Il s’agit en fait de la poursuite d’une guerre entamée en février/mars 2014 où, suite à la « révolution de la dignité » et aux événements du Maïdan (place centrale de Kyiv), la Russie avait annexé la Crimée avec des troupes sans signes distinctifs d’appartenance (on les avait appelés à l’époque les petits « bonshommes verts »). Simultanément, la Russie avait infiltré avec des unités de diversion différentes villes du Sud-Est de l’Ukraine : Kharkiv, Louhansk, Donetsk et Odessa, pour ne citer que les plus importantes. Elles étaient censées, avec le soutien de collaborateurs locaux, renverser le pouvoir en place et installer des autorités dévouées à Moscou. Ce scénario fut stoppé net dans des villes comme Odessa ou Kharkiv mais connut le succès à Donetsk et à Louhansk, où des gouvernements fantoches furent mis en place. Cette première agression avait déjà provoqué des mouvements de population et près de 15.000 morts.
Certains « experts » parlent à ce propos de « guerre civile » dans le Donbass… Il est clair que sans l’ingérence de la Russie, d’abord par voie d’infiltration et de déstabilisation, puis par un soutien armé, il n’y aurait jamais eu de création des soi-disant « Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk ». Il ne s’agit donc pas d’une guerre civile mais bien d’un épisode d’une guerre plus vaste qui a pris toute son ampleur avec l’invasion à large échelle du 24 février 2022. Sans l’ingérence de la Russie, les différends qui pouvaient exister au sein de l’Ukraine auraient été traités par voie légale et parlementaire, conformément à la Constitution ukrainienne.
Rappelons que suite à un « référendum » la Crimée est annexée par la Russie le 18 mars 2014. Le 27 mars, l’Assemblée générale des Nations-Unies adopte une résolution qui souligne le caractère invalide du référendum et du rattachement de cette péninsule à la Russie. Quatre autres oblasts (régions) sont annexées par la Russie le 30 septembre 2022. Il s’agit des oblasts de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson. Ces annexions ont été précédées de référendums fictifs organisés par les autorités administratives installées par la Russie, avec des votes favorables au rattachement à la Russie de l’ordre de 87% à 99%. La Russie annexe donc des territoires ukrainiens qu’elle ne parvient même pas à occuper totalement, sur base de soi-disant « référendums » organisés sans observateurs indépendants (à part quelques observateurs invités par la Russie), en violation flagrante du droit international.
Ce qui devait du côté russe être une guerre éclair qui devait se terminer en quelques jours avec la prise de Kyiv et la mise en place d’un gouvernement fidèle à la Russie est devenu une guerre de longue durée avec un impact mondial, déstabilisant l’ordre international (la Russie , membre du Conseil de sécurité de l’ONU, avec droit de veto, agresse un pays voisin en violation flagrante de toutes les règles du droit international), menaçant la sécurité alimentaire (blocus des exportations de céréales via la mer Noire), exacerbant le risque et la menace nucléaire (centrale de Zaporijjia), causant un exode massif de la population ukrainienne vers les pays de l’UE, drainant des ressources énormes, impactant notamment des domaines tels que l’énergie ou encore l’écologie…
Selon le site d’information paneuropéen « Euractiv », les pertes militaires seraient abyssales, avec 180.000 morts ou blessés parmi les soldats russes et 100.000 du côté ukrainien. D’autres sources occidentales évoquent 150.000 pertes dans chaque camp. A titre de comparaison, en dix années de guerre en Afghanistan (1979-1989), l’armée soviétique aurait eu 15.000 morts. Le tribut civil serait terrible avec 30 à 40.000 morts (plus de 20.000 morts civils dans l’anéantissement d’une ville comme Marioupol). Fin janvier, l’ONU évaluait à 18.000 le nombre de tués et de blessés civils, tout en reconnaissant que « les chiffres réels sont considérablement plus élevés ». Parmi les morts, il y aurait selon Kyiv, plus de 400 enfants. La plupart des victimes sont mortes lors de bombardements russes. 30% du territoire ukrainien est recouvert de mines. Selon les spécialistes, il faudra des décennies pour décontaminer les sols.
Toujours selon « Euractiv », les crimes de guerre sont innombrables. La guerre en Ukraine restera associée à des images indélébiles avec les massacres de Boutcha, près de Kyiv, après le retrait des forces russes en avril ; le bombardement devant la gare de Kramatorsk où se rassemblaient des civils qui tentaient d’évacuer la région ; une maternité frappée à Marioupol en mars… Selon le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, près de 65.000 crimes de guerre présumés ont été signalés. Exécutions, viols, tortures et kidnapping d’enfants ont été imputés aux troupes russes, accusées en septembre par des enquêteurs de l’ONU d’avoir commis des crimes de guerre « à grande échelle ».
Selon l’ombudsman aux droits humains de la Verkhovna Rada (Parlement ukrainien), la Russie ne communique aucune information sur les enfants enlevés. A part les cas vérifiés qui s’élèvent à plus de 14.000, le nombre réel d’enfants enlevés pourrait être supérieur à 150.000. La Cour pénale internationale a ouvert dès le 2 mars 2022 une enquête sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Ukraine.
La question des réfugiés est, elle aussi, terrifiante. Selon l’ONU les combats ont poussé près de 8 millions de personnes à quitter l’Ukraine et plus de 5 millions se sont déplacées à l’intérieur du pays. Du côté russe, on affirme qu’au moins 5 millions d’Ukrainiens ont quitté leur pays pour la Russie, alors que Kyiv évoque pour sa part des « évacuations forcées ».
