- Marie-France Brière et Dominique Besnehard
- Ph : Christophe Brachet - www.christophe-brachet.fr
C’est la seconde fois cette année que le Grand Tour fait escale à Angoulême. La première fut le Festival International de la Bande Dessinée, fin janvier. Un événement populaire autant que professionnel qui démontre depuis 45 ans que la cité charentaise sait recevoir en grande pompe des étoiles internationales. Profitant de cette expérience Marie-France Brière et Dominique Besnehard, deux monstres sacrés de la production cinématographique ont monté de toute pièce le Festival du Film Francophone qui souffle ses 10 bougies en 2017. Autant la BD s’accommode d’un air parfois glacial, autant, là, la moiteur et les coups de soleil étaient au rendez-vous. Mais rien n’arrête le public angoumoisin, ni les professionnels, qui débarquent de Chicago, Paris, Tunis, Beyrouth ou Ouagadougou ! Le charme d’un festival réside en cette mixité bienveillante et parfois surréaliste : John Malkovich, Catherine Deneuve et Gérard Depardieu, excusez du peu, sous les mêmes applaudissements que la réalisatrice burkinabé Appoline Traoré et ses confrères (ou consœurs !) le Géorgien Gela Babluani, la Québécoise Léa Pool, la Tunisienne Kaouther Ben Hania et le Belge Philippe Van Leeuw.
Que dit le cinéma francophone ?
La production francophone est si diverse qu’il serait inconvenant de la réduire à quelques clichés. Néanmoins, les films « en compétition » à Angoulême ont un point commun. Ils n’hésitent pas à se confronter directement à l’intimité, aux crises sociales, aux drames humains. La fiction se nourrit du documentaire. Les sujets dits de société sont scénarisés et transcendés pour les porter vers l’universel. Prenons les films des réalisateurs cités ci-dessus. Chacun dans leur style ils nous transportent vers l’ailleurs au travers d’histoires empruntes d’humanité. Même le très glauque Money de Gela Babluani, au scénario diabolique. Il nous fait partager les heures sombres de petits malfrats au fond attachants, car leurs méfaits ne sont causés que par des tentatives désespérées de se sortir du marasme. Frontières d’Appoline Traoré raconte la traversée d’une bonne partie de l’Afrique subsaharienne en compagnie de femmes courageuses, voire inconscientes, qui n’ont comme moteur de vie que la quête d’une réussite sociale. A quel prix ? Les frontières, et surtout les gardes-frontières, ne font que leur rappeler leur injuste statut de femme ! Être une proie, sous une forme ou sous une autre. Un espoir : la solidarité ! Et au pire, on se mariera... nous plonge dans le désarroi d’une adolescente québécoise en lutte contre un père absent et sans doute peu moral et une mère qui « fait ce qu’elle peut » tout en perdant le contrôle. Face à elle, un jeune homme, genre mec idéal, embarqué dans une histoire presque malgré lui et qui sera au final le dindon du drame. Encore une histoire de femme, avec La belle et la meute. La descente aux enfers d’une jeune tunisienne qui voulait juste faire respecter ses droits et qu’on prenne en compte son malheur. Spirale infernale tunisienne, qui pourrait être marocaine ou française tant le propos fait la Une des journaux d’information. Quant au film belge (coproduit par la France et le Liban) Une famille syrienne, il est le symbole absolu de l’intérêt porté par les artistes francophones au sort du monde. Le huis clos tragique d’une famille terrée dans un appartement pendant qu’au-dehors le pays se déchire... Profondément angoissant de réalité.
Sans oublier, un film franco-français, immergeant le spectateur dans une histoire de la France rural. Nul exotisme. Un sujet local, au moins en apparence. Finalement, un sujet comme la mondialisation, les techniques de production agricole et le rapport entre paysan et consommateur en fabriquent, pour de vrai, tous les jours ! Petit paysan d’Hubert Charuel a remporté le prix du Meilleur film.
Un constat s’impose : les salles sont pleines à tel point que parfois les patients spectateurs à qui on distribue des bouteilles d’eau avant qu’ils ne s’écroulent sous les coups de chaleur, sont refoulés tant la salle se volcanise !. Qu’importe, les cinéphiles ont le choix : les événements sont éclatés, ville haute, ville basse. Angoulême se mérite, ça monte et ça descend ! Dans la ville basse, proche de la rivière Charente, les Chais Magelis font la fierté de la ville. Gigantesque lieu d’exposition, habituellement dédié à la bande dessinée, qui pour l’occasion accueille la somptueuse exposition « Gaumont, 120 ans de cinéma ». La maison de production Gaumont est née avec le cinéma. Se promener au milieu des affiches et des décors reconstitués fait monter une bouffée de souvenirs, quel que soit son âge ! Les plus jeunes s’esclaffent en voyant Omar Sy pousser le fauteuil roulant de son patron, François Cluzet. Les plus âgés verseront une larme devant Gérard Philippe, Jeanne Moreau, Jean Gabin hurlant après Jambier alias le filou Louis de Funès, Jean Marais, Simone Signoret ou Jean Dujardin en pathétique OSS 117 ! Tous les goûts sont dans la pellicule ! 120 ans de cinéma, qui dit mieux ?
- L’exposition Gaumont traverse Paris !
- Ph : Arnaud Galy - Agora Francophone
Possible aussi de mieux connaître les dessous du 7e art en s’égarant de-ci de-là. La projection de Chronique d’un monde d’images à la médiathèque d’Angoulême permit aux spectateurs de mieux saisir le rôle capital du Centre National du Cinéma. Pourquoi le cinéma français n’est-il pas moribond à l’image de celui de bien des pays d’Europe ? Grâce au CNC, dont le rôle de l’ombre permet le financement des œuvres françaises et aussi étrangères. Voir Michael Haneke, Costa Gavras ou Cristian Mungiu vanter les qualités du système français de financement du cinéma et reconnaître qu’ils en bénéficient hautement est un pur plaisir. À l’image de l’exposition Gaumont, ce film commémorant les 70 ans du CNC est un moment unique de partage.
- Le président Malkovich en maître de classe !
- Ph : Arnaud Galy - Agora Francophone
D’autres salles abritaient des « classes de maître », francophonie oblige. L’occasion de passer deux heures en compagnie du très francophone président du jury, John Malkovich. L’homme a su écarter l’acteur durant ce face à face et offrir au public une tranche de sa vie sans fioriture. Un honnête homme, semble-t-il, d’autant plus facile à cerner que son français mérite des louanges ! Autre atmosphère, détendue, avec la classe de maître rassemblant les jeunes pousses et les crocodiles du cinéma ivoirien. L’axe Abidjan – Paris est bien vivace même si, reconnaissons-le, le cinéma français est avare en rôle pour les Africains ! Certains font des allers retour, d’autres tentent leur chance sur « leur continent », les derniers s’obstinent et voient toujours leur avenir en liaison directe avec Paris. Le Festival d’Angoulême a fait du cinéma ivoirien son fil rouge tout au long de la semaine. De quoi se plonger dans des séances de rattrapage, comme avec Run...
Le Festival du Film Francophone d’Angoulême réussit même l’exploit d’impliquer le musée des Beaux-Arts de la ville dans sa programmation. Ce lieu, comme bon nombre de musées de la région, regorge d’objets africains. La Côte d’Ivoire étant l’invité d’honneur, le musée a sorti de ses réserves et de ses collections une foultitude d’œuvres ivoiriennes. Quel bonheur ! Vive la transversalité francophone...