Commençons par la fin. Non par esprit de contradiction ostentatoire, mais par souci d’efficacité ! La représentation est terminée. Une séance d’échanges avec le public est organisée. Timidement quelques questions abordent « le » cœur du sujet : les violences faites aux femmes dans les sociétés, dont la malienne. Ping-Pong. Sans micro, les intervenants assis dans la salle forcent leur voix. Puis, arrive une voix masculine, assurée un bref instant avant de se perdre dans un silence éprouvant. La voix tente de se reprendre, de se ressaisir. Trop d’émotions, trop de souvenirs, trop d’injustices, la voix sentant qu’elle ne parviendra pas à ses fins comprend qu’un discours construit lui sera refusé par son système nerveux, elle synthétise à l’arraché. « Merci. » Puis le public comprend à demi-mot que sa mère...
La salle silencieuse, gênée sans doute, se sentant voyeuse involontaire d’une douleur intime, perçoit bien que l’écriture de Jeanne Diama et le jeu des actrices ont réveillé en cet homme des images et des paroles insupportables. Touché, coulé. La salle prend le relais, applaudissements dignes, sincères. Quelques minutes auparavant, une longue ovation debout avait accompagné le salut final des actrices. Que diable ces femmes ont-elles bien pu offrir pour qu’une telle chair de poule collective s’abatte sur le théâtre ?
Rien. Enfin, rien qu’on ne sache déjà si le sort et la marche du monde nous préoccupent un brin. Voilà bien la force du théâtre. Ne rit-on pas d’un mari cocu et de portes qui claquent chez Feydeau ? Pourtant, rien de neuf. Là, pareil, la liste des violences faites aux femmes occupe les programmes de radio et télévision à longueur d’antenne, du moins ici en France. L’information brute est connue. Mais là, le documentaire laisse place à une sorte de théâtre documentaire. L’information est incarnée. La souffrance est montrée, mise en scène, face caméra – face spectateur. La puissance du mot, de la grivoiserie, du chant et des 1000 savoir-faire du théâtre font résonner et vibrer ce qui n’est habituellement qu’une information au journal télé.
Voilà bien ce que Jeanne Diama, couturière des mots ; Assitan Tangara, metteuse en scène ; Awa Diassana, Niaka Sacko et Tata Tassala Bamouni, les comédiennes et chanteuses ont admirablement démontré. Tafé Fanga ? Le Pouvoir du pagne ? pose les faits sur la table, soulève les contradictions avec énergie. Parfois la salle rit... jaune. Certains regrettent même d’avoir ri ! L’instant d’après, une boule à picots massacre leur estomac. Une pièce de cet acabit a-t-elle une chance de bousculer les consciences ? Le doute est permis. Sera-t-elle jouée à Bamako, à Conakry ou à Ouga ? Pourquoi pas, sous protection policière, et interdite aux hommes. À Tombouctou ou Kidal ? Rire jaune. Pourtant elle n’est que le reflet mis en scène de témoignages recueillis lors de moments réguliers d’écoute de femmes. Jeanne Diama a réuni, chaque dimanche pendant six mois des femmes de Bamako. Expressions libres. Litanies de violences. Paradoxalement, sans doute a-t-elle entendu ce qui est souvent tu. De la main baladeuse aux multiples maternités forcées. De l’insulte à l’excision. Du mépris au viol. Le spectre est large. Aussi large que la carte géographique du fléau. Jeanne Diama a situé son réquisitoire à Bamako., sur son terrain. Qui sait, à Limoges n’aurait-elle pas recueilli des paroles de même type ? Question ouverte. Qui aura le courage (l’inconscience) de répondre ? Tafé Fanga ? Le Pouvoir du pagne ? serait-elle universelle ?
Les photos ont été prises lors de l’échange avec le public