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Guinée et Paris, la Maison des Journalistes et Benn Pepito
Extraits de "Territoire des mémoires" de Benn Pepito - L’Harmattan
... Exilés certes, mais toujours journalistes et plus que jamais déterminés à libérer la parole confisquée dans leur pays. C’est pourquoi la Maison des Journalistes leur offre les moyens techniques de poursuivre leur travail...
Benn Pepito salue d’un grand sourire la jeune femme de permanence au bureau d’accueil et monte vivement les escaliers. Il tient sous son bras un ordinateur portable. A l’étage, il s’installe sur une petite table, ouvre l’écran et se connecte à « Ondes de Guinée* ». Il a passé la nuit à écrire un long texte vif et engagé sur un sujet qu’il connaît par cœur : La ténébreuse vie politique en Guinée. Benn Pepito a 40 ans, il est journaliste et surtout… il est en exil à Paris depuis presque deux ans.
« Le gouvernement actuel a repris les pantoufles du Président Sekou Touré quand celui-ci est mort en 1984. Comme dans toutes les dictatures, les chefs voient des ennemis partout ». Naturellement le journaliste, s’il n’est pas affilié au pouvoir représente un ennemi de première catégorie. Ben Pepito fait partie de ceux-là. Depuis 1998 il travaillait pour un hebdomadaire de Conakry, « la Lance », le journal qui perce les événements ! « En Guinée, le pouvoir laisse la presse écrite relativement libre. La raison est simple, 80% des Guinéens ne savent pas lire. Les ondes radios sont hautement surveillées et les radios étrangères ou libres ne peuvent s’y implanter aisément. Comme journaliste de presse écrite, j’avais la possibilité de travailler presque normalement. »
« Presque normalement ». Derrière sa formule se cache une réalité plus obscure. De temps en temps le pouvoir guinéen montre sa force, il frappe fort pour que les journalistes intègrent la crainte. Les scénarios pour déstabiliser sont nombreux et dignes des romans d’espionnage. Pour résumer une situation complexe, disons que Ben Pepito était en relation avec un membre important de l’opposition guinéenne. Cet opposant, accusé de tous les maux par le pouvoir, disparut un jour. Ben Pepito fut accusé de détenir des informations sur cette disparition. Intimidation, filature, emprisonnement, passage à tabac à son domicile devant sa famille… Ses confrères de « la Lance » et les correspondants de RFI, Reuter ou BBC le soutinrent sans succès. La situation devenant insupportable Ben Pepito prit la direction du Sénégal, puis de Paris. Laissant à Dakar, sa femme et son fils, que la France refuse d’accueillir… pour le moment.
Daniel Ohayon
Ph : ZigZagthèque
Algériens, Birmans, Cubains, Camerounais, Haïtiens… qu’ils soient francophones ou nécessitant l’aide d’un interprète, plus de 110 journalistes de près de 40 nationalités sont venus reprendre leur souffle à la Maison des Journalistes depuis son ouverture il y a deux ans. La Ville de Paris, le Fonds Européen aux Réfugiés et des grands groupes de presse, tous types de médias confondus, sont partenaires de cet « hôtel » d’un genre particulier. Chaque résident bénéficie d’une chambre pendant 6 mois. Daniel Ohayon, journaliste à Radio France et présidente de l’association, traduit bien le malaise que ressentent les exilés : « Chez eux ils sont reconnus et font partie des privilégiés jusqu’à ce qu’une élection, un coup d’état ou une fait d’actualité les obligent à quitter leur terre. Ici, ils ne sont rien, inconnus, sans papier, obligés de demander assistance ». Au bout des six mois d’urgence, aidés par une assistante sociale, ils trouvent des logements en foyer ou leur propre réseau les accueille. L’OFPRA* étudie leur cas… seront-ils légaux ou illégaux ?
Des murs en guise de liberté !
Ph : ZigZagthèque
Exilés certes, mais toujours journalistes et plus que jamais déterminés à libérer la parole confisquée dans leur pays. C’est pourquoi la Maison des Journalistes leur offre les moyens techniques de poursuivre leur travail. Internet est naturellement l’outil le plus utilisé. Un journal en ligne, « l’œil », permet aux résidents de continuer à rédiger des articles. Le groupe « Radio France » diffuse une revue de presse réalisée par les exilés et certains trouvent du travail auprès des partenaires de la Maison ou de médias destinés à la diaspora de leur pays.
Depuis quelques mois, Benn Pepito ne vit plus à la Maison des Journalistes. Il a laissé sa place à d’autres. Pour lui, la Maison reste une sorte de « quartier général », un lien avec la profession, une oreille attentive à ses coups de blues et une connexion Internet avec son pays. Pour lui, comme pour l’immense majorité de ses compagnons d’exil, le but est de rentrer au pays. Le futur défi de Benn Pepito, le jour où il rejoindra les siens, sera de participer à l’éclosion des radios « libres » et de toucher tous les Guinéens en pratiquant les langues vernaculaires. Benn Pepito ne souhaite pas s’installer durablement à Paris. Conakry et sa famille restée en panne au Sénégal lui manquent... il suffirait d’une véritable élection ou d’un fait nouveau dans l’actualité pour qu’il reprenne la plume ou le micro depuis Sa Guinée. En attendant il pianote sur son clavier d’ordinateur… l’esprit en Guinée, le cœur entre Conakry et Dakar.
*OFPRA : Office Français de protection des Réfugiés et Apatrides
L’article a été écrit en 2007 - La vie de Benn Pepito et de sa Guinée ont changé. Toutefois la Maison des Journalistes poursuit son œuvre, les journalistes exilés sont toujours plus nombreux, toujours accueillis...
