Le temps écoulé depuis les indépendances des pays d’Afrique sud saharienne francophones (ASF) est désormais supérieur à celui écoulé antérieurement entre celles-ci et l’apparition du cinématographe sur leurs territoires. Cette première période historique coïncida avec la structuration administrative de la colonisation par la France, depuis 1895 pour les pays de l’AOF (Afrique-Occidentale française), 1910 pour l’AEF (Afrique Équatoriale française), fédérations toutes deux dissoutes en 1958, les indépendances intervenant dans les deux années suivantes, comme pour les colonies belges, également francophones. Si la totalité des productions filmées durant les six premières décennies dans ces pays l’a été exclusivement par des Européens, les six décennies suivantes ont connu la tentative d’une émergence de films réalisés par des Africains, pour une moitié coproduits par, ou avec, des capitaux du Nord, français essentiellement, ou européens. Mais s’il est possible de citer quelques noms de grands réalisateurs d’ASF, essentiellement en raison de leur carrière internationale et des prix qu’ils ont pu obtenir en festivals, même les cinéphiles pointus ne le peuvent certainement pas pour tous ses pays (quid du Burundi ? de la Centrafrique ? du Togo ?...), assurément d’abord en raison de leur très faible nombre, comme de celui des longs métrages produits, et encore moins diffusés. Après deux décennies de tentatives multiples et parfois fructueuses pour quelques cinéastes, les trois décennies suivantes ont vu fleurir des discours de déploration sur la faillite de la filière cinéma dans tous les pays de la zone, et ceux incantatoires sur des solutions miraculeuses aussi nombreuses que les récriminations contre les États défaillants. Mais désormais un nombre croissant d’acteurs se situe dans l’action, fait des œuvres filmées, se débrouille et certains plus que très bien matériellement, ne cessant de dire et montrer qu’il est possible de vivre de leur métier, ce qui sera de plus en plus le cas.
Au cours de la dernière décennie, pour de nombreuses raisons, et notamment la révolution numérique qui a touché la production, mais surtout la diffusion des images notamment par la multiplication des supports et aussi du nombre de chaînes de télévision, le besoin d’œuvres filmées, commercial pour les diffuseurs, social pour les populations, ne va cesser de grandir. Internet et les smartphones ont tout changé, à commencer par le regard sur le monde. Isolé, rétréci, le sous-continent, comme toutes les régions du globe, s’ouvre à une vitesse vertigineuse sur les données issues du monde entier. Les applications d’accès gratuit aux communications (Skype, Viber, WhatsApp, etc.) permettent à une part grandissante des populations d’échanger couramment et instantanément – même si encore souvent à bas débit, ou de manière aléatoire en raison des dysfonctionnements récurrents des réseaux nationaux – avec la diaspora et des alter ego disséminés dans le monde entier. Et la perception, puis la comparaison, avec ce qui se passe ailleurs s’amplifie et légitime de nouvelles aspirations et consommations. Mais parallèlement à cette ouverture mondialisée et à l’afflux d’images dont, sur internet et les réseaux sociaux, on ne cerne plus les origines, ni en termes d’identité, de fiabilité, validité ni nationalité, à l’afflux sur les écrans de cinéma des films hollywoodiens, hongkongais ou indiens s’est substitué la diffusion massive de feuilletons télévisés en provenance d’Inde, d’Amérique centrale, du Sud ou de Turquie, plébiscités par les populations d’ASF en raison des thématiques et des traitements d’histoires plus proches de leurs préoccupations. Concomitamment, en