- Maryam Mesbahi
« Tu as bien fait de partir » ! ma mère répète-elle chaque fois qu’elle me parle sur Skype, encore faut-il que nous puissions nous parler. La qualité d’Internet en Iran ne permet pas aux mères de contacter leurs enfants qui habitent à l’étranger. Le Gouvernement contrôle toutes les communications. Tous les réseaux sociaux sont filtrés : Instagram ,WhatsApp, Facebook, X (ex Twitter). « Tu as bien fait de partir ! », j’entends la voix de ma mère qui habite loin de moi, sa voix est dans ma tête, les images et les cris des jeunes filles sont devant mes yeux. Pourquoi faut-il quitter le pays natal ? Pourquoi faut-il laisser derrière nous la famille, les mémoires et les amis ?
Un an a passé depuis le mouvement des femmes pour la liberté. La résistance contre le hijab obligatoire continue, l’Iran a perdu de nombreux enfants, des filles et des garçons ont été tués, violés, des familles pleurent pour leurs enfants, des jeunes n’ont même pas de parents à pleurer sur leurs tombes.
Que faire ? Une question que l’on se pose toujours dans les situations de crise politique. Aujourd’hui, dans la géographie de Iran, dans les frontières qui ont transformé ce pays en prison pendant plus de 45 ans, nous assistons à des changements fondamentaux dans la société. Les femmes et les filles de la nouvelle génération, ma génération, celle de ma mère et même de ma grand-mère, se sont rebellées. Les femmes n’acceptent plus aucune contrainte, ni le hijab obligatoire, ni la discrimination de genre qui leur est imposée par ce gouvernement idéologique. Elles enlèvent librement leur foulard, portent des vêtements confortables et légers dans la chaleur estivale, crient contre les oppresseurs du gouvernement et réclament leurs droits. Elles savent que cela coûte cher ; les mères disent au revoir à leurs filles chaque jour avec inquiétude mais avec l’espoir de la liberté, même si elles savent que si leurs enfants vont dans la rue, ils ne les reverront peut-être jamais. Les pères assistent aux obsèques de leurs enfants, pleurent sur leurs tombes et crient leurs noms. Les hommes, témoins de cette oppression et de cette violence, parfois aident et parfois se retirent, mais au plus profond d’eux-mêmes ils détestent cette oppression, cette peur et cette haine dans la société.
Les étudiants ne sont pas en sécurité à l’université. Quand je vois des étudiantes en France se promener librement à l’université et dans la rue avec n’importe quel vêtement, danser, prendre le soleil et nager au bord de la mer en été, je me demande ce qui s’est passé pour nos femmes et nos filles. Comment avons-nous été privées des premiers droits pour les femmes de ce siècle ? Comment n’avons-nous pas le droit de goûter les plaisirs simples comme le soleil, la liberté et l’amour ?
Les Iraniens vivant en dehors de l’Iran ne sont que des témoins de la souffrance du peuple, ils tentent de montrer leur empathie et leur sympathie en participant à des manifestations, en collectant des signatures contre les chefs de gouvernement, en faisant des films et de la musique. Que devrions nous faire ? La question que chacun se pose en ce moment historique. Les gens veulent des changements, mais ils ne sont toujours pas d’accord parmi eux sur ce qu’ils veulent à la place du gouvernement de la République Islamique. L’intervention de la famille royale Pahlavi a provoqué une séparation parmi la population. Reza Pahlavi, le fils de Mohammad Reza Pahlavi, le dernier Shah d’Iran, tentait de prendre la direction de ce mouvement indépendant et populaire. Il ne prétend pas être roi, mais il se considère comme une partie importante de ce changement et de l’avenir de l’Iran. D’autres groupes opposés au gouvernement de la République Islamique en dehors de l’Iran se sont unis pour changer ce régime, mais cette alliance n’était pas dans l’intérêt d’autres gouvernements européens et américain, et encore une fois, seul le peuple iranien a été victime de ces spectacles absurdes et luxueux. Pour montrer ce qui est arrivé au peuple iranien au cours de cette année, il suffit de citer quelques exemples.
