10 novembre 2020
Depuis 44 jours, la devise des Arméniens était « Nous allons gagner ». Même si cette victoire semblait difficile, nous nous devions de garder l’espoir et de nous battre jusqu’au bout, car il en allait de la survie de notre peuple. Face à nous, cependant, il y avait des monstres bien trop grands : l’Azerbaïdjan, la Turquie (membre de l’OTAN, faut-il le rappeler ?), et quelques milliers de djihadistes venus de Syrie.
Maniant avec génie les outils préférés des dictatures - propagande, terreur et mensonges - et confortablement assis sur l’argent des ressources pétrolières, les adversaires des Arméniens ont tué en toute impunité et dans l’indifférence du monde, une fois de plus, en utilisant des armes interdites par le droit international : bombes à sous-munitions, bombes au phosphore blanc… et niant grossièrement s’être attaqué aux populations civiles alors même que toutes les preuves étaient réunies pour le confirmer. Hier encore, le Président azerbaïdjanais Ilham Aliyev insultait frontalement une journaliste de la BBC, avançant que ses collègues envoyés à Stepanakert diffusaient des fausses nouvelles… Ces derniers avaient rapporté les bombardements délibérés sur les populations civiles arméniennes.
La nuit du 10 novembre 2020, c’est le couteau sous la gorge et les drones kamikazes au-dessus de nos têtes que le Premier ministre arménien Nikol Pachinian accepte de signer un accord « indiciblement douloureux pour nous tous », ce sont ses mots, avec le Président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le Président russe Vladimir Poutine. Cet accord met en place un arrêt des combats et la cession de territoires de la région du Haut-Karabagh à la partie azerbaïdjanaise. La région autour de Stepanakert passe sous le contrôle militaire russe chargée du maintien de la paix. À ajouter aussi qu’une route sera construite pour relier l’enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan avec le reste du pays, assurant ainsi une continuité territoriale entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, et menaçant sérieusement l’intégrité territoriale de la République d’Arménie. Et la Russie qui observait attentivement les événements qui se produisaient aux confins de son ex-Empire, attendant le moment opportun pour intervenir et asseoir de nouveau sa puissance… La démocratie est malheureusement une menace pour la survie des petits pays.
Quelques minutes après la publication de l’accord, des centaines de manifestants arméniens se sont rassemblés dans le centre de la capitale Erevan, et ont même réussi à pénétrer dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, pillant et saccageant les bureaux, lynchant Ararat Mirzoyan, le président de l’Assemblée. Certains d’entre eux sont même allés jusqu’à cambrioler la maison de Nikol Pachinian lui-même, volant montres et parfums. Ces hommes qui avaient déserté le front demandent aujourd’hui la démission du Premier ministre. Certains de ces hommes soutiennent les gouvernements des oligarques, rongés par la corruption, qui s’étaient succédé pendant 25 ans après la chute de l’URSS. Ces hommes qui ont volé l’argent du pays, l’argent qui aurait dû servir à moderniser l’armée, l’argent qui aurait au moins pu faire que les gens vivent mieux. Mais pourquoi tous ces hommes énervés par l’accord du cessez-le-feu n’étaient-ils pas sur le champ de bataille ?
Peut-être serait-il temps de revoir l’éducation de nos enfants, peut-être serait-il temps d’arrêter de leur mentir en leur transmettant des valeurs d’amour, de solidarité, d’entraide, de paix, peut-être serait-il temps de leur dire que c’est en massacrant et en détruisant qu’on arrive à ses fins dans ce monde… Car si dans les contes, les gentils gagnent à la fin, la réalité est tout autre. Le 10 novembre 2020, les génocidaires impunis ont été récompensés pour leur crime.
4 novembre 2020
Quid du soutien à l’Arménie ?
En octobre 2018, l’Arménie accueillait le XVIIè Sommet de la Francophonie à Erevan. La même année, au printemps, les Arméniens s’engageaient dans une révolution pacifique – la « Révolution de velours » – et rompaient avec les gouvernements corrompus qui se succédaient depuis la chute de l’URSS en 1991. L’ancien journaliste Nikol Pachinian fut alors élu Premier ministre et le peuple de la « Nouvelle Arménie » retrouva le goût de la politique.
