horizontal s’impose face au vertical.

Pétri dans la terre sénégalaise, Felwine Sarr fait son bout de chemin en France, avant d’être recruté comme enseignant à l’université Gaston-Berger, à Saint-Louis. Dès lors, sa cogitation et sa réflexion sur les perspectives africaines occupent la majeure partie de son temps. Tantôt économiste, tantôt littéraire, il n’a de cesse de faire vaciller la Science de son piédestal et milite pour l’institution d’un dialogue permanent entre les savoirs. Pour lui, le réel est plus riche que ce qui est validé par la science. Il faut ouvrir son esprit et ses sources de savoir... surtout ne pas se limiter aux injonctions venues du Nord. Vaste projet.

C’est le message qu’il a souhaité distiller dans son essai Afrotopia où il s’interroge sur cette Afrique qui court après un développement économique imposé par le Nord sans qu’elle ait pris le temps de définir ses propres volontés et besoins. Comment peut-on appliquer des recettes préfabriquées quand l’horizon à atteindre n’a pas été dessiné et exprimé ? L’utopie, ce lieu autre, n’est-elle pas indispensable à la bonne réflexion ? Laisser l’utopie de côté revient à s’inscrire dans un monde achevé, quelle tristesse...

Brillant par essence, trublion parfois, Felwine Sarr n’en est pas moins capable de venir sur des terrains où on ne l’attend pas. Remontons le temps : novembre 2017, il entend le président français Emmanuel Macron, prendre à témoin les étudiants de l’université de Ouagadougou sur le thème de la restitution des œuvres d’art africaines exposées dans les musées français. Comme tant d’autres, Felwine Sarr sourit, ricane peut-être même ! Effet de manche se dit-il. Pourtant, en février 2018, quelle n’est pas sa surprise de recevoir un appel de l’Élysée pour lui proposer de diriger – en duo avec Bénédicte Savoy – une commission de réflexion sur le sujet. Dubitatif un moment, il décide de jouer le jeu. Quoi restituer ? Trouver les combines juridiques pour le faire. Dans quelles conditions, à qui ? Les questions sont légion. L’établissement d’un dialogue de confiance avec les conservateurs des musées des pays d’origine et de France prend du temps. L’étude des conditions de la “collecte” des œuvres par le passé aussi : Consentement ? Violence ? Vente ? Lègue ? Qu’importe, si l’objet porte en lui une valeur symbolique forte, il doit être restitué. Ni plus ni moins.

Le public des Zébrures n’en demandait pas tant. Le président-journaliste Kouyaté n’a pas eu besoin trop titiller son invité, le flux de paroles étant proche de celui du fleuve Niger et sa réactivité pétillante. Qu’en sera-t-il cet après-midi ? Felwine Sarr et ses complices, le comédien Étienne Minoungou et le musicien Simon Winsé seront sur la scène de l’Opéra de Limoges pour jouer “Habiter le monde poétiquement”... autre corde à son arc. Les Lumières, vous-dis-je !

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