francophonie, OIF, Francophonie, Organisation Internationale de la Francophonie, langue française, diplomatie culturelle, littérature, théâtre, festival, diversité culturelle, les francophonies

MENU
FRANCOPHONIE - Ivan Kabacoff

FRANCOPHONIE - Ivan Kabacoff

Il suit la francophonie comme son ombre
26 février 2017 - par Arnaud Galy 

Cette semaine, Ivan Kabacoff lance la nouvelle formule de l’émission phare de la francophonie sur TV5Monde : Destination francophonie. L’occasion pour Agora de mettre en ligne le grand entretien qu’il a accordé à l’Année Francophone Internationale 2017. Engagé comme personne, il revient sur son parcours personnel et livre ses réflexions documentées...


Ivan Kabacoff, vous êtes une figure identifiable de la francophonie ! Quel parcours sinueux est le vôtre pour arriver à « Destination Francophonie » ?

Le point de départ est une ville au nom magique, Samarcande, en Ouzbékistan
où j’ai été envoyé en coopération pour diriger l’Alliance française. J’avais 23 ans. C’est dans ce pays très fermé que j’ai découvert que la langue française pouvait être une possibilité d’ouverture et de rencontre avec l’Autre. C’est là que j’ai rencontré mes premiers amoureux de la langue française comme ces enfants ouzbeks qui attendaient l’ouverture de l’Alliance pour aller lire des BD. Cette expérience au sein d’une Alliance française m’a fait découvrir l’existence internationale de ma propre langue. Moi qui voulais devenir professeur de français, j’ai compris qu’il y avait une autre voie qui me correspondait mieux c’est-à-dire la coopération et le travail avec les professeurs de français. Ensuite, comme j’étais russophone, j’ai été envoyé dans le Caucase, en Géorgie, où j’étais attaché de coopération pour le français. C’était une ouverture de poste, tout était à faire... à cette époque on comptait 60 000 élèves qui apprenaient le
français et il fallait mettre en place une politique de promotion du français. Je
travaillais en liaison directe avec le ministre de l’Éducation pour monter des
filières, c’était passionnant. Et puis, un jour je suis parti visiter une école « au
fin fond de la Géorgie » qui n’avait ni gaz ni électricité et je tombe sur une classe en train de préparer un spectacle autour du Petit Prince, des gamins qui
chantaient du Joe Dassin et là, je me suis dit qu’il faudrait bien qu’un jour mes compatriotes se rendent compte que dans un pays comme la Géorgie il y avait un énorme désir de français... Je ne savais pas, bien entendu, qu’un jour je créerais « Destination Francophonie », mais je me disais qu’il fallait montrer
cet amour, cette énergie, cet espoir placés dans le français. Avec le recul, je dois reconnaître que la Géorgie a été un déclencheur... L’aventure s’est poursuivie
en Russie, toujours pour assurer la promotion du français. Là, je me suis attelé au montage d’un réseau d’universités et de partenaires pour faire en sorte que dans cet immense pays, les enseignants puissent s’appuyer sur une structure qui les fédère et les identifie. Ce réseau existe toujours et compte aujourd’hui 250 universités, il facilite la création de centres de langues et permet de odéliser des formations...

Après 10 ans de francophonie « sur le terrain », vous rentrez en France…

Et le choc fut rude. Je venais d’avoir le concours du ministère des Affaires étrangères et après avoir sillonné les routes pour promouvoir le français, je me suis retrouvé enfermé dans un bureau à Paris à écrire des notes toute la journée. Heureusement, j’étais à la Sous-direction du français, et la directrice
de l’époque, Sophie Lovy, voyant mon désarroi, m’a demandé ce que je souhaitais faire. Je lui ai expliqué que je voyais les attachés de coopération
du français comme des VRP de la langue, mais qu’ils manquaient souvent d’outils de communication. J’ai eu alors carte blanche pour mettre en place une campagne de communication qui s’appelait « Oui, je parle français » qui avait déjà été pensée à l’Institut français de Barcelone, mais que nous avons développée. Elle a été reprise dans le monde entier. Cette campagne tournait le dos au côté défensif que je ne supporte pas. On parle toujours de la « défense de la langue française » comme si elle était attaquée. Cela n’a pas sens. Cette
campagne affirmait au contraire « Oui, je parle français » et sous-entendu, je parle d’autres langues ! Fini aussi « bleu, blanc, rouge » et la tour Eiffel clichés, mais un logo de couleurs vives pour montrer que le français, ce n’est pas uniquement la France, mais toute la francophonie. Nous avons même décliné cette campagne avec « Oui je parle rugby » lors de la Coupe du Monde de Rugby en France en 2007. Dans un programme court diffusé sur TV5MONDE, des joueurs de rugby géorgiens, argentins ou roumains exprimaient en français leur amour de la langue française. Nous avons aussi rédigé des argumentaires et réalisé des films promotionnels avec de jeunes étudiants de français. Le choix de la langue française ne va pas de soi dans un contexte concurrentiel mondialisé. Il faut mettre en avant les atouts de la connaissance du français, et ils sont nombreux, et ne plus rester sur une posture défensive d’un autre temps.