Benn Pepito a publié, en 2010, un roman inspiré par l’histoire de son pays depuis l’indépendance.
EXTRAITS
Territoire des mémoires
"Des terreurs de la révolution guinéenne"
L’Harmattan
Territoire des mémoires - Benn Pepito
L’Harmattan
Aliou écoute depuis deux heures la Voix de la révolution. Il ne discerne pas bien les jactances du « Chef Suprême » mais comprend grosso modo son verbiage. Même si l’école de la Révolution n’a pas trouvé utile de le former à l’école française, car elle argue que le fondamental c’est maitriser sa langue maternelle, Aliou se débrouille cahin-caha comme beaucoup de Guinéens actuellement pour écouter le Camarade Président Sékou Touré. Le primordial c’est d’écouter. Ecouter Mandjou. Le seul Africain à avoir osé balancer un retentissant « Non » au roué général De Gaulle, arrachant ainsi l’indépendance de la guinée. Sans sourciller, ce jour là, en septembre 1958, Sékou Touré dérobe la propriété intellectuelle du président ghanéen Kwamé Krumah qui dit bien : « Nous préférons la liberté dans le risque à l’opulence dans l’esclavage. » Sékou Touré traficote sa paraphrase et se fait l’écho de l’option de la Guinée pour l’indépendance immédiate auprès de son hôte, l’homme de l’appel du 18 juin 1940 qui avait lui aussi exigé la libération de son pays alors occupé par les nazis : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’exclavage. Nous disons : « non » au référendum garrottant la guinée à la merci de la France. De Gaulle reçoit cette demande d’indépendance formulée sur une intonation belliqueuse et dans une atmosphère électrique comme une offense à sa propre personne. Une claque à la politique d’outre-mer. Sidéré, il confie dans son entourage : « Messieurs, voilà un individu avec lequel nous ne pourrons jamais nous entendre. Nous n’avons plus rien à faire ici. Allons, la chose est claire : le 29 septembre au matin, la France s’en ira. » S’avouant ainsi vaincue et traînée dans la boue, la France débarasse précipitamment le plancher, au point d’oublier, se vante-t-on toujours, son képi à Conakry, la capitale guinéenne. Allez, ouste ! La Guinée ne sera pas un pré carré de la France. (pages 16, 17)
La prison de Labé comprend deux longs bâtiments qui se foudroient du regard. Entre les bâtisses, au fond, face à l’entrée principale, la Révolution a implanté la cabine de torture juste à côté des latrines. Forcément la violence, ça pue ! Le bâtimentde gauche est baptisé par la Révolution « Léopold Sédar SSenghor » du nom de l’actuel président sénégalais. Celui de droite « Félix Houphouët-Boigny », président de la Côte-d’Ivoire. Des noms solennels jetés dans la poubelle de la Révolution. Chaque bâtiment compte 13 cellules et affiche une lettre alphabétique sur sa porte. Les cellules du bâtiment Senghor ont l’honneur de porter dans le désordre les treize premières lettres de l’alphabet. Celles du bâtiment Houphouët-Boigny affichent les treize dernières. Dans chaque cellule de cinq mètres carrés croupissent au minimum dix victimes de la Révolution sékoutouréenne. Emile Dada est le patron de la prison de Labé. Mais Kasia Botha, dans son subconscient, se considère comme le commandant en chef de la forteresse de la ville. Il se prend pour pour le Che Guevara de la cabana de Labé. Son défi, à lui, est d’arriver à surpasser de loin le Che qui n’a fait qu’exécuter que « près de cent quatre-vingt sentences de morts » seulement. (page 43)
Les lèvres se crispent. Le Guide de la Révolution reprend un visage de cire. Terrifié, Aliou saute du lit. Il se carambole violemment contre la porte et plonge hors de la case. Il trébuche et s’écrase brutalement de tout son long sur les graviers. Le fantôme de Sekou Touré est à ses trousses ! Il se relève et fonce taper à la porte de sa mère en criant d’ouvrir. Il se rue dans les bras de sa mère, bousculant au passage Aïssatou révéillée par le vacarme. Safiatou enlace son fils et le berce en lui passant une main dans les cheveux. « Qu’est-ce qu’il y a mon bébé ? Qu’est-ce qui t’arrive encore ? Dis-moi vite ? »
Aïssatou tremble. Elle caresse le dos de son frère. Il est très effrayé.
J’ai fixé la photo de Sékou Touré, celle qui est accroché en face de mon lit, où on le voit debout. J’ai vu sa bouche s’ouvrir. De mes propres oreilles, je l’ai entendu dire qu’il va régner dans le sang et les excréments du peuple et qu’il n’y a aucun sacrifice à faire pour le décrotter du pouvoir. Et subitement il s’est tu. Je n’ai pas rêvé. J’ai même cru voir ses yeux lancer des flammes.
Où est ta lampe-torche ? Lui demande Safiatou sous le regard affolé de Aïssatou.
J’ai eu très peur. Je suis sorti précipitamment et j’ai laissé la lampe-torche dans ma chambre.
Assaïtou, attrape la lampe-tempête ! Suivez-moi, tous les deux !
Ils la talonnent et entrent dans la petite case de torchis aux murs constellés de photos noir et blanc des grands despotes de ce monde. La vieille Safiatou décroche d’abord la grande photo de l’enchanteur de la Révolution guinéenne. Elle la déchire et l’émiette avec ce brin de commentaire : « Sekou Touré n’est pas un être humain normal ! C’est un démon... » (pages 91, 98)