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MAROC - Retour sur l’année 2016-2017

MAROC - Retour sur l’année 2016-2017

30 septembre 2016 - par Ahmed Ismaïli 
 - © Flickr - mhobl
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POLITIQUE
Aux élections communales et régionales du 4 septembre 2015, les islamistes du PJD (Justice et développement) au pouvoir réalisent un score impressionnant dans les grandes villes. Mais, peu soucieux d’honorer leurs engagements, certains grands électeurs appartenant à la majorité gouvernementale donnent leurs voix au PAM (Authenticité et Modernité), principal parti d’opposition fondé par Fouad Ali Al Hima, ami du roi, lui permettant ainsi d’arriver en tête dans les campagnes. Ainsi, contrairement au PPS (Progrès et Socialisme, ex - communiste), le MP (Mouvement Populaire dirigé par l’ancien ministre de l’Intérieur Mohand Laenser et actuellement ministre de l’Urbanisme et de l’aménagement du territoire national) et le RNI (Rassemblement National des Indépendants crée en 1978 par Ahmed Osman, beau-père de Hassan II et présidé à présent par le nouveau ministre des Affaires étrangères) votent massivement pour le parti du tracteur (PAM).

Concernant les autres formations de l’opposition, l’Istiqlal (conservateur), qui obtient 16 % des sièges des conseils municipaux, est défait à Fès, son fief historique. Conduit par l’intraitable Driss Lachgar, l’USFP (Union socialiste des forces populaires) s’écroule. Il cherche à s’allier au PAM afin de faire barrage au PJD taxé d’obscurantiste. Mené par l’universitaire Nabila Mounib, le PSU (Parti socialiste unifié) obtient, quant à lui, 9 précieux sièges à la municipalité d’Agdal, quartier huppé de la capitale.
Beaucoup d’argent a circulé et ceux qui faisaient campagne pour le boycott (Voie démocratique, gauche radicale et islamistes de Justice et bienfaisance) ont été malmenés par la police.

Ulcéré par les résultats du scrutin, Hamid Chabat, ancien maire de Fès et secrétaire général de l’Istiqlal décide de changer son fusil d’épaule. Il offre désormais un « soutien critique » au gouvernement qu’il fustigeait inlassablement quelques mois plus tôt. Il semble même courtiser le parti de lampe (PJD) qui se fait désirer. En effet, les différentes formations politiques sont obsédées par les prochaines élections législatives prévues pour le 7 octobre 2016. Jusqu’à présent, le PJD est donné favori : beaucoup de Marocains estiment que les cadres de ce parti - qui ne sont pas toujours assez efficaces - restent, pour le moment, incorruptibles.

En attendant la prochaine échéance, la classe politique s’engage dans une grande polémique au sujet du seuil électoral. Les petites formations telles que le PSU le juge trop élevé (6 %), accentuant ainsi leur marginalisation. Le ministère de l’Intérieur finit par le fixer en avril 2016 à 3 %, ce qui ce qui ne manquera pas d’amplifier le phénomène d’atomisation du paysage champ politique marocain où se disperse une bonne trentaine de partis.
Dans ce contexte, même le Chef du gouvernement s’aperçoit avec ahurissement que ses prérogatives sont rognées chaque jour davantage. En effet, la Constitution l’autorise à gérer 550 millions de dirhams destinés au monde rural. Mais Aziz Akhannouch, richissime ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime, parvient curieusement à s’ériger en ordonnateur du compte en question. Au début de novembre 2015, le ministre des Affaires étrangères qui multiplie les sorties médiatiques contre le Chef de l’Exécutif se range avec beaucoup d’ardeur du côté de Akhennouch. Habitué à avaler des couleuvres, Abdelilah Benkirane conjure ses troupes (les jeunes peuvent être plutôt impatients) de fermer les yeux sur cette nouvelle entorse à la loi fondamentale promulguée après le « Printemps arabe ».