C’est au ministère des Affaires étrangères que vous faites une rencontre
déterminante...

Oui, avec Marie-Christine Saragosse qui dirigeait la Direction de la coopération
culturelle et du français. Une femme engagée qui a la francophonie chevillée au cœur. Quand elle est partie diriger TV5MONDE, l’histoire s’est accélérée... un poste s’est libéré dans les services de communication de la chaîne et j’ai pu l’intégrer pour promouvoir ses actions autour de la langue française. La langue française est l’ADN de TV5MONDE, sa signature. Je me suis dit que j’étais dans le média idéal pour faire connaître au monde la vitalité de la langue française que j’avais vue sur le terrain. L’histoire de cette école de français dans le village
géorgien pourrait enfin être découverte ! Avec le soutien de Marie-Christine
Saragosse, un projet de chronique s’est transformé en programme court
hebdomadaire. Des partenaires institutionnels (OIF, Institut français,
DGLFLF, CIEP, AEFE) ont apporté les financements complémentaires pour la réalisation du programme. « Destination Francophonie » est ainsi née en
octobre 2012. La première émission de télévision sur la langue française dans
le monde ! Même si le programme a évolué depuis son lancement, il reste
ancré sur son concept qui est de montrer des actions positives en faveur de l’apprentissage et de la promotion de la langue française dans le monde. Le nombre de ces belles histoires est infini. L’émission montre toutes les semaines que le français est une langue désirée et vivante bien loin de l’image
du déclin qu’on lui colle sans arrêt. Montrer sa vitalité ne peut faire que du bien !
« Destination Francophonie » bénéficie complètement du réseau et de la marque TV5MONDE et affiche une audience exceptionnelle : plus de 100000 personnes suivent la diffusion de l’émission rien que sur Facebook en plus des multi-diffusions sur la chaîne. Cela fait même deux ans qu’elle est diffusée en mars dans la station de métro Europe à Paris ! La brièveté de l’émission fait qu’elle se partage vite et les bonnes idées qu’elles véhiculent aussi. Ma plus
grande joie est d’apprendre qu’une jeune étudiante algérienne décide de
s’inscrire dans un master francophone de relations internationales à Szeged
en Hongrie après avoir vu l’émission consacrée à cette formation.



Et pourtant, la francophonie ne va pas de soi...

C’est vrai, la francophonie est perpétuellement taxée de ringardise. Mais c’est tout l’inverse ! Les événements tragiques qui secouent le monde aujourd’hui
ne font que renforcer cette conviction. La francophonie c’est tout sauf le repli sur soi. Je reviens des « Universités du monde » à Nice. Quand je vois des dizaines de professeurs de français, des Turques, des Grecs, des Sud coréens ou des Russes passer du temps ensemble , faire la fête et refaire le monde toute la nuit en français, je ne vois pas où est la ringardise. De plus, ils le disent eux-mêmes, les réseaux sociaux ne leur suffisent pas, il veulent et aiment se rencontrer et partager dans une même langue, la langue française ! C’est un moyen fabuleux de pouvoir aller vers l’Autre, d’échanger avec lui et de découvrir sa culture. C’est de cela que le monde a besoin plus que jamais. Nous avons la chance d’avoir
une langue parlée sur les 5 continents. Ne passons pas à côté de cette chance
 ! C’est pourquoi je ne m’explique pas que la langue française et la francophonie
ne soient pas plus supportées politiquement. Quel responsable politique,
en particulier en France, parle aujourd’hui de francophonie ? C’est quand même incroyable que si peu de politiciens ne perçoivent la francophonie comme un outil indispensable au développement de l’éducation, de la mobilité, la culture. C’est un levier plus que pertinent pour créer des synergies avec le Maghreb ou l’Afrique, et pas seulement économique. Je rêve d’entendre le mot « francophonie » dans la bouche d’une personnalité politique ou intellectuelle.
Peut-être le mot lui-même est-il trop chargé, coincé pour beaucoup entre colonialisme et nationalisme. On ne voit pas derrière ce mot un gage d’ouverture et d’avenir, mais un univers passéiste. Je me pose une question : faut-il trouver
un autre mot pour qu’enfin on parle de francophonie ?

Le français est-il encore une langue internationale ?