raison et à côté de cette mondialisation des images, croît une demande de toutes les populations d’un recentrage sur le national, l’identitaire, avec des personnages et des histoires qui leur ressemblent, auxquels elles peuvent s’identifier, incarnés par des acteurs au teint moins pâle que celui des anciens colons. Séries télévisées ou sur internet (YouTube, etc.) aux formats courts, feuilletons, téléfilms, les besoins commerciaux des chaînes et plateformes sont immenses, pour ne pas dire illimités. L’Afrique anglophone, à commencer par le Nigeria mais pas seulement lui, a compris nettement avant l’ASF l’émergence de ce besoin d’images nationales et s’est lancée avec succès dans leur production, initialement via la vidéo (1). Mais depuis, tous les grands groupes de l’audiovisuel ont également saisi la nécessité de la glocalisation (2), ce qu’illustrent par exemple les moyens financiers considérables mis par Canal+ dans la production audiovisuelle en ASF, notamment pour alimenter sa chaîne dédiée A+ lancée en octobre 2014. Visant d’abord les classes moyennes des populations, il était impératif de faire faire des émissions par, car pour, elles, pour qu’elles leur ressemblent, et auxquelles elles puissent s’identifier, donc de toutes nationalités. Certes, les sommes mises en production pour des projets locaux demeurent modestes. Mais elles ne sont plus insignifiantes et vont permettre l’émergence de talents créatifs, de techniciens qui pourront vivre de leur métier, donc s’améliorer, se spécialiser. De leur compétition est en train de naître une véritable filière audiovisuelle : industries techniques, prestataires d’équipements, techniciens et groupes intégrés, réalisateurs et producteurs. Les compétences et les moyens vont s’accroître et se consolider, simplement parce que le marché est là même si, pour le moment, des groupes étrangers le dominent. Mais qui a empêché durant un demi-siècle les hommes d’affaires africains, ou leurs États, de le faire émerger ?
À ce constat d’un quart de siècle d’évolutions historiques, il convient d’en rajouter un autre, qui porte à l’optimisme. Si, dans les nations industrialisées, le cinéma a précédé la télévision, aujourd’hui, en ASF, l’inverse est possible –et nous le croyons probable –, car le maillon de départ pourrait être construit par les producteurs africains eux-mêmes. Nous estimons en effet que la conjonction de conditions matérielles historiques objectivement favorables qui bouleversent les cultures et leurs pratiques (les outils liés au numérique, la diffusion satellitaire, l’augmentation globale du niveau de vie des populations, une croissance démographique du continent jusqu’ici inconnue, le poids grandissant des jeunes, un niveau scolaire qui s’élève, l’urbanisation galopante, etc.), avec la mutation radicale et définitive d’une relation demeurée longtemps pathogène avec la France, forment le terreau propice à la vraie naissance d’un audiovisuel africain francophone et, peut-être mais plus difficilement, à celui d’une cinématographie réellement africaine.
Toutefois, la réception comme l’économie de la filière cinématographique, à commencer par la production des films, ne reposent en effet pas exactement sur les mêmes bases que celles de l’audiovisuel, même si elle y tend.
D’une part, l’argent versé par le spectateur en salles exige une remontée de recettes efficace et une garantie que, à ce jour et depuis les indépendances, aucun pays d’ASF n’a su mettre en place. D’autre part, la taille des marchés nationaux est trop exiguë pour une rentabilité d’une branche, la distribution, qui les alimente, ce qui nécessite dès lors la structuration d’un marché d’une dimension sous-régionale.