Le peuple kurde est quotidiennement sous la pression, la résistance continue. La déception s’accompagne d’une passion pour le changement. Ce mouvement est comme des cendres sous le feu. C’est un phénix qui reprend sa vie. Les noms de ces innocents ne seront jamais oubliés : Mohammad Hosseini, Nika Shakarami, Sarina Issmaiel Zadeh, Hadis Nadjafi ont été tués par les balles d’agents du gouvernement, ou ont été condamnés par des jugements injustes des tribunaux de la République islamique d’Iran, pour le crime d’avoir dansé dans la rue, pour le crime d’avoir protesté contre le hijab obligatoire, sans nuire à personne. Ils sont les victimes de la justice. Le gouvernement de la République Islamique a de nouveau pris des décisions strictes concernant le hijab obligatoire ; de lourdes amendes, des peines d’emprisonnement et même des exécutions sous prétexte de troubler l’ordre social, agissant contre la sécurité nationale. La situation à l’ouest, au sud et au sud-est du pays est encore plus catastrophique parce qu’ils appartiennent à une minorité religieuse sunnite. Les agents attaquent les petites villes pendant la nuit, arrêtent les manifestants et les emmènent dans des lieux inconnus. Des écrivains, des traducteurs, des enseignants sont en prison, sans droit d’être visités par leur famille ou leurs avocats.
Les groupes d’opposition à l’étranger ne scandent que des slogans. Le peuple iranien se bat seul, dans les rues, sur les réseaux sociaux et même en prison. Les prisonniers écrivent des déclarations et leur résistance est à nouveau condamnée, ils disent de la poésie et ils sont à nouveau réprimés : Keyvan Mehtadi, traducteur, écrivain et enseignant, Anisha Asadollahi, traductrice et militante syndicale, Reza Shahabi, chef du syndicat des bus de Téhéran, des artistes, les acteurs et les metteurs en scène du théâtre, un chanteur nommé Mehdi Yerahi a été arrêté pour avoir composé et chanté sa chanson « Dévoile- toi ! » ( Roussarito Bardar). Javad Rouhi, arrêté uniquement pour avoir diffusé sa vidéo de danse dans la rue et exécuté à la prison de Nowshahr le 1er septembre 2023.
Une atmosphère terrible et sombre a jeté une ombre sur la société, une inflation incontrôlable ainsi que des répressions et un contrôle inhumain ont contraint tous les milieux sociaux au silence. Les parents s’inquiètent pour leurs enfants. Les filles, dévoilées dans les rues, continuent de protester pour se battre et revendiquer leurs droits perdus. La violence physique, le viol, l’exclusion des études universitaires se poursuivent. Mais elles en paient le prix. Elles paient le prix de la liberté.
Les gens sont privés de faire leur deuil sur les tombes de leurs proches, ou le faire s’accompagne de mille astuces de sécurité et de la présence d’agents.
Un certain nombre de jeunes lycéens et lycéennes ont perdu la vue à cause de balles dans les yeux. Le monde est encore dans un silence absolu, pensant que ce mouvement se transformait en incendie à cause de la mort de Mahsa Amini, désormais éteint, ignorant que ce mouvement continue.
La mort de Mahsa Amini, ou plutôt son assassinat par des policiers de la morale a allumé le feu de ce mouvement. Sa mort symbolise sans aucun doute la mort de tous les rêves et des droits fondamentaux de la jeunesse iranienne. Sa mort fut la mort de la liberté. Mais son nom est toujours vivant, non seulement son nom, mais aussi celui de centaines d’autres jeunes et enfants qui ont été tués de cette manière. Kian Pir Falak, un enfant de neuf ans qui a été abattu par des policiers dans la voiture à côté de son père.
