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MADAGASCAR - Entretien avec Pierre Maury, Un Belge au pays des Malgaches

MADAGASCAR - Entretien avec Pierre Maury, Un Belge au pays des Malgaches

Partenariat Nouvelles de Flandre - Agora Francophone

Les fidèles lecteurs du journal Le Soir le reconnaitront. Pierre Maury, alias Pierre de Malgachie sur les réseaux sociaux, y signe depuis plus de 40 ans des chroniques littéraires. Rencontre avec ce Belge jovial qui vit depuis 25 ans sur la Grande Ile.

28 août 2024 - par Anne-Françoise Counet 
 - © Edgar Fonck
© Edgar Fonck

N.d.F.  : Parlez-nous de vous, votre enfance, vos origines...
P.M.  : Je suis né en 1954 à Sirault, un petit village de la région de Mons. Depuis tout petit déjà, j’adore lire. En fait, tout vient de là. Je n’ai jamais eu de mentor ou de professeur qui m’aurait fait aimer la littérature. Par contre, j’ai eu un très bon prof de mathématiques. Après mes études secondaires dans un pensionnat, une belle prison (rires), j’ai fait une année «  Spéciale Math  ». En même temps, j’ai suivi un cours du soir pour devenir bibliothécaire et fait un stage dans une bibliothèque à Mons. Je suis, ensuite, rentré en première candidature de physique à l’université de Mons mais, comme mes résultats aux premiers partiels étaient mauvais (je ne me suis jamais beaucoup investi dans mes études) mon père m’a dit  : «  C’est fini. Tu vas travailler  !  ». Et le lendemain, je débutais dans la bibliothèque où j’avais fait mon stage. C’est là que tout a vraiment commencé.

N.d.F.  : Le début d’une carrière dans le livre  ?
P.M.  : Oui, j’avais juste 20 ans. En travaillant à la bibliothèque, j’ai envoyé des articles à la revue Marginales, sans connaître personne, et ils étaient publiés. Sur cette lancée, j’ai proposé au directeur de la bibliothèque de créer une revue littéraire, qui a bien marché. On recevait beaucoup de livres en service de presse. Le directeur était très catholique et moi un peu moins (rires). Nous nous sommes un peu heurtés à propos de quelques critiques de livres dont il n’appréciait pas la morale. J’ai été remercié. Mais entre-temps, j’étais devenu collaborateur d’une émission littéraire à la radio belge et je publiais aussi des petits articles dans Les Nouvelles littéraires à Paris. Je suis parti à Bruxelles pour travailler à la librairie Libris. J’ai aussi collaboré avec la maison d’édition Marabout, pour laquelle j’ai écrit quelques ouvrages.

Et un jour de 1983, je reçois un télégramme de Jacques De Decker, secrétaire de rédaction du service culturel du Soir, qui me demande de renforcer l’équipe littéraire. C’est ainsi que je suis rentré au journal, la même semaine que Philippe Geluck, le papa du Chat. J’étais pigiste et je faisais deux petits articles par semaine. Ma grande chance a été de rédiger mon premier long article quelques mois plus tard pour le Prix Goncourt. J’ai évolué dans le service, jusqu’à coordonner l’information livres pour l’ensemble du journal. J’ai fait aussi des chroniques quotidiennes à la radio sur la Première à la RTBF. J’ai donné des cours à l’IHECS. Ma carrière est un mélange d’opportunisme (parce que je bougeais beaucoup) et de chance. Je suis tombé sur les bonnes personnes au bon moment.

N.d.F.  : C’est sans doute aussi une question de compétences...
P.M.  : Ça je ne pourrais pas le dire moi-même. Ce que je sais, c’est que j’ai une très grande capacité de travail. Si on m’appelle ou on m’envoie un message au milieu d’un déjeuner pour me dire qu’un grand écrivain est mort, je fais un article dans l’heure qui suit. Il y a une constante dans ma carrière : le livre. J’ai été bibliothécaire, libraire, éditeur, auteur, journaliste littéraire, professeur d’écriture journalistique et maintenant, je suis encore critique littéraire.

N.d.F.  : Et donc vous avez écrit des livres  ?
P.M.  : J’ai commis quelques ouvrages mais je n’ai jamais eu beaucoup de temps. Quand on s’occupe des œuvres littéraires des autres, il ne reste pas beaucoup pour écrire soi-même mais je ne le regrette pas. Notez que j’ai écrit un roman* qui se déroule à Madagascar. C’est l’histoire d’un grand reporter qui enquête sur l’esclavage moderne et se lance dans une aventure aux multiples rebondissements.


Pierre Maury
© Edgar Fonck

N.d.F.  : Une façon de parler de la société malgache que vous connaissez bien. Comment avez-vous décidé de vous installer ici  ?
P.M.  : En 1997, les Jeux de la Francophonie se déroulent à Madagascar. Je suis envoyé par Le Soir pour couvrir l’évènement. Quand je rentre à Bruxelles, je dis à Guy Duplat, le rédacteur en chef  : «  Je pars vivre à Madagascar  ». En fait, cela faisait des années que j’avais envie de quitter l’Europe. J’ai d’abord habité une vingtaine d’années à Tananarive où je pouvais disposer d’un service postal plus ou moins correct car je recevais chaque semaine un gros sac de livres. Mais je me suis toujours mieux senti dans le sud. Je vis maintenant ici à Toliara, loin de la capitale, parce que mon travail se fait à 100% par Internet.

