- Luxembourg à l’heure bleue (Flickr - Mariusz Kluzniak)
POLITIQUE
La nationalité en question et l’Église séparée de l’État
L’année 2014-2015 est placée sous le signe de la réforme constitutionnelle. Les travaux parlementaires sont en cours depuis plusieurs années avec pour objectif d’obtenir un consensus politique le plus large possible. Mais les discussions bloquent sur quatre points, surtout avec l’opposition chrétienne sociale, représentée par 23 des 60 députés.
Le gouvernement de coalition formé par les libéraux, les socialistes et les écologistes décide de soumettre ces questions à un référendum, sachant que le vote est obligatoire au Luxembourg. Quatre questions sont retenues en septembre 2014 : 1) « Êtes-vous d’accord pour accorder le droit de vote actif aux jeunes à partir de 16 ans ? », 2) « Êtes-vous d’accord pour accorder le droit de vote actif à tous les citoyens résidant au Grand-Duché depuis au moins dix ans ? », 3) « Pensez-vous qu’il faille maintenir l’article de la Constitution qui oblige l’État à payer les salaires et les pensions des officiers des cultes ? » et enfin 4) « Pensez-vous qu’il faille limiter à dix années consécutives la durée des mandats au sein du gouvernement ? ».
- Jour de référendum (Wikimedia Commons - BDX)
Les questions 2 et 3 retiennent toute l’attention. Concernant l’accès au droit de vote, il s’agit d’ouvrir les élections nationales aux étrangers — qui peuvent déjà participer sous certaines conditions aux élections européennes et communales — afin de pallier un déficit démocratique qui va en s’aggravant. Le Grand-Duché compte en effet 44 % de résidents non luxembourgeois qui ne peuvent pas élire les députés, ceux-là mêmes qui décident des lois et de l’avenir du pays. Des résidents qui participent, par contre, à la richesse, notamment économique, du pays, payent leurs impôts, scolarisent leurs enfants, logent et consomment au Grand-Duché et participent à la vie culturelle… Le problème est urgent, car l’évolution démographique est en défaveur des nationaux et que les ressortissants étrangers seront, à moyen terme, majoritaires dans le pays.
Et la langue luxembourgeoise, dans tout ça ?
Le débat s’enflamme vite entre ceux qui prônent l’ouverture et ceux qui craignent qu’on ne brade la nationalité luxembourgeoise. Au cœur de ces réticences apparait la langue luxembourgeoise, dont la maîtrise est exigée pour obtenir la nationalité, mais qui, en cas d’ouverture du droit de vote aux étrangers, ne serait pas mentionnée.
La question 3, sur les salaires et les pensions des officiers des cultes — jusque-là payés par le gouvernement — touche à la séparation de l’Église et de l’État prônée par la coalition au pouvoir. L’éviction des chrétiens sociaux du gouvernement, une première depuis 1979, offre une fenêtre politique inédite pour faire avancer ce dossier sensible dans un pays à très large majorité catholique. Les observateurs s’attendent à une bataille rangée quand intervient, presque par surprise, un accord entre le gouvernement et les représentants des cultes. Le 26 janvier 2015, les représentants des communautés religieuses établies au Luxembourg et notamment l’Église catholique, la communauté israélite, l’Église protestante, la communauté musulmane, l’Église anglicane et l’Église orthodoxe signent officiellement le document qui redéfinit leurs relations avec l’État.
L’accord, sous forme de conventions, introduit un cours commun d’« éducation aux valeurs » à l’école publique, dispense les communes d’assurer l’entretien des églises catholiques sur leur territoire et assure un soutien financier annuel aux différentes communautés religieuses reconnues au Luxembourg : 6,75 millions d’euros par an pour l’Église catholique, 285.000 euros pour les orthodoxes, 450.000 euros pour les protestants, 315.000 euros pour le culte israélite, 125.000 euros pour les anglicans et 450.000 euros pour les musulmans.
La rémunération des ministres des Cultes sera rayée de la Constitution.