« Euractiv » précise encore que le coût de cette guerre est dramatique pour l’Ukraine dont le PIB s’est contracté de 30% en 2022, selon la Banque Mondiale. De son côté, la Kyiv School of Economics estimait, en janvier, que le montant des dommages s’élève à 138 milliards de dollars et que les pertes pour l’agriculture se montent à 34 milliards. L’UNESCO, quant à elle, dénombre plus de 3.000 écoles et 239 lieux culturels touchés, alors que Moscou continue à cibler systématiquement les infrastructures énergétiques. En décembre, au début de l’hiver, près de la moitié d’entre elles avaient été endommagées, plongeant les Ukrainiens dans le noir et le froid.
A la conférence de Munich sur la Sécurité, ce 18 février, le Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg a mis en garde contre une défaite de l’Ukraine. « Le plus grand risque de tous est que Poutine gagne. Si Poutine gagne en Ukraine, le message pour lui et d’autres dirigeants autoritaires sera qu’ils peuvent utiliser la force pour obtenir ce qu’ils veulent ». La Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a lancé un appel à « redoubler d’effort » dans l’aide militaire à l’Ukraine, afin de « faire échouer les plans impérialistes de Poutine ».
La poursuite de l’aide militaire à l’Ukraine est cruciale. Après une période initiale d’incertitude, où les partenaires avaient hésité à fournir à fournir certains types d’armes - il s’agissait de vérifier la capacité de l’armée ukrainienne à utiliser celles-ci à bon escient, mais aussi de vérifier qu’elles soient utilisées à bonne fin et puis, on avait peur de « provoquer » la Russie – nous avons vu, suite aux réunions de Rammstein qui coordonnent et évaluent les besoins, une croissance et une amélioration de l’aide militaire. Après les armes de défense légères de type Stinger, on a commencé à livrer des canons à longue portée, des batteries de missiles, des chars lourds…et la question de la livraison d’avions de combat est sur la table. Tout ceci nécessite également du temps pour former le personnel militaire, les équipes, les pilotes, l’intendance, l’entretien de l’équipement fourni, la logistique. Et puis, il faut aussi approvisionner l’armée en munitions, en pièces de rechange, sans lesquelles ces armes ne servent pas à grand-chose.
Pour en revenir à la situation actuelle, rappelons que l’Ukraine est un pays agressé et qu’il y a un agresseur, la Russie. L’Ukraine lutte pour défendre son territoire, son existence, sa survie en tant que pays et son choix existentiel, celui de vivre comme un pays souverain, celui de construire en Ukraine un Etat de droit, démocratique et débarrassé d’une corruption endémique qui est malheureusement un héritage empoisonné dans tous les pays issus de l’ex-URSS.
Nous rappellerons que la Russie a justifié son intervention par la « dénazification de l’Ukraine » …Or, l’extrême droite en Ukraine est moins importante qu’en France ou en Belgique ou dans de nombreux autres pays européens. Lors des dernières élections en Ukraine, les partis d’extrême droite ont obtenu moins de 2% des suffrages ! Ceci, sans parler des origines juives du Président Zelensky lui-même, ou de de celles de Volodymyr Groysman, son ancien Premier Ministre…
Pour mémoire, je rappellerai que, le 4 avril 2022, le site de l’agence de presse russe Ria Novosti a mis en ligne une tribune de Timofeï Sergueïtsev (un des principaux idéologues de la « dénazification ») qui revient sur le concept de « dénazification » utilisé par Poutine pour justifier son agression sur l’Ukraine et explicite ce concept, dont il est un des principaux idéologues et théoriciens. Ce texte exprime pour la première fois, sans aucune ambiguïté, que la guerre menée par Poutine ne s’attaque pas seulement à l’Ukraine mais à l’ensemble des valeurs européennes et occidentales : « L’Occident collectif est lui-même le concepteur, la source et le sponsor du nazisme ukrainien…la dénazification sera inévitablement une désukrainisation…l’Ukraine, comme l’histoire l’a montré, ne peut exister en tant qu’Etat-nation et les tentatives de « construction » d’un tel Etat mènent inévitablement au nazisme…la dénazification de l’Ukraine est aussi son inévitable déseuropéenisation…la Russie n’aura pas d’alliés dans la dénazification de l’Ukraine, puisqu’il s’agit d’une affaire purement russe, et aussi parce que ce n’est pas seulement (…) l’Ukraine nazie qui sera éradiquée mais aussi et surtout le totalitarisme occidental, les programmes imposés de dégradation et d’effondrement des civilisations, les mécanismes de subordination à la superpuissance de l’Occident et des Etats-Unis ».
Il est intéressant de voir que dans sa lutte pour « dénazifier l’Ukraine » et « l’Occident », Moscou finance et s’appuie notamment sur les partis d’extrême droite pour déstabiliser les systèmes démocratiques, alors qu’en tant que « dénazificateur », il devrait s’y opposer !
Ce dont il a peur en Ukraine, c’est que celle-ci se réapproprie sa propre histoire et dévoile la façon dont Moscou a élaboré ses mythes historiques de « Sainte Russie », de « Troisième Rome », mais aussi son impérialisme et son messianisme. Pour la Russie, l’Ukraine doit donc être détruite, elle est un témoin gênant.
Et puis, il y a également la peur panique de la contagion démocratique de la Russie par une Ukraine qui se développerait comme un Etat européen respectant la primauté du droit et qui risquerait de contaminer le régime totalitaire et cleptocrate mis en place par Poutine.
Il est très difficile de prédire aujourd’hui la fin de la guerre que la Russie mène à l’Ukraine, mais quelle que soit son issue, elle a déjà un impact profond sur l’Europe, sur l’ordre international et les nouveaux équilibres mondiaux.