N.d.F.  : Vous connaissez bien le pays. Que pensez-vous de la situation générale  ?
P.M.  : Malheureusement, elle ne fait que s’aggraver. Les gens sont de plus en plus pauvres. Les salaires n’augmentent pas. En théorie, le salaire minimum est de 250 000 ariary (environ 50 €). Beaucoup de gens gagnent encore moins que ça. Mais qu’est-ce qu’on peut faire avec 50 € par mois  ? Je vous donne un exemple concret et vécu  : un restaurant, où les employés gagnaient 200 000 ariary (donc déjà en dessous du SMIG), a été repris par un nouveau propriétaire. Il a mis tout le monde à la porte pour engager de nouvelles personnes, qu’il paie 100 000 ariary. Et le personnel reçoit à manger s’il y a des pourboires parce que les repas ne sont payés qu’avec les pourboires. Voilà la situation. On en est arrivé là ! ...

N.d.F.  : Les gens acceptent une telle situation  ?
P.M.  : Il n’y a pas assez de travail… Tout le monde en cherche. Donc, les gens sont exploités et n’osent pas se plaindre. Et puis, il y a la corruption qui prend des proportions énormes. Il n’est plus possible d’avoir un poste dans l’administration sans payer des sommes importantes. Ce pays est en train de s’écrouler. Les gens n’ont même plus la force de s’opposer, de manifester face au régime parce que ça ne sert à rien. Aucun gouvernement n’a jamais changé la situation. La population est vraiment fataliste et désespérée.

N.d.F.  : Est-ce que tout est aussi dramatique  ?
P.M.  : Il y a bien quelques exemples de réussite économique comme «  Gastro Pizza  ». Le fondateur de l’entreprise est un jeune Malgache qui a construit une petite baraque où il vendait des pizzas à emporter. Maintenant, il possède plusieurs dizaines de pizzerias implantées aux quatre coins du pays. Mais en général, ici c’est l’économie de la débrouille. Encore un exemple  : ma femme de ménage essaie de nouer les deux bouts en partant deux fois par mois dans des villages éloignés pour y vendre quelques fripes. Si on habite à la campagne, on peut survivre avec un petit lopin de terre mais on est obligé de vendre n’importe quelle petite babiole sur le bord de la route pour avoir quelques sous pour s’acheter la bêche qui va permettre de cultiver. S’ajoute à cela le problème démographique. La population augmente de plus en plus. Difficile de connaître le nombre exact d’habitants parce qu’il n’y a pas vraiment de recensement de la population ou de véritable état civil. Comment l’État peut-il subvenir aux besoins de ses habitants s’il ne sait pas combien ils sont ...

N.d.F.  : Et au niveau éducatif  ?
P.M.  : Il y a l’université qui avait un très bon niveau auparavant mais la situation là aussi s’est dégradée. On ne nomme plus de nouveaux professeurs. On n’embauche que des vacataires, qui ne sont pas payés régulièrement et qui sont donc souvent en grève. La situation est la même dans les écoles primaires. Pour faire bonne impression, l’État construit des bâtiments avec de jolies couleurs orange et fuchsia mais les classes sont vides parce qu’il n’y a pas d’enseignants. L’éducation est dans un état lamentable. Les étudiants les plus chanceux partent à l’étranger, souvent en France, pour continuer leur formation mais ils ne rentrent plus au pays.

N.d.F.  : Et le secteur de la santé ?
P.M.  : Si on n’a pas d’argent, le moindre pépin comme un accident ou une maladie prend des proportions démesurées. Les centres de santé, dans les campagnes, sont souvent éloignés des habitants. Et il faut payer le médecin, les infirmiers, les médicaments, si nécessaire l’hospitalisation et même la nourriture.

N.d.F.  : Qu’en est-il de l’aide humanitaire  ?
P.M.  : Moi, quand j’entends «  ONG  », j’ai les poils qui se dressent. En général, je ne crois pas beaucoup en ces grandes organisations parce qu’il y a beaucoup d’abus. Quand la structure s’agrandit, il faut l’administrer correctement et c’est loin d’être toujours le cas. Par contre, il y a quelques petites structures qui marchent bien et qui arrivent à aider la population mais dès qu’il y a un trop grand brassage d’argent, on ne sait pas où il va… De toute façon, ce n’est pas le rôle de ces associations humanitaires de remplacer l’État qui ne fait pas son boulot.

Ce pays part dans tous les sens. Il est difficile de faire une analyse cohérente de la situation parce qu’elle est variable selon les régions et les districts, voire même d’une commune à une autre. La situation n’est pas réjouissante du tout mais c’est ça, la vie ici ...

* Filière malgache, Pierre Maury, No Comment édition, 2013a

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