C’est un coup dur pour l’Église catholique, qui perd l’aide financière des communes, mais aussi le droit d’enseigner la religion à l’école publique, droit qu’elle exerçait dans le cursus primaire et secondaire. Une initiative citoyenne a longtemps essayé de sauvegarder ce privilège, sans succès. Le cours commun d’« éducation aux valeurs » doit remplacer aussi bien le cours de religion que celui de formation morale et sociale. Reste à en définir le contenu et les discussions tirent en longueur. Le ministre, qui tient à dégager un consensus entre les enseignants des deux cours, table à présent sur une introduction à la rentrée 2017.
Trois fois « non »
La séparation de l’Église et de l’État sera le seul point sur lequel la coalition obtient satisfaction. Le 7 juin, après une campagne qui a divisé l’opinion publique, les Luxembourgeois disent trois fois « non » aux propositions du gouvernement. Le droit de vote dès 16 ans, le droit de vote pour les étrangers et la limitation de la durée des mandats ministériels n’entreront pas dans la réforme de la Constitution qui, une fois finalisée, sera soumise dans son ensemble à un nouveau référendum.
Pour combler le déficit démocratique, toujours criant, les forces politiques s’orientent à présent vers un assouplissement de l’accès à la nationalité. Les exigences linguistiques pourraient notamment être revues à la baisse, un droit du sol pourrait être introduit, la condition de résidence pour accéder à la nationalité serait réduite à cinq ans (au lieu de sept).
L’année politique est aussi marquée par le vote de deux lois sociétales sur des sujets qui animent l’opinion publique dans de nombreux pays. Le 18 juin 2014, les députés approuvent à 56 voix sur 60, le mariage pour tous, entré en vigueur le 1er janvier 2015. Ainsi, le 15 mai 2015, le Premier ministre libéral Xavier Bettel peut s’unir à son compagnon de longue date, Gauthier Destenay, et devenir le premier dirigeant uni par les liens d’un mariage homosexuel dans l’Union européenne.
Avec le mariage, les députés ont également réformé l’adoption qui est désormais ouverte à tous les couples. Le Grand-duché est le onzième pays en Europe à étendre le mariage et l’adoption à des couples homosexuels.
La deuxième réforme est plus conflictuelle : le 2 décembre 2014, la Chambre a décidé à une courte majorité de dépénaliser l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et de supprimer la consultation psychosociale obligatoire pour les femmes voulant se faire avorter.
- (à g) Jean Asselborn, ministre des Affaires étrangères et européennes du Luxembourg à l’ONU (Flickr - MAE Luxembourg)
POLITIQUE INTERNATIONALE
Dans la cour des grands
Jusqu’en décembre 2014, le Grand-Duché siège comme membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Ce mandat, qui a duré deux ans, est l’occasion de donner une nouvelle dimension à la diplomatie luxembourgeoise et de montrer sur la scène internationale l’image d’un pays compétent et désintéressé. La Syrie, l’Irak, la Centrafrique, le Mali, le Soudan, les conflits israélo-palestiniens et russo-ukrainiens marquent le mandat luxembourgeois. Un des objectifs principaux du Luxembourg était l’amélioration et la protection des droits des enfants. Il fait passer une résolution visant à assurer la protection des infrastructures scolaires contre les attaques des parties en conflit. Il s’agit aussi de mieux préparer les Casques bleus pour réagir à la violation des droits des enfants lors de conflits armés.
Le Grand-Duché intervient aussi pour contribuer à rendre l’aide humanitaire plus efficace en Syrie, en collaborant étroitement avec la Jordanie et l’Australie. Les deux résolutions sont votées à l’unanimité.
Cette expérience diplomatique sera précieuse quand le Luxembourg prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne, au 1er juillet 2015.
ÉCONOMIE
La bombe Luxleaks
Alors que la place financière se prépare à l’abandon du secret bancaire (l’échange automatique d’informations fiscales entre en vigueur au 1er janvier 2015 et l’élargissement de la directive épargne est signée en mars 2014), elle est éclaboussée par un scandale mondial.
Le 5 novembre 2014, l’ICIJ (International consortium of investigative journalists) publie 340 accords de ruling (décisions anticipées en matière fiscale) passés entre 2002 et 2010 avec des multinationales. On retrouve Apple, Amazon, Ikea, Pepsi ou Axa, mais aussi 26 entreprises belges concernées (entre autres GBL, Belgacom ou la Banque Degroof et la famille de Spoelberch, grand actionnaire du brasseur AB InBev). Les accords représentent des milliards d’euros de recettes fiscales perdues pour les États où ces entreprises réalisent des bénéfices, selon l’ICIJ et ses médias partenaires.