Ensuite les sommes nécessaires pour produire un film ne sont pas de même grandeur que pour une série télé, et ne proviennent pas des mêmes sources : avant une logique de préfinancement telle qu’applique le modèle audiovisuel (AV), toutes les cinématographies dominantes ont été structurées par une logique financière d’amortissement du coût des films ex-post sur les différents marchés (salles, vidéo physique, internet, vidéo à la demande…). Cela structure des partenariats et recherches de fonds extrêmement différents. Les œuvres, dans leurs création, réception et valorisation, n’obéissent donc pas non plus à la même démarche : prises dans une logique de flux pour l’AV, elles sont destinées à une consommation éphémère au renouvellement accéléré dans une surabondance programmée. Obéissant davantage (même si les frontières tendent de plus en plus souvent à s’estomper) à une volonté patrimoniale de stock, les films (dits de) cinéma jouent sur leur rareté relative, notamment en raison de leurs coûts de production et de leur nombre nécessairement plus restreint, car il existe moins d’écrans de salle de cinéma que de grilles horaires ou faisceaux de diffusion numériques accessibles sur écrans domestiques. Toutefois, au-delà de leur diffusion, les conditions de production (écriture, tournage…) ne sont pas les mêmes non plus, et à ce jour, en sus de l’absence de filière industrielle du cinéma (production, distribution, exploitation), il manque encore également en ASF un autre triptyque pour fonder une cinématographie : lieux de formation (techniques et théoriques), instances d’échanges et d’élaboration d’un discours (ciné-clubs, critiques), puis de rencontres et de légitimation (festivals nationaux), même si ces derniers sont en phase d’émergence.
Sans revenir en détail sur les facteurs historiques, techniques et économiques, ni sur les effets déstructurant de « l’aide » française aux cinémas d’ASF (3) durant un demi-siècle, nous devons évoquer rapidement l’évolution du désir mimétique (4), individuellement et collectivement, qui semble aujourd’hui en effet permettre une autonomisation à ce qui apparaît comme la troisième génération de professionnels africains depuis les indépendances juridiques des nations concernées. La liberté de l’être humain réside dans ce qu’il croit être sa capacité de choisir un modèle qu’il imitera, d’un autre auquel il s’identifiera, mais ensuite il doit veiller à maintenir sa relation sur le mode de l’apprentissage. Très nettement, la première génération de cinéastes d’ASF, dont beaucoup deviendront (co)producteurs (Ousmane Sembène, Med Hondo, Mahama Johnson Traoré, Henri Duparc, etc.) se référera et tentera de copier ceux qu’ils avaient côtoyés – lorsqu’ils ne les avaient pas formés –, en France massivement à l’IDHEC ou à Vaugirard, en URSS au VGIK, autour du cinéma dit d’auteur. Si une sociologie détaillée de cette première génération demeure à établir (combien de cinéastes issus des villages ou de parents paysans ? Quels modes d’accès à l’éducation, à leur formation et à la culture ? Combien de femmes ? Etc.), il n’en demeure pas moins que, fruits de leur époque, ils vont croiser les mouvements sociaux et politiques post indépendance, et notamment le panafricanisme et le tiers-mondisme. Poussée par des idéologues plus soucieux de messianisme que de pragmatisme gestionnaire, la croyance en la faisabilité d’une émancipation financière immédiate et totale va se répandre d’autant plus facilement qu’elle résonnait avec une aspiration légitime des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de maîtriser leur destin comme les images que d’autres n’avaient cessé de leur imposer. Ce sera un échec.
Mais une fois le modèle évanoui, le rival liquidé, si rien n’a bougé, la troisième étape et dernière possibilité de la rivalité mimétique se met en place : l’Autre devient un obstacle. Et c’est à cet obstacle imaginaire que va se confronter puis dépérir la seconde génération des rares réalisateurs-producteurs d’ASF (du milieu des années quatre-vingt-dix au milieu des années deux mille dix). Mais pas d’Afrique sud saharienne anglophone, qui n’ont absolument pas le même rapport à l’ancienne métropole, qui ne s’était pas non plus comportée administrativement de la même manière durant la colonisation, et dont la production d’images animées va décoller (Afrique du Sud, Nigeria, puis Ghana, Kenya, Ouganda, mais aussi Éthiopie…) à la fin du XXe et début du XXIe siècle. Et quand le sujet ne peut plus imiter, lorsqu’il ne se croit même plus capable de faire pareil que son modèle s’il était à sa place, l’Autre devient un obstacle. Il est celui qui empêche, décourage, et la rumination à son encontre justifie l’impuissance ; il n’est même plus possible de se mettre en compétition avec lui (même symboliquement dans les festivals). Il devient insurmontable. Vaine lutte, découragement, abandon, stérilisation de la production, hors quelques cas isolés, souvent issus de la diaspora, le dernier quart de siècle a été meurtrier pour les possibilités créatives de cette deuxième génération (Idrissa Ouedraogo, Jean Pierre Dikongué Pipa, Mama Keïta, Pierre Yaméogo, Bassek Ba Kohbio, etc.).
