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GEORGIE - Retour sur l’année 2016-2017

GEORGIE - Retour sur l’année 2016-2017

15 septembre 2016 - par Mirian Méloua 
 - © Flickr - did.van
© Flickr - did.van

L’essentiel pour un Géorgien est de vider d’un trait son verre de vin, après un discours fleuri et avant un prologue choral à plusieurs voix : tel est en tout cas l’art de la table qu’il porte en héritage. Depuis la restauration de son indépendance, il a vu son pays gouverné par trois majorités présidentielles (Zviad Gamaskhourdia en 1991, Edouard Chevardnadze à partir de 1992, Mikheil Saakachvili à partir de 2004) et par une majorité parlementaire (Bidzina Ivanichvili à partir de 2012, année de modification de la Constitution donnant le pouvoir au Premier ministre). Il a vu ces majorités faire, et parfois défaire, les progrès vers une démocratie politique et économique souvent empêtrée dans la transition du modèle soviétique au modèle libéral. Son optimiste naturel, autre héritage qui a permis à la Géorgie de survivre à vingt siècles d’invasion, lui fait néanmoins chanter les lendemains, au propre et au figuré.

POLITIQUE

Les élections législatives du 8 octobre 2016 confirmeront cette évolution, quels qu’en soient le vainqueur, le Parti du « Rêve géorgien » (fondé par Ivanichvili) et les autres partis associés, ou le « Mouvement national Uni » (fondé par Saakachvili) ; l’émergence d’un troisième vainqueur serait surprenante (comme le Parti « Notre Géorgie-Démocrates libres » fondé par Irakli Alassania, homme politique ayant travaillé tour à tour avec les deux majorités précédentes). Il s’agit pour les électeurs géorgiens de choisir entre deux orientations gouvernementales dont les politiques étrangères sont similaires (rapprochement avec l’Union européenne et l’OTAN, malgré les réserves de l’Allemagne et de la France allongeant les délais afin de suivre leurs opinions publiques, dans l’espoir secret de voir la Russie revenir à un jeu plus constructif), mais dont les politiques intérieures sont un peu plus différenciées, en termes économiques (les contraintes s’exerçant, peu de ressources naturelles et de création de richesses, commerce extérieur en déséquilibre structurel) et en termes humains (héritage d’un chômage récurrent et d’une émigration des générations actives). Le poids de l’Église orthodoxe de Géorgie (longtemps enclavée dans un dialogue exclusif avec l’Église orthodoxe de Russie, dirigée par le même patriarche depuis 1977 et initialement réservée quant à la tenue du Concile Panorthodoxe de juin 2016, en Crête) constitue pour les uns et les autres une contrainte supplémentaire en termes d’évolution sociétale.

ÉCONOMIE

Les principaux indicateurs publiés par l’Office national de statistiques de Géorgie (2) peuvent donner lieu à deux lectures, une positive pour 2015 avec un PIB en croissance de 2,8 % (continuant à croitre à ce rythme au 1er semestre 2016), un chômage à 12 % (en diminution et sur la même pente en 2016), une négative pour 2015 avec une inflation de 4 %, des investissements directs étrangers en diminution de 23 %, une balance commerciale déficitaire de 5,5 milliards de dollars et une population recensée à 3,7 millions d’habitants (soit inférieure de 770 000 aux estimations de la dernière décennie). Ces mêmes statistiques géorgiennes indiquent que 10 % de la population vivraient sous le seuil de pauvreté ; les statistiques des Nations unies – non officielles — mentionnent un pourcentage double, certaines ONG un pourcentage triple. La part française du commerce extérieur géorgien reste marginale. Des entreprises françaises, encouragées par la Chambre de commerce et d’industrie franco-géorgienne (3), ont pris pied en Géorgie depuis plusieurs années (Alstom, Entrée, Lactalis, Sanofi Aventis, Schneider Electric, Servier, Société Générale…) : pour les 12 derniers mois, l’enseigne Carrefour a étendu son offre, les boulangeries Paul se sont implantées.


