Être haïtien, leçon d’humanité à un monde de plus en plus xénophobe
Une amie algérienne de naissance me faisait remarquer que la seule nationalité qui correspondait à son idéal d’humanité était la nationalité haïtienne. Voilà pourquoi, lors de la guerre civile dans son pays dans les années 90, elle s’est fait naturaliser haïtienne. Depuis, elle renouvelle régulièrement son passeport haïtien. Cette anecdote a le mérite de nous renseigner sur le fait qu’être Haïtien est un attachement à un idéal que ne cesse de brandir, en dépit de tout, cet État d’Haïti à la face du monde depuis les premières années de sa naissance. Or, la plus belle définition de cet idéal et du Haïtien sont donnés dès le préambule de la constitution de 1807. Est haïtienne, nous dit le texte, toute personne qui pose le pied sur cette terre où des esclaves se sont libérés pour la toute première fois dans l’histoire de l’humanité du joug de l’asservissement. Si le préambule n’était pas assez explicite, Alexandre Pétion acheva de préciser que Haïti postule une altérité ouverte et tolérante. Le Président d’Haïti de l’époque l’écrit en réponse à un armateur négrier qui avait fait naufrage près de la Grand-Anse et qui exigea que ses biens amenés à terre par les vagues lui soient restitués y compris les esclaves, promis à être revendus en Louisiane, et qui selon le Code Noir étaient tout simplement des « biens meubles ».
Dans cette lettre, avec tout le calme qui le caractérise, Pétion informe cet ennemi de la liberté qu’il a ordonné que ses biens lui soient rendus. Quant aux personnes, qu’on présuppose sans-papiers, qui étaient sur le navire, ayant posé le pied sur le sol haïtien, elles sont devenues Haïtiennes. En l’occurrence, il ne peut demander à des citoyens de s’aliéner. Toutefois, Pétion indique à l’armateur que, s’il a des griefs contre ces nouveaux Haïtiens, il n’a qu’à se pourvoir par-devant les tribunaux. Par la suite, même des chefs d’État, Nord Alexis par exemple, qui n’étaient pas connus pour être des lumières ont perpétué cet héritage en assurant aux premiers Syro-Libanais entrés dans le pays au début du 20ème siècle qu’ils étaient des Haïtiens comme les autres. Ainsi être haïtien, ce n’est pas être en possession d’un document administratif. La majorité des paysans haïtiens n’ont même pas un acte de naissance. Être haïtien, c’est être attaché à un idéal de liberté, d’égalité et d’accueil. Comme le dit un proverbe que citent volontiers les très vieux : « si gen pou fè 2 asyèt, ap gen pou fè 3 / s’il y a à manger pour deux, il y en aura pour trois ». C’est cet attachement à l’altérité qui fait de tout Homme un citoyen haïtien potentiel que notre monde, de plus en plus tenté par la peur de l’autre, le racisme et la xénophobie, devrait prendre pour modèle.
Fritz Calixte est le directeur de publication de Haïti Monde - à lire dans Agora (Archive)