Qu’est venu faire François Marthouret dans cette pirogue ? Il ne revendique rien, ce qui est objet rare en ces lieux. Sa carrière théâtrale l’a conduit plus souvent à jouer Shakespeare que Molière, en terres francophones voilà qui est cocasse. Il est discret, ne parle que si on l’y invite. Avouons-le, sa présence n’a pas fait déplacer les foules, sans doute la pluie torrentielle et le marché du samedi matin ont-ils une part de responsabilité. Que diable fait-il là ? Même si cela est toujours difficile à entendre pour la personne concernée, il est un Ancien. François Marthouret est une mémoire du théâtre. Sa machine à remonter le temps, calée sur 88 miles à l’heure, frappe à la porte des plus grands noms du théâtre des années 70. Antoine Vitez, Peter Brook et Jean Claude Carrière, excusez du peu. Comme initiateurs ou compagnons de route, on trouve aisément pire !
Entouré de « monstres » !
La langue française est devenue l’outil de travail de François Marthouret au contact d’Antoine Vitez. Pour ce dernier, le théâtre est la rencontre entre trois créateurs : l’auteur, le comédien et le public. Un trio dont le chemin commun parcouru doit mener à un moment de grâce où les mots et la langue sont les étoiles.
Peter Brook tient la place de choix. De 1970 à 1980, François Marthouret fréquente le Centre Internationale de Recherche Théâtrale créé par le monstre sacré londonien. Une décennie magique et essentielle selon ses propres mots. Il y fréquente des acteurs venus du Mali, des États-Unis ou d’Allemagne. Brook parie sur le partage des expériences et invite des acteurs indiens, amérindiens ou japonais à phosphorer avec les siens. Tous travaillent en français et lorsqu’ils quittent leur cocon des Bouffes du Nord, au cœur de Paris, ils partent en tournée sur les pistes africaines. Cap vers l’Algérie, le Nigeria, le Dahomey* ou le Mali où la troupe joue et surtout improvise avec les acteurs locaux de village en village. C’est une époque de partage vivant et joyeux où vient se greffer le traducteur, l’érudit, le conteur Jean Claude Carrière. Tous ces maîtres ont en commun un sens inné de la curiosité, une farouche volonté de jouer, comme des enfants, avec les mots. François Marthouret se souvient que Peter Brook aspirait à être émerveillé, n’avait de cesse que d’inventer et c’est cette soif qui le poussait à inviter des acteurs d’autres cultures à partager des moments de création avec sa troupe.
Une passion haïtienne
Haïti entre par la grande porte dans le cœur de François Marthouret par l’intermédiaire du dramaturge béninois José Pliya. Ce dernier lui fait rencontrer Lyonel Trouillot, l’auteur de Bicentenaire. L’histoire de deux frères que tout oppose qui se retrouvent mêlés aux révoltes étudiantes qui éjectèrent le président haïtien Aristide du pouvoir en 2004. Le vin aidant, selon François Marthouret, l’écrivain haïtien lui céda les droits et le voilà embarqué dans le tournage d’un film. À la tête d’une équipe de comédiens haïtiens et de techniciens guadeloupéens, l’amoureux de Shakespeare s’empare d’un pan de l’histoire d’Haïti, avec le regard décalé de l’ignorant, du naïf... Cette expérience lui fait découvrir la richesse de la poésie et de la littérature haïtienne. Ce pays aux mille cicatrices, délaissé de tous n’en finit pas d’offrir au monde ses talents, ses imaginaires et son énergie créatrice. D’Haïti, il n’y a qu’un pas à faire pour embrasser les Caraïbes et ses poètes, ses écrivains. Un pas que François Marthouret entreprend sans hésiter. Un pas qui lui fait dire sans tergiverser que la vivacité de la langue française se trouve là, dans les Caraïbes autant qu’en Afrique, si peu en France. Que c’est là que se crée la beauté et le rêve, alliant le geste à la parole, il lit un poème de René Philotecte.
Pas dans le ton et pourtant...
* Aujourd’hui le Bénin