Le français n’est plus la langue internationale qu’elle a été pendant des siècles. Aujourd’hui, le monde est face à une lingua franca qu’est l’anglais, enfin une langue qui n’est pas vraiment l’anglais, mais qui suffit à faire du business et à se parler. Mais il n’y a aucune raison pour que la langue française ne soit pas la langue des échanges entre pays francophones ! Cela dit, nous sommes nos propres freins. Les francophones sont trop puristes. On se moque de mal parler anglais, mais on ne se moque pas de mal parler français. Selon certains, le français ne se maltraite pas ! C’est le point de vue c’est incroyablement inhibant pour la personne qui apprend le français et qui n’ose pas se lancer. Partant de
là, le français reste une langue d’élite, très écrite et pas du tout une langue
de communication d’où la difficulté à être populaire. Nous devons décomplexer
notre rapport à la langue, encore une fois cessons d’être arc-bouté ! Arc-bouté sur les anglicismes alors que la langue française a enrichi l’anglais
pendant des siècles ! Arc-bouté sur le « dire » et « ne pas dire » chers à l’Académie française ! C’est incroyablement délicat pour les enseignants
qui sont chargés de donner envie sans la notion de plaisir ! Quel exercice
est organisé dans tous les pays ? La fameuse dictée ! L’apprentissage du
français par la faute... c’est terrible ! Sans oublier le poids du « français sans accent » ! Quel dommage de vouloir casser la diversité du français et de seulement appliquer la norme.



Peut-on se passer des institutions pour dépoussiérer la langue française ?

Je ne crois pas. La grande chance de la francophonie est le réseau d’institutions
ou d’organisations qui pilotent des projets pour sa promotion. L’OIF, l’AUF, les Instituts français, les Alliances françaises, le CIEP... TV5Monde ! Beaucoup d’acteurs de qualité sont engagés et malheureusement les budgets fondent ces dernières années alors que d’autres pays investissent plus que jamais pour la promotion de leur langue, comme la Chine par exemple. J’aimerais que des institutions comme l’Académie française et ses personnalités de renom qui la composent s’engagent intellectuellement et financièrement dans la promotion
de la langue française dans le monde. Cette célèbre institution pourrait aider
par exemple le fabuleux réseau des professeurs de français dans le monde qui se battent tous les jours dans un milieu très concurrentiel. Ils sont les premiers Ambassadeurs de la langue française, tous les efforts devraient être tournés vers eux, vers leur formation et leur mobilité dans le monde francophone. Ils ont besoin d’être valorisés. Pourquoi pas une journée mondiale du professeur de français avec des opérations médiatiques autour ? Je crois donc que les institutions devraient d’abord encourager toutes les initiatives privées qui mettent en avant la langue française. Et elles sont nombreuses à travers le monde.

Quel est le blocage ?

Le gros point noir est le manque d’engagement politique. La francophonie n’est pas un sujet électoraliste. Elle nécessite une vision à long terme et on a l’impression qu’aujourd’hui la vie politique n’est faite que de court terme. Former un francophone, qu’il soit futur professeur, possible ministre ou chef d’entreprise prend du temps et nécessite de faciliter la mobilité. Le retrait de la France en Europe et en Afrique de certains projets de coopération est dommageable. La coopération nécessite des moyens et des actes, et pas seulement de la France,
de tous les pays francophones.

Un noyau dur pour aller de l’avant ?

Il m’apparaît indispensablede donner un sens à l’espacefrancophone. Je crois à
une politique de projets, de grands projets... un ERASMUS francophone, un visa francophone de circulation pour les artistes ou les entrepreneurs, tout projet qui facilitera la mobilité. Pour moi, TV5MONDE est l’un de ces grands projets exemplaires. Il y a 30 ans, des États francophones se mettent d’accord pour partager leurs programmes et co-financer un média qui est reçu aujourd’hui dans plus 300 millions de foyers dans le monde. Il faut du concret. Pour cela, un engagementinitial d’un petit nombre d’États est nécessaire. C’est la proposition
du rapport du député français Pouria Amirshahi sur l’avenir de la francophonie.
Un groupe de pays guidés par une vraie vision politique de ce que peut
être l’espace francophone : le Sénégal, le Maroc, la Roumanie, la France,
la Tunisie, la Belgique, le Québec... d’autres pays les rejoindront. L’Organisation
Internationale de la Francophonie en compte 80 ! Rien n’empêche un groupe de pays de conclure des accords facilitant la mobilité des étudiants et de créer un système de bourses... Aujourd’hui, à la télévision, on ne voit que des images de mobilité forcée, de gens qui fuient leur pays. Recréons une mobilité constructive,
une mobilité choisie et valorisée... une mobilité du Nord vers le Sud aussi,
que les Français ou les Belges partent en Afrique travailler, étudier, partager
avec les Africains et pas seulement pour y passer des vacances au soleil.