Toutefois, la position contemporaine de la troisième génération, qui n’a absolument plus en mémoire les enjeux de la décolonisation (1ère génération), ni ceux d’une dépendance économique souvent captée par des rentiers d’une aide internationale en voie de raréfaction (2e), est nettement plus pragmatique et a intégré, y compris en voyant l’essor d’un autre modèle, nigérian, que, face à l’obstacle, la meilleure stratégie n’était ni l’affrontement stérile à se confronter avec lui, ni la dépression face à sa puissance, mais le contournement. Aller voir ailleurs. Se coltiner le réel. Faire autrement. Se débrouiller. On ne peut vivre du cinéma ? Faisons des séries télé. Ce n’est pas suffisant ? Équilibrons les comptes en tournant des vidéos institutionnelles. Les pirates nous pillent nos vidéos ? Piratons-nous nous-mêmes. Le long métrage coûte trop cher ? Faisons des festivals de courts. On ne peut s’offrir huit semaines de tournage ? Allons voir au Nigeria comment filment les Igbo en moins de deux semaines …
Cette génération accepte enfin de ne plus imiter un modèle matériellement inatteignable (5), pour ne plus s’empêcher de construire d’autres prototypes d’assemblages d’images, qui parlent différemment de leur monde différent. Reste à savoir ce qu’ils vont en faire dans les décennies à venir, mais cela, l’avenir le montrera, et probablement en créant de grandes surprises, mais il s’agit désormais de la leur, d’histoire, pas – plus– celle de la France ou de l’Europe, qui ont trop souvent (mal) intervenu pour « aider » l’Afrique, surtout la francophone, mais en l’empêchant de facto d’émerger. Le mécanisme des aides à la production des films, tels qu’ils ont fonctionné à travers les différents guichets (Fonds Sud cinéma, Aide aux cinémas du monde, Organisation Internationale de la Francophonie, etc.), ont été, et sont toujours, conditionnés à des dépenses d’au moins la moitié des subventions attribuées au profit des entreprises et personnels du pays ou de la zone attributaire (6). Aide liée et donc liante, elle a largement contribué à empêcher – involontairement - la constitution d’une industrie sur cette zone. Et cela quelles qu’aient été les motivations, pensées, arrière-pensées et surtout impensés des donneurs de leçons et de prébendes occidentaux, français notamment.
Depuis longtemps, ces derniers ont justifié la domination états-unienne mondiale dans le champ cinématographique par le différentiel de moyens financiers, tant au niveau de la production que de la distribution. Outre que nous avons montré (7) que cette préférence pour les films états-uniens sur les films nationaux, en Europe notamment, résultait au moins tout autant de faiblesses des industries européennes, dont française, que des forces d’Hollywood, si un écart budgétaire de 1 à 12 l’expliciterait (un budget moyen français avoisine 4,5 M€, celui d’une major états-unienne 60 M$), que dire d’un écart de 1 à 25 voire 1 à 100 entre un film français et un film contemporain d’ASF ? Comment, simplement, les comparer ? Surtout lorsque l’on ne les connaît pas, et presque, pourrait-on dire, de moins en moins ? Car, hormis un film emblématique qui surgit épisodiquement, moins d’une fois par an, combien de titres issus d’ASF pourraient être cités par un spectateur, même un peu cinéphile ? Cela renvoie aussi, mais pas seulement, aux problèmes de la réception, et donc de la diffusion de ces œuvres, dont la complexité constitue un autre sujet.
