- © Grigorov
Souvenons-nous, été 2020, la jeunesse biélorusse, soutenue par une grande partie du peuple, se mobilise et tente de faire vaciller le colosse qui les dirige d’une main de fer. (Regardez une photo où Loukashenko se tient debout aux côtés de Poutine. Poutine vous fera rire. Si, Poutine peut faire rire. Il a tellement l’air rabougri quand son grassouillet voisin pose sur la même photo.) Tous les deux unirent leurs forces pour mater les manifestants. Opération réussie au grand dam de la démocratie. Quatre ans plus tard, nous retrouvons une jeune femme qui a tout quitté pour fuir les Laurel et Hardy du déshonneur, Katia Kanapliova. Aujourd’hui, depuis la Lituanie, c’est en français, la langue d’adoption de Marc Chagall*, né tout comme elle à Vitebsk, qu’elle vit sa vie !
Adepte de la pyramide de Maslow
Katia Kanapliova était politiquement impliquée dans les mouvements d’opposition de l’été 2020. A tel point que ce fut sous le statut de réfugiée politique qu’elle s’installa en Lituanie. Un temps, elle poursuivit son idéal, sa lutte pour les droits de l’Homme, travaillant pour des organisations solidaires des réfugiés que les dictatures post-soviétiques fabriquent comme petits pains.
Puis, sans oublier la répression de la machine biélorusse ni sa famille restée au pays, gardant toujours un œil sur la tragédie ukrainienne, Katia a progressivement repris une vie à elle. Une attitude bien expliquée par les études du psychologue Abraham Maslow, qui dans les années 40 hiérarchisa les besoins de l’être humain. La pyramide de Maslow préconise de ne pas oublier de s’accomplir, d’être heureux ou au moins tenter de l’être... une fois satisfaits les besoins basiques.
Alors la jeune femme a écouté cette sagesse, ne pas oublier et ne pas s’oublier. Katia sait bien que sauf retournement complet de l’Histoire, elle ne rentrera pas au pays. Il faudrait que les ex-soviétiques glissent tous ensemble sur des peaux de banane. Croisons les doigts. Que faire pour vivre au mieux dans un pays d’adoption dans lequel elle ne parle pas vraiment la langue ? S’inventer un monde fait de russophones et biélorussophones de la diaspora en exile, en premier lieu. Et aussi, surtout, revenir à ses premiers amours, du temps de l’université et de la proximité avec le club des francophones animé par l’Ambassade de France à Minsk. Un temps qui paraît bien loin, mais que Katia a toujours au fond d’elle-même. À Vilnius, elle utilise le français comme outil de socialisation et source de revenus. Katia Kanapliova, dont le français est aussi fluide que riche, est professeure de FLE à l’Institut français de Vilnius et au Lycée International Français de Vilnius, sort le soir en français, lit, écoute, rêve, qui sait, en français. Son rêve d’avenir ? Ouvrir une école en français, en Biélorussie démocratique...
Parfois, nous pouvons nous demander si le mot francophone résonne encore dans le cœur des Français ou des Africains de l’Ouest. Ce qui est certain, est qu’une jeune femme biélorusse exilée politique, déchirée par l’état de guerre permanent de sa région natale, voit son avenir en langue française. Cela devrait nous obliger à être moins désinvoltes avec notre langue commune, non ?
Marc Chagall, né Moïche Zakharovitch Chagalov, peintre et graveur né le 7 juillet 1887 à Liozna dans la voblast de Vitebsk en Biélorussie, naturalisé français en 1937 et mort le 28 mars 1985 à Saint-Paul-de-Vence où il est enterré.