Inauguration d’une boulangerie Paul (Photo aimablement prêtée par l’auteur)

INDUSTRIE
Les activités d’extraction de charbon, manganèse et métaux ferreux, passées sous contrôle privé, ont diminué en 2015. Une grève de deux semaines, en février 2016, a paralysé les mines de charbon de Tkibouli et a conduit à une amélioration des conditions de travail. La direction des mines de manganèse de Tchiatoura a suspendu l’extraction de janvier à mai 2016 faute de demande sur le marché international. Les exportations, qui avaient déjà diminué de 32 % en 2015 (194,5 millions dollars), diminueront drastiquement en 2016.

SCIENCES

À l’inverse des pays occidentaux qui ont généralisé les antibiotiques, les milieux médicaux géorgiens pratiquent depuis un siècle la phagothéraphie, une technique médicale de soin des infections dues à des bactéries multi-résistantes (staphylocoque doré, streptocoques, salmonella…) par des virus bactériophages présents dans la nature. L’origine de cette aventure scientifique remonte à l’amitié, en 1923, entre le professeur géorgien Eliava et le professeur français Hérelle de l’Institut Pasteur, les milieux médicaux français ayant abandonné cette technique, l’Institut Eliava (4) la développant et constituant l’une des banques de virus bactériophages couvrant un spectre très large. La phagothérapie soigne aujourd’hui des patients français sur le territoire géorgien et est en cours d’homologation par les autorités sanitaires françaises.

SPORTS

Les Géorgiens excellent dans plusieurs disciplines, les échecs, l’haltérophilie, la lutte, le judo et le rugby par exemple. Le 19 mars 2016, l’équipe nationale de rugby a été sacrée pour la 5e fois championne d’Europe (2e Division) : une polémique a opposé l’Italie (dernière de la 1re Division) et la Géorgie, les autorités sportives ne prévoyant pas de descente et de montée automatiques (ce dispositif permettrait à l’équipe nationale géorgienne de disputer le Tournoi des 6 Nations). Le 24 avril 2016, l’équipe nationale masculine de judo est une nouvelle fois championne d’Europe, devant l’équipe nationale russe, à Kazan. Le 29 avril 2015, l’équipe nationale féminine d’échecs remporte le Championnat du monde, devant l’équipe nationale russe, à Chegdu, en Chine.

CULTURE

Selon les anciens Grecs, la Géorgie est un pays de culture depuis l’Antiquité : il serait inéquitable de la limiter aux arts traditionnels (émaux et icônes, musiques, danses et chants populaires) qui perdurent et s’exportent aujourd’hui en Europe et ailleurs par le vecteur des diasporas. Il serait tout aussi inéquitable de ne citer qu’un seul ou une seule interprète d’art lyrique, de danse ou d’instruments classiques, tant leur nombre est grand et tant la taille du public géorgien les conduit à se produire à l’étranger. Pourtant ce début d’année 2016 aura été l’explosion médiatique d’une pianiste géorgienne de 28 ans, présente sur la scène internationale par ses récitals et ses concerts symphoniques, présente dans la presse écrite par ses interviews, à la radio par ses animations de tranches musicales (elle est parfaitement francophone) et à la télévision par ses passages dans les émissions sérieuses et humoristiques (elle est particulièrement jolie), présente aussi par les controverses qu’elle soulève parfois pour son interprétation de Ravel ou pour son caractère fort, Khatia Buniatishvili. Pur produit de l’École de Tbilissi, aguerrie par dix années de travail à l’international, elle s’inscrit dans la trajectoire de ses ainés.

Francophonie. À l’inverse de leurs prédécesseurs, ni le président actuel de la République de Géorgie, ni le Premier ministre ne sont francophones ; seul le ministre des Affaires étrangères l’est (études supérieures à Grenoble). La volonté politique des autorités géorgiennes de s’ouvrir à l’international, maintenue après l’alternance de 2012, a propulsé la langue anglaise dans les écoles publiques au détriment du russe, mais aussi du français et de l’allemand qui étaient enseignés marginalement. L’École française du Caucase (5), de droit privé, a fêté ses 10 années d’existence ; d’autres collèges et lycées (6) — publics et privés — pratiquent également l’enseignement de la langue française, comme langue de culture, notamment sous l’impulsion du précédent ambassadeur de France, Renaud Salins. En mars 2016, à Tbilissi et en province, la francophonie a été à l’honneur durant un mois entier grâce aux efforts de l’Institut français de Géorgie (7) (conférences, lectures, cinéma, théâtre, jeux, concours…). Si durant les deux décennies précédentes plusieurs dizaines de milliers d’élèves ont suivi des cours de français, l’Organisation Internationale pour la Francophonie estimait en 2015 que le territoire géorgien comportait 18 000 locuteurs de langue française. À ce chiffre pourrait s’ajouter le nombre de citoyens géorgiens vivant aujourd’hui en France, en Belgique wallonne, en Suisse romande et au Canada francophone, lorsqu’ils reprendront le chemin du retour.