Par des phénomènes cumulatifs négatifs profonds et complexes (absence de réglementation et d’intervention des Etats, fraude massive et incurie des exploitants, dispersion des populations et grande ruralité, etc.) (8), la disparition des salles de cinéma et des distributeurs de films sur la zone a tari durablement la source financière originelle de la production et l’origine symbolique de la valorisation des films. Au contraire d’autres marchés, le contrôle des recettes y est absolument indispensable pour attester leur exactitude et permettre un reversement proportionnel au producteur afin qu’il puisse faire d’autres films. Or ce contrôle ne peut être exercé que de deux manières : soit en interne à la filière lorsque l’entreprise est intégrée verticalement (importation/distribution + exploitation) comme les Comacico-Secma durant un demi siècle, ou les Canal Olympia aujourd’hui ; soit de l’extérieur, et l’État (ou la mafia, ou un clan ethnique comme en certains pays d’Afrique anglophone) joue structurellement ce rôle dans une majorité de cas, mais pas en ASF. Sa défaillance, encore contemporaine, dans TOUTES les nations de la zone explique très simplement l’impossibilité d’une production cinématographique pérenne assise sur un amortissement financé par les spectateurs se rendant en salles.
Demeurent donc les autres marchés, mais :
– la vidéo physique est en voie de disparition après avoir été totalement phagocytée par le piratage ;
– l’absence de réglementation empêche également un financement par les fournisseurs d’accès internet et les opérateurs de télécommunications ;
– l’étroitesse des marchés nationaux n’est pas compensée par une exportation, ni sur les autres marchés africains (inexistants) sur ceux des Nords par absence d’attractivité et de compétitivité ;
– les télévisions nationales sont peu intéressées et ne rémunèrent que rarement les films qu’elles diffusent.
Demeurent donc les solutions alternatives, qui peuvent relever du « mégotage » avec des financements de sponsors ou via la publicité par insertion de placement de produits dans les œuvres ; au Burkina Faso Boubakar Diallo est un expert efficace de ce type de montage, et est ainsi devenu le réalisateur d’ASF ayant tourné le plus de longs métrages (une douzaine).
Mais, comme ailleurs, l’avenir viendra des bouquets de télévisions. Progressivement, en Europe, dans quelques pays d’Asie et d’Amérique du Sud, les chaînes de télévision sont en effet devenues dès la fin des années 1980 les premiers financeurs de films de cinéma, introduisant certes de ce fait de nombreuses distorsions, tant dans l’esthétique que les genres de films produits (10), mais permettant une croissance de leur nombre qui atteint des niveaux historiquement inégalés : 300 longs métrages par an en France, plus de 250 en Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, etc., soit plus de 1 500 par an en Europe (11).
En ASF, ces formes de financement demeurent encore exceptionnelles, mais Canal+/A+ y a lancé fin 2016 un vaste plan de financement de projets, pour le moment essentiellement de séries télévisuelles, mais qui devraient dynamiser le secteur. L’ambition du groupe est désormais de faire sortir le cinéma d’ASF de l’ornière art et essai dans laquelle il a été enfermé depuis les origines, ce qu’atteste par ailleurs la programmation des salles Canal Olympia dont le groupe a lancé la construction depuis fin 2016 (12). Car si Canal+ est présent en Afrique depuis 1991, il a été racheté par le groupe Bolloré en 2014, plus anciennement et fortement présent sur le continent (28 000 employés dans 46 pays en 2018 dans les transports, ports en eaux profondes, communication, etc.), dont il tire plus de 75 % de ses bénéfices. Il souhaite accompagner la croissance économique africaine, dont témoigne celle du nombre des abonnés qui est passé de 140 000 en 2007, à 4 millions en 2019 (pour l’un de ses quatre bouquets, de 149 à 220 chaînes télé et radio), soit la moitié de ses abonnés à l’international. Aussi, notamment pour alimenter sa chaîne dédiée A+ pour l’Afrique lancée en octobre 2014, il était impératif de faire faire des émissions par, car pour, ces classes moyennes émergentes dans la plupart des grandes villes, afin qu’elles leur ressemblent, et auxquelles elles puissent s’identifier. Au niveau de la fiction le groupe investit ainsi en achat, préachat ou coproduction, tandis qu’une unité spécifique recherche et soutient des partenaires pour les documentaires et les séries, en pleine expansion liée à une forte demande des populations, façonnée par deux décennies de feuilletons et télénovelas (13). Les sommes mises en production pour des projets locaux demeurent modestes unitairement (3 à 5 000 €) mais ne sont absolument pas insignifiantes pour la région et vont permettre l’émergence de talents créatifs, de techniciens qui pourront vivre de leur métier, donc s’améliorer, puis se spécialiser. De leur compétition est en train de naître une véritable pépinière autour de l’audiovisuel : industries techniques, prestataires d’équipements, techniciens et groupes intégrés, réalisateurs et producteurs. Les compétences et les moyens vont s’accroître et se consolider après cette phase d’émergence, ce qui constitue un grand motif d’espérance pour ces professionnels, même si leur avenir ne sera peut-être pas de faire des films de cinéma tels que l’Occident les a jusqu’ici conçus.