Le Luxembourg réagit dans un premier temps en plaidant la légalité du procédé, d’ailleurs pratiqué par 22 autres pays européens. La stratégie est ensuite d’accélérer l’évolution de la Place vers plus de transparence fiscale : le Luxembourg donne notamment son accord au principe de publicité des rulings. Au sein de l’administration fiscale, le bureau responsable de ces décisions anticipées est renforcé et c’est désormais une commission et non plus un unique fonctionnaire qui sont en charge de prendre ces décisions anticipées avec les grandes entreprises.
Il y aura une deuxième vague de révélations, en décembre 2014, mais nettement moins importante.
Quand, en novembre 2014, « Luxleaks » est relayée dans 40 médias internationaux dont Le Monde en France, Le Soir en Belgique, The Guardian au Royaume-Uni ou encore la Süddeutsche Zeitung en Allemagne, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker prend tout juste la tête de la Commission européenne. Lequel Juncker était Premier ministre pendant la période incriminée.
Les élus europhobes au Parlement européen tentent rapidement de faire passer une motion de censure, rejetée, contre le nouveau président. Finalement, les eurodéputés mettent en place une commission spéciale chargée de mettre au jour les pratiques fiscales « de certains États membres ». Jean-Claude Juncker y est convoqué pour septembre 2015.
- Luxleaks... Jean Claude Junker dans la tourmente (Flickr - friends of europe)
Les journalistes ont eu accès pour l’enquête Luxleaks à des documents dérobés à PwC Luxembourg fin 2010. Des documents qui avaient déjà servi en 2012 pour des enquêtes de la BBC et de France 2. Le cabinet d’audit a entretemps porté plainte et le responsable du vol de données, Antoine Deltour, un ancien collaborateur français de PWC Luxembourg est inculpé par la justice luxembourgeoise en décembre 2014. ll n’est pas le seul. Un autre Français, ancien collaborateur de PWC lui aussi, est poursuivi pour le vol de 16 documents — des déclarations fiscales de sociétés américaines clientes du cabinet PWC en 2012 — dont la publication le 9 décembre 2014 constitue le second volet de l’affaire Luxleaks.
Le parquet de Luxembourg estime qu’il aurait été « guidé » dans son action par un journaliste de France 2, qui a collaboré à l’émission Cash investigation diffusée en 2012 et consacrée à l’évasion fiscale vers le Luxembourg. Édouard Perrin est lui aussi inculpé en avril 2015.
De quoi écorner l’image du pays qui s’est pourtant donné pour mission de réussir son Nationbranding.
ÉDUCATION
Une école internationale, publique et gratuite
L’Éducation nationale mise sur la diversification de l’offre scolaire pour répondre à une population d’élèves très hétérogène. Après un lycée luxembourgo-allemand ou des filières francophones et anglophones menant au bac international, c’est une école internationale qui ouvrira ses portes à Differdange, dans le sud du pays. Dans cette commune, à la frontière française et à deux pas de la Belgique, 60 % des jeunes sont non Luxembourgeois. Differdange mise aussi beaucoup sur l’essor de l’université du Luxembourg, regroupée à partir de la rentrée 2015 dans la ville voisine de Belval et espère accueillir des étudiants et des enseignants avec leurs familles.
L’« école européenne agréée » sera publique et gratuite, tout en offrant les programmes, la méthode et le matériel didactique de l’école européenne. Deux sections sont prévues au secondaire : francophone et anglophone.
Une école fondamentale, suivant elle aussi le système européen, est également prévue, selon le même schéma linguistique. Innovation, encore, au niveau de la deuxième langue, à choisir entre le français, l’allemand, l’anglais et… le portugais. C’est la première fois que la langue portugaise sera proposée dans le système public. L’école fera ainsi office de projet-pilote pour voir si l’intégration des élèves lusophones dans le système scolaire est plus facile en passant par leur langue maternelle.