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L’Afrique, malade de l’absence de démocratie

L’Afrique, malade de l’absence de démocratie

Partenariat I-Dialogos / Agora francophone
14 mai 2024 - par Pierrick Hamon 
Enfants centrafricains - © Pierre Holtz - UNICEF
Enfants centrafricains
© Pierre Holtz - UNICEF


Ancien Premier Ministre de la République de Centrafrique, Martin ZIGUELE, président du MLPC (Mouvement de libération du peuple centrafricain), est, depuis 2021, Député, membre de la Commission Économie, Finances et Plan de l’Assemblée Nationale. Il fut candidat du MLPC aux précédentes élections présidentielles. Professionnel de l’Assurance, Martin Ziguele fut également Directeur National de la Banque des États de l’Afrique Centrale.

Entretien avec Martin Ziguele mené par Pierrick Hamon

I-Dialogos : Monsieur le Premier Ministre, la multiplication des coups d’État et des révisions constitutionnelles, y compris dans votre pays, la Centrafrique, ne signe-t-elle pas l’échec des processus démocratiques sur le continent africain ? « Vous aviez écrit que « la lutte pour la démocratie centrafricaine, ce n’est pas le combat de seuls forces politiques, mais celui de chaque centrafricain ». 

Martin Ziguele : Sur les cinquante-quatre États du continent africain qui constituent l’Union africaine aujourd’hui (hors le Sahara occidental et le Somaliland), l’écrasante majorité n’a connu ni coups d’État militaires ni révisions constitutionnelles, c’est-à-dire des coups d’État civils, ces dernières années. Beaucoup de pays, surtout en Afrique australe et orientale (Afrique du sud, Maurice, Seychelles, Tanzanie, Zambie, Malawi, Namibie, Kenya, et) ont connu au minimum trois alternances démocratiques depuis le tournant des années 1990. 
Le phénomène des coups d’État et autres révisions constitutionnelles s’est principalement manifesté dans les anciennes colonies francophones d’Afrique (Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Burkina, Niger, Tchad, RCA) et dans une certaine mesure aujourd’hui au Sénégal. C’est la réalité observée et cela devrait donc nous interpeller, puisque quelques années plus tôt, il n’y avait pratiquement aucun régime militaire en Afrique. 
Ceci dit, le retour des années de plomb dans ces pays illustre la difficulté de l’enracinement de la démocratie représentative en Afrique. 
C’est justement parce que l’Afrique est malade de cette absence de démocratie que la lutte pour la démocratie doit aller au-delà des forces politiques qui sont la première et principale cible des putschistes. Elle doit être le combat de chaque africain, et le rôle des forces politiques et sociales organisées est de continuer à sensibiliser et à mobiliser les populations pour qu’elles soient exigeantes en matière de respect de leurs droits politiques et de leurs aspirations au bien-être. 
Ce combat doit commencer par le regroupement des forces politiques dans de larges coalitions démocratiques, et une fois unies, ces forces politiques devront rechercher l’unité d’action avec les différentes forces sociales autour de messages clairs et démonstratifs des avantages d’une gouvernance démocratique efficace. 
Si les peuples ne voient pas les bénéfices qu’ils peuvent tirer de cette lutte politique, ils ne s’engageront pas puisque lorsqu’il n’y pas d’intérêt, il n’y a pas d’action. Sans être naïf, je demeure convaincu que cette lutte très ardue débouchera sur l’avènement partout en Afrique des États de droit, puis des États démocratiques. 
L’un des plus farouches obstacles à cette démarche est l’existence et/ou le retour au pouvoir de « clans prédateurs », militaires et civils confondus, qui « mettent le grappin » sur les pays, se barricadent derrière des discours populistes et souverainistes et qui ne produisent aucun résultat dans la réalisation du contrat social. 

I-Dialogos : En France et dans nombre des pays occidentaux, la question de l’adaptation des modèles de démocratie est également posée y compris à propos des limitations du nombre de mandats, comme le relève Serge Mathias TOMONDJI dans sa dernière contribution sur le site de I-Dialogos ? 

Martin Ziguele : Je partage les analyses de Serge Mathias TOMONDJI dans sa dernière contribution sur le site de I-Dialogos que j’ai lue avec délectation. 
Il a évoqué à la fin de son article les résultats des travaux de l’Institut Afrobaromètres qui sont sans appel : selon les données compilées dans 36 pays, en 2021-2022, il résulte que 66 % des africains préfèrent la démocratie à toute autre forme de gouvernement, tandis que 78% rejettent les régimes de parti unique et 67% des régimes militaires. Devant un tel tableau le débat n’est pas de savoir si la démocratie est bonne pour l’Afrique, mais plutôt quoi faire concrètement pour que les attentes clairement exprimées par les populations africaines soient respectées. 
Des pistes de solution existent, par exemple la relecture de nos constitutions qui doivent effectivement garantir la séparation des pouvoirs et l’indépendance des institutions de contre-pouvoir. Les constitutions ne doivent pas renvoyer à des lois organiques tout ce qui est important pour renforcer le contrôle des institutions et du contrat social. 
Quant aux coups d’État militaire, l’absence de réactions nationales et internationales continuera à susciter des vocations. Oui je pense qu’il faut des Etats généraux de la démocratie africaine et l’Union africaine doit en prendre le lead parce que cela touche aux États.