Notes :
(1) Alessandro Jedlowski, « La révolution vidéo en Afrique subsaharienne. Nigeria, Éthiopie et Côte-d’Ivoire », Sociétés politiques comparées, 43, septembre-décembre 2017.
(2) Adaptation d’un produit ou d’un service proposé par un groupe multinational à chacun des lieux où il est vendu, en fonction des cultures ou spécificités locales auxquelles il s’adresse.
(3) Claude Forest, « Un demi-siècle de coproduction entre la France et l’Afrique sud saharienne », dans Claude Forest (dir.) Produire des films. Afriques et Moyen Orient, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2018, p. 31-52.
(4) Développé par René Girard notamment dans La violence et le sacré, puis Des choses cachées depuis la fondation du monde, Paris, Grasset-Fasquelle, 1978.
(5) Le budget d’une production française de Luc Besson (Valérian, 2017, 180 M€) représente le quart du budget annuel du CNC français, mais cinq quarts de siècle du plus important fonds de soutien au cinéma d’ASF, le Fopica du Sénégal. Ou, le coût moyen d’un film français (4,6 M€) représente le budget annuel de fonctionnement d’un hôpital public du Bénin.
(6) Raphaël Millet « (In)dépendance des cinéma du Sud &/vs France » dans Laurent Creton (dir.) Cinéma et (in)dépendance, Théorème n°5, Presses Sorbonne nouvelle, 1998, p. 160.
(7) Voir notamment Claude Forest, Quel film voir ? Pour une socioéconomie de la demande, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2010, chapitre 5.
(8) Sur cette question : Claude Forest, « Le cinéma en Afrique : l’impossible industrie », Mise au point [En ligne], 4 | 2012, mis en ligne le 30 août 2012.
(9) Le graphique et un développement de cette section se trouvent dans Claude Forest, Production et financement du cinéma en Afrique sud saharienne francophone (1960-2018), Paris, L’Harmattan, 2018, 302 p.
(10) Claude Forest, « De la dépendance de la production cinématographique française vis-à-vis du financement télévisuel », Revue française d’études américaines, n° 136, 2e trim. 2013, p. 80.
(11) Observatoire européen de l’audiovisuel, Film production in Europe, Strasbourg, European Audiovisual Observatory (Council of Europe), novembre 2017, 66 p.
(12) Un mono-écran dans chaque pays, souvent implanté en banlieue des capitales, proposant une dizaine de films par semaine, tous très grand public et essentiellement étatsuniens, avec un ou deux français et un nigérian, à un tarif (1 500 à 5 000 FCFA) visant la classe moyenne.
(13) Claude Forest, « Les pratiques cinématographiques au Togo », dans Regarder des films en Afriques, Patricia Caillé et Claude Forest (dir.), p. 155-182.