À la fois un noyau dur et un élargissement ?

Oui, ça n’est pas contradictoire. Ayons bien en tête que la langue française est aimée pour les valeurs de culture qu’elle porte et parce que les gens la trouvent romantique ! C’est peut-être naïf de dire cela, mais c’est une réalité ! Donc, n’excluons personne. Les Turcs, les Russes et les Sud coréens dont je parlais ne sont pas membres de l’OIF, et alors ? La Malaisie, le Pérou, la Colombie investissent des sommes conséquentes dans la formation sur le long terme de professeurs de français, ça, c’est du concret ! Ces pays croient en la francophonie plus que nous. Nous avons la chance d’avoir une langue mondialisée que nous pourrions utiliser pour nouer des contacts ou pour débattre, mais quand on dit cela, on est taxé d’utopiste, d’idéaliste ! La francophonie n’est pas une utopie, elle existe concrètement. J’ai une
pensée pour un ami, qui me disait « la francophonie c’est comme l’eau c’est
une ressource naturelle génératrice de richesses », oui, mais on ne l’exploite
pas et c’est aussi une ressource culturelle ! Une ressource qui n’appartient
pas uniquement à la France, elle est aussi américaine, européenne et
demain en grande partie africaine...quand je vais au Bénin ou au Togo et
que je vois des jeunes faire des parties de scrabble francophone ou participer
à des concours de joutes oratoires,je vois bien que la francophonie est
concrète ! C’est cela que je montre dans mes émissions. J’aimerais ouvrir
le regard sur cette réalité vivante.

L’école pourrait être un lieu d’éveil à la francophonie, non ?

Oui, montrer aux enfants ce qu’est la francophonie ! C’est la portion congrue
dans les programmes scolaires. Fêter la francophonie dans les écoles, ce serait
formidable ! Raconter les histoires des autres, chanter des chansons du
Québec ou d’Afrique, lire les littératures francophones, découvrir les
autres gastronomies... Bref décentrer notre regard et celui de nos enfants.
Le 20 mars devrait être une fête dans les écoles, faire en sorte que chacun
arrive avec sa différence, avec sa langue et que tout soit partagé. Pourquoi
pas un grand élan de jumelages ou de correspondances entre écoles ?
On a tous les moyens techniques pour le faire et on n’a jamais vu aussi peu
de jumelages. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas une agence financée par les
institutions francophones pour développer une telle mission ? Cela remplacerait
avantageusement le énième programme. Nous devons tout faire pour relier les enseignants, les élèves et par conséquent les parents ! Les populations en somme ! Quand je vois l’enthousiasme des professeurs, je ne vois pas pourquoi cela ne marcherait pas...

Voyez-vous poindre un découragement chez certains ?

Oui, et de plus en plus. En Europe, en Amérique centrale, là où le désengagement est criant. Il faut aussi replacer ce découragement dans le contexte de concurrence des langues. Passons sur le cas de l’anglais qui occupe l’espace de la première langue étrangère, ensuite l’allemand, l’espagnol et le chinois entrent en concurrence directe avec le français. L’espagnol ouvre sur
l’Amérique du Sud et le chinois est gage d’un avenir économique. Les Instituts Confucius fleurissent en Afrique, en Europe et en Russie. Les professeurs de français ont du mal à vendre le débouché professionnel à leurs élèves ! En même temps la qualité de l’enseignement du réseau français est toujours une référence. J’ai rencontré récemment une directrice d’école maternelle turque, à Istanbul, qui compte 124 élèves dont les parents déboursent 6 000 € par an pour
que les enfants aient le niveau pour aller dans l’enseignement du réseau
français. L’enseignement en français a une carte à jouer, celle de l’ouverture
sur le monde au-delà de la langue en elle même. Ces petits Turcs auront une
ouverture vers le cinéma, la peinture, la philosophie que peu de systèmes
éducatifs pourront leur offrir.

Et vous Ivan Kabacoff, que vous a apporté la francophonie ?

Je suis d’origine russe, je parle russe et c’est le fait de parler cette langue qui
m’a permis il y a 20 ans d’obtenir un travail où je devais œuvrer à la promotion
du français dans les pays russophones ! La langue française est pour moi un moyen unique de voyager, de découvrir l’autre, de comprendre sa culture et de partager la mienne, où que je sois dans le monde. Quel bonheur, au travers de l’émission, d’être le porte-voix de tous ces francophones engagés. C’est une manière de leur rendre ce qu’ils me donnent.

Propos recueillis par Arnaud Galy
Rédacteur en chef de l’AFI

Photos : Aimablement prêtées par Ivan Kabacoff et TV5Monde

Partagez cette page sur votre réseau :