I-Dialogos : I-Dialogos a choisi comme thème prioritaire celui de médias et de la presse dans le monde avec une approche partagée, notamment quant au regard sur les autres et… réciproquement. Je fais référence au titre du livre que vient de publier Maurice Gourdault-Montagne, l’ancien ambassadeur et Conseiller Diplomatique de Jacques Chirac « Les autres ne pensent pas comme nous ». Les africains, dites-vous, connaissent la France, ne serait-ce que via leurs tels mobiles et leur histoire commune, mais, paradoxalement les Occidentaux, et en particulier la majorité des journalistes ne connaissent pas, ou pire, ne s’intéressent pas à l’Afrique, notre grand voisin. Que pensez-vous de l’initiative lancée en ce sens par I-Dialogos ? 

Martin Ziguele : La communication est devenue la principale arme de guerre des forces de domination aussi bien au niveau international que national. Je me souviens toujours des combats d’Amadou Mahtar MBOW alors Directeur Général de l’UNESCO sur le nouvel ordre mondial de l’information, et du tollé que sa volonté de reformes dans ce secteur a soulevé à l’époque, jusqu’à provoquer le départ des USA de l’institution pour l’asphyxier. 
Aujourd’hui le déséquilibre en matière de traitement de l’information est patent. Je suis momentanément en France et j’ai suivi le débat sur l’immigration sur certains médias y compris sur une chaine de télévision appartenant à une personne qui doit sa fortune en grande partie à l’Afrique. 
C’est hallucinant de voir que des personnalités qui se disent « africains » amplifient un discours aux antipodes de ce qu’ils disent en Afrique. C’est pourquoi je salue l’initiative de Dialogos. Je suggère que vos articles soient largement partagés sur les réseaux sociaux, qui sont devenus le principal lieu du donner et du recevoir en matière d’idées y compris dans une Afrique où la jeunesse est de plus en plus « digitalisée ». 
J’ai dit que nous Africains connaissons les Français parce que le flux des informations est vertical entre la France et l’Afrique. Il doit être horizontal et c’est en, cela que Dialogos doit et peut innover, en donnant très souvent la parole aux Africains.

I-Dialogos : Lors de votre récente et passionnante conférence à la Fondation Jean-Jaurès, vous avez mis l’accent sur les graves conséquences en Afrique et en Centrafrique de l’intervention militaire en Libye. Le président Obama devait admettre pas la suite (dans son livre) que ce fut sa principale erreur – sous la pression d’Hilary Clinton alors Secrétaire d’État aux Affaires étrangères – avec une intervention militaire « impensée » comme ce fut le cas en Irak et en Syrie, entre autres….Qu’en pensez-vous ? 

Martin Ziguele : L’intervention militaire de la France, et de quelques autres pays en Libye, suivie de la mise à mort médiatisée du Colonel Kadhafi, a été vécue par l’Afrique et surtout sa jeunesse, comme l’humiliation suprême. C’est l’acte fondateur de la déstabilisation actuelle de l’Afrique de l’Ouest dans sa partie sahélienne. 
Le fait qu’il ait été soutenu à l’époque des faits par mes amis socialistes n’en changent pas les conséquences que nous visions tous aujourd’hui. 
Je pense que les institutions sous régionales du type CEDEAO et CEEAC, et notre organisation régionale l’Union africaine, doivent être vraiment renforcées pour résoudre en premier les problèmes africains. Elles doivent être mises en capacité d’avoir seules la légitimité des interventions en Afrique.

I-Dialogos : Qu’attendez-vous du prochain Sommet de la Francophonie ? L’Organisation Internationale de la Francophonie est-elle une institution adaptée à notre temps ? 

Martin Ziguele : L’Organisation Internationale de la Francophonie est une institution qui, à mon avis, a toute sa place pour le dynamisme des relations entre les États francophones. Je pense également et je l’ai dit à plusieurs reprises, l’OIF doit évoluer vers le modèle du Commonwealth pour répondre à la fois aux objectifs de solidarité, de démocratie et de développement de ses membres.
Cela la rendra plus efficace, plus légitime et plus crédible. L’impression que j’ai est que la personnalité et la stature de ses anciens dirigeants - tel que le Président DIOUF - « faisaient » la maison…
Maintenant, il est clair que sans cette réadaptation, l’OIF risque de continuer à vivre comme un appendice des Etats les plus puissants et plus gros bailleurs de l’organisation.

I-Dialogos : Vous avez annoncé, votre retour prochain à Bangui. N’est-ce pas un pari trop risqué ? 

Martin Ziguele : Je suis député à l’Assemblée nationale et suis parti de Bangui pour un séjour en France sur la base d’une autorisation d’absence. Maintenant que j’ai fini ce que j’ai à faire, je rentre chez moi. C’est vraiment aussi simple que cela.

 

Martin ZIGUELE a publié plusieurs livres :
 « De la crise à l’espérance. Ma vision pour la Centrafrique » Éditions Dagan, 2015 
 « Le bilan des 50 ans de l’indépendance de l’Afrique » Éditions Jean-Jaurès, 2010            
 « Les techniques de vente de l’assurance vie en Afrique » Éditions CICA-RE, 1994
 « La gestion administrative et technique d’une compagnie d’assurance vie » Éditions CICA-RE, 1992
 « Les bases techniques de l’assurance vie » Éditions CICA-RE, 1990 l’ABSENCE DE DÉMOCRATIE

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