Ecole française du Caucase (Photo aimablement prêtée par l’auteur)

Perspectives. À très court terme, il est probable que les élections législatives d’octobre 2016 se déroulent selon les normes internationales, comme en 2012 lors de l’alternance politique. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) y veillera par l’intermédiaire de plusieurs centaines d’observateurs. L’enjeu est de taille pour la Géorgie si elle veut définitivement entrer dans le club des démocraties modernes. À moyen terme, les efforts seront portés à la fois sur la recherche de marchés nouveaux pour les exportations (noisettes, eaux minérales, alcools, vins et produits agricoles), sur le tourisme international (infrastructure hôtelière haut de gamme pour les congrès, circuits touristiques et culturels) et sur le vecteur de communication (et d’apport de devises) que constituent les diasporas à l’étranger (de l’ordre du million de personnes, et peut-être plus). À long terme, le défi pour ce pays, non industrialisé, est son positionnement économique par rapport à ses trois grands voisins (Russie, Turquie et Iran) et par rapport à ses plus petits voisins (pays de la mer Caspienne et pays de la mer Noire). Si les relations politiques avec la Russie sont figées depuis 2008 pour cause de soutien à l’Ossétie du Sud et à l’Abkhazie, les relations économiques ne le sont pas : les raisons en sont le bénéfice financier tiré des exportations vers Moscou (vins, eaux minérales.. ) — certes en moindre quantité que jadis —, les taxes apportées par le transit sur le territoire géorgien des marchandises russes destinées aux Arméniens, et les envois de devises de l’importante diaspora géorgienne résidant sur le territoire russe. Les relations avec la Turquie, premier partenaire pour le commerce extérieur, officiellement au beau fixe, dépendent aussi des secousses politiques entre Ankara, les États-Unis et l’Europe. Les perspectives d’ouverture de l’Iran à l’international (pays qui a marqué la culture géorgienne) constituent une opportunité pour Tbilissi. Afin de bénéficier des hydrocarbures de la mer Caspienne, la Géorgie n’a pas d’autre choix que d’entretenir de bonnes relations avec le régime azerbaidjanais quelle qu’en soit sa nature. À l’opposé, la mer Noire constitue la frontière « naturelle » avec l’Union européenne — et l’Ukraine — : elle complète le couloir de transit que constitue le territoire géorgien de la lointaine Chine à la vieille Europe, réinventant la route de la soie. Une partie des politologues géorgiens s’accrochent à cette perspective, valorisant leur pays comme une plaque tournante de communication Nord/Sud et Est/Ouest. Reste à savoir si leurs concitoyens en toucheront les dividendes à temps afin qu’ils ne s’expatrient plus en masse et ne mettent pas la démographie du pays définitivement en péril. Nul doute que le chef de table, le « tamada », qui régule les discours des uns et des autres, saura le rappeler à bon escient avant que l’assemblée ne vide son verre d’un trait !


Notes
(1) Les Infos Brèves France Géorgie http://www.samchoblo.org/Infos_Breves_France_Georgie.htm
(2) National Statistics Office of Georgia : http://geostat.ge/index.php?action=0&lang=eng
(3) Chambre de Commerce et d’industrie franco-géorgienne : http://www.ccifg.ge/
(4) Institut Eliava : http://www.sesoignerengeorgie.com/
(5) École française du Caucase : http://www.efc.edu.ge/index.php/fr/
(6) Recherche de professeurs de français https://www.youtube.com/watch?v=PkCLVE48Vc4
(7) Institut français de Géorgie : http://www.institutfrancais.ge/fr/

Mirian Méloua
Rédacteur en chef des Infos Brèves France Géorgie
mirian.meloua@wanadoo.fr

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