Des journalistes comme Elaha Mohammadi, Nilofar Hamedi et Nazila Maroufian qui ont préparé des interviews et des photographies depuis la mort de Mahsa Amini jusqu’à l’interview de son père après la mort de sa fille sont en prison. Quelle voix, quelle institution, quelle Organisation internationale des journalistes entendra leur voix ? La plupart d’entre eux se trouvent en prison dans des mauvaises conditions de santé, précaires. Un jour ils sont libérés, le lendemain ils sont de nouveau arrêtés, torturés, forcés d’avouer. Avoué quoi ?
Ils sont obligés d’avouer devant la caméra de la télévision nationale, ils sont obligés d’admettre qu’ils sont des agents et des espions des États-Unis et d’Israël, alors qu’ils se battent pour leur pays, la liberté de leurs compatriotes, sans aucune dépendance à l’égard des forces armées. Les étudiants immigrants se battent et résistent. Leurs seules armes sont leurs stylos.
Un autre phénomène qui provoque le harcèlement des prisonnières politiques appelé journaliste-interrogateur : quelqu’un qui est journaliste sur les chaînes d’information de la télévision nationale et qui en même temps recueille des aveux forcés de femmes et les oblige à ne dire que les mensonges devant la caméra. La plus célèbre et la plus infâme de ces personnalités est Améné Zabihullah Safa, une femme qui torture des prisonnières politiques sous le couvert d’être journaliste. Elle a nié cet acte à plusieurs reprises dans les médias, mais les lettres et les rapports des prisonniers disent le contraire. Des milliers de récits et de lettres sur ce qui est arrivé aux prisonnières politiques dans les prisons iraniennes dans le passé ont été publiés sur les réseaux sociaux, sur l’oppression, les privations médicales et les humiliations qui leur ont été imposées.
Que se passe-t-il dans les universités ? Sur des professeurs éminents ? La professeure Sara Malekan, professeure adjoint à la Faculté de gestion de l’Université Amirkabir, a fait face à une lettre de licenciement après avoir terminé son congé de maternité. Cette professeure, qui s’était rendue à l’université après son congé pour recevoir son emploi du temps de ses cours, a reçu une lettre de fin de coopération. Malekan s’est montrée critique à l’égard de la gestion et de l’environnement de sécurité de l’Université d’Amirkabir.
Maham Miqani, professeur invité au Département des Beaux-Arts de l’Université de Téhéran, a annoncé son renvoi de cette université. Le licenciement de cet enseignant s’est fait sans aucune notification officielle et uniquement par appel téléphonique. L’année dernière, Miqani a refusé de donner ses cours pour soutenir les étudiants et pour protester contre la sécurité de l’université et, dans le même temps, la sécurité l’a interrogé.
La première victime de l’anniversaire de Mahsa Amini, mercredi 13 septembre 2023, Hamed Bagheri, un habitant d’Islamabad Gharb, de Kermanshah, a été attaqué par les forces gouvernementales après avoir encouragé la population à manifester, et alors qu’il se défendait à Gulshahr Karaj, il a été tué par un tir direct des forces gouvernementales répressives. Ce jeune homme a été touché par 4 balles.
Selon des sources proches de la famille de Hamed Bagheri, ce jeune homme avait scandé des slogans de protestation contre la dictature de la République islamique d’Iran tout en invitant la population de Golshahr Karaj à organiser un rassemblement de protestation avant l’attaque des forces gouvernementales. La famille de Hamed Bagheri, après avoir appris le décès de ce jeune homme, est arrivée à Karaj. Mais jusqu’à présent, ils n’ont pas réussi à voir le corps de leur enfant et les institutions gouvernementales refusent de restituer le corps kidnappé.
Aujourd’hui, après un an de la mort de Mahsa Amini, Nous disons à nouveau « non ». Jusqu’à la fin des divisions ethniques, de l’oppression de classe et de la tyrannie religieuse, jusqu’à l’instauration de la démocratie, de la justice et de l’égalité. Nous continuerons. La lutte est notre vie.
« Tu as bien fait de partir » !
Est-ce que j’ai bien fait ? La question que je me pose tous les jours.