C’est une tout autre actualité que je veux évoquer ici.
Depuis le 27 septembre dernier, le même Nikol Pachinian s’est transformé, malgré lui, en chef de guerre. Depuis ce jour, en effet, l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, a provoqué une guerre d’une extrême violence contre les Arméniens de la région d’Artsakh (connue aussi sous le nom de Haut-Karabagh, ou encore Nagorny Karabagh). À l’heure où le monde entier surmonte avec difficultés les conséquences de la pandémie mondiale de la Covid-19, et se prépare même à une deuxième vague qui s’annonce plus grave que la première, l’Azerbaïdjan et la Turquie, fidèles alliés dans la haine des Arméniens, semblent avoir d’autres préoccupations : exterminer la population d’Artsakh.
L’histoire de cette région, et plus largement du Caucase du Sud, est très mouvementée et donne lieu à de nombreux récits, dont certains sont contradictoires. Difficile de s’y retrouver, peut-être, mais face au drame humanitaire qui s’y produit depuis plus d’un mois, il est important d’essayer de comprendre, et surtout, d’agir. Car il ne s’agit pas d’une guerre de religion, ni d’une guerre pour un territoire, mais bien de la continuation d’une politique génocidaire restée impunie – la Turquie n’a jamais reconnu le génocide des Arméniens de 1915.
Aujourd’hui, le camp turco-azerbaïdjanais s’attaque délibérément à la population civile, ciblant hôpitaux, maternité et églises, utilisant des armes à sous-munitions ou encore des bombes au phosphore blanc, très dangereuses et interdites par le droit international. Aujourd’hui, le camp turco-azerbaïdjanais, en plus d’utiliser des drones et armes hyper sophistiqués, fait appel à des mercenaires syriens, payés 2000 dollars auxquels s’ajoutent 100 dollars par tête d’Arménien tué... Aujourd’hui, les fascistes turcs s’attaquent même à la communauté arménienne en France, les menaçant de mort, souillant les monuments et centres culturels... Pendant ce temps, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian ne trouve d’autre réponse que la neutralité, oubliant que la neutralité n’existe que dans les mondes qui n’existent pas, que « rester neutre en temps d’injustice, c’est choisir le camp de l’agresseur », comme disait Desmond Tutu. À noter que l’Organisation Internationale de la Francophonie n’a pas officiellement réagi. Fermer les yeux face au massacre du peuple arménien, c’est avoir oublié l’appel de Jean Jaurès en 1896 à la Chambre des députés, qui exhortait l’Europe à ouvrir les yeux sur le sort des Arméniens de l’Empire ottoman, annonçant le génocide 20 ans plus tard...
« Quoi ! Le silence complet, silence dans la presse, dont une partie, je le sais, directement ou indirectement, a été payée pour se taire, silence dans nos grands journaux, dont les principaux commanditaires sont les bénéficiaires de larges entreprises ottomanes, mais surtout silence du gouvernement de la France ! Quoi, devant tout ce sang versé, devant ces abominations et ces sauvageries, devant cette violation de la parole de la France et du droit humain, pas un cri n’est sorti de vos bouches, pas une parole n’est sortie de vos consciences, et vous avez assisté, muets et, par conséquent, complices, à l’extermination complète... », disait Jean Jaurès, le 3 novembre 1896 à la Chambre des députés.
En Arménie et dans la diaspora, personne n’a oublié. La solidarité et l’effort collectif se sont organisés dès les premières minutes de la guerre. Même ceux qui ont dû fuir les massacres, laissant pères, frères, maris et fils au front, et vivant dans l’inquiétude permanente de ne plus jamais pouvoir rentrer chez eux, même ceux-ci participent à la lutte collective. Car il en va de la survie du peuple arménien.
Fermer les yeux n’a jamais fait disparaître le monde.