Abdelilah Benkirane et Federica Mogherini chargée des Affaires étrangères de l’UE (Ph : Flickr - UE)

Un autre problème surgit entre Abdelilah Benkirane et un autre membre de son équipe : Rachid Belmokhtar, ministre de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle veut réintroduire le français dans l’enseignement scientifique à l’école publique franchement agonisante. En revanche, le Premier ministre qui a profité lui-même d’une formation bilingue au moment où l’État avait encore besoin de cadres s’évertue à faire figure de chantre de l’arabisation tout en plaidant pour la privatisation de l’enseignement (il possède lui-même partiellement un établissement scolaire privé) et en dénigrant certaines disciplines telles que la littérature et la philosophie. Omar Azziman, l’un des conseillers du roi, vole au secours de Rachid Belmokhtar. Néanmoins, aussi bien le Chef du gouvernement que son ministre de l’Éducation nationale jurent qu’ils s’inspirent exclusivement des directives royales. Le monarque tranche le débat le 10 février 2016 en présidant un Conseil de ministres à Laâyoune (Sahara) : les matières scientifiques et techniques seront enseignées en français.

Ainsi, face à la toute puissante monarchie, la majorité gouvernementale parait étrangement disparate, voire disloquée, bancale, dérisoire.

Il est question également de réformer l’enseignement religieux en vue de le rendre un peu moins rétrograde. On finit par prendre conscience en effet des ravages que peut provoquer, à l’échelle mondiale, le fanatisme copieusement nourri par le fondamentalisme saoudien et fébrilement instrumentalisé dans divers pays arabo-musulmans avec la bénédiction des Américains pendant les longues années de guerre froide. Il fallait bien détruire la gauche, et en particulier le communisme synonyme de « subversion ». Signalons que le ministère de l’Intérieur annonce continuellement le démantèlement de nombreuses cellules jihadistes composées de jeunes décidés à perpétrer des attentats meurtriers dans différentes villes du royaume. D’autres jeunes continuent à tenter d’atteindre « le Vieux continent » en prenant des embarcations de fortune au péril de leur vie.

D’autre part, le gouvernement annonce, vers la fin du mois de décembre 2015, une série de mesures pour s’attaquer à la corruption. Seront-elles efficaces ? Benkirane s’avoue vaincu : « Je voulais lutter contre la corruption, déclare-t-il. À présent, c’est elle qui me combat ! »


Front Polisario et Sahara occidental toujours sources de tensions internationales (Ph : Flickr - western sahara)

Autre souci majeur : le Sahara.
En décembre 2015, suite à une requête du Polisario, la Cour européenne remet en cause l’accord agricole entre le Maroc et l’Union. En représailles, Rabat suspend tout contact avec celle-ci. Au terme de nombreuses tractations, la réconciliation est scellée fin mars 2016. Mais les rapports deviennent de plus en plus tendus avec Ban Ki-Moon qui participe aux festivités du Polisario en se montrant favorable aux thèses des séparatistes. D’après la MAP (Maghreb Agence Presse), 3 millions de Marocains battent le pavé de la capitale le 13 mars 2016 pour dénoncer les déclarations du Secrétaire général de l’ONU relatives au Sahara.

Dans cette bataille, le Maroc jouit de l’appui de la France, de l’Espagne, du Portugal et de certains pays arabes tels que l’Égypte, la Jordanie et les monarchies du Golfe. Mais il est extrêmement déçu par l’attitude des Américains qui approuvent clairement la démarche de Ban Ki Moon et de Christopher Ross, son envoyé spécial dans la région, et exigent le retour des employés de la Minurso (Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental) expulsés par Rabat en raison de leur position jugée hostile au Maroc. Celui-ci s’efforce alors de consolider ses relations avec des amis fidèles et de trouver d’autres partenaires susceptibles de lui prêter main-forte.


Le roi Mohammed VI accueilli par François Hollande à Paris (Ph : présidence française)

Ainsi, Mohamed VI reçoit en septembre 2015, François Hollande à Tanger avec au menu des discussions l’économie et la coopération dans le domaine sécuritaire. Il se rend en Inde (fin novembre 2015) à la tête d’une délégation de 300 personnes composée d’hommes d’affaires, avec à leur tête Meriem Bensaleh, patronne des patrons. Il part à Paris au cours du même mois, puis en février 2016 où l’on décide d’organiser la COP22 à Marrakech. Il effectue une visite officielle à Moscou en mars et une autre à Pékin en mai avant de retourner en Europe (France et Pays-Bas)
En décembre 2015, Rabat répond positivement à l’appel de Riyad de former un large front de « lutte contre le terrorisme » et promet d’envoyer des soldats au Yémen pour combattre les rebelles houtistes. Cette coalition compte trente-quatre pays sunnites, dont le Maroc qui se garde bien de soutenir ouvertement le royaume wahhabite contre l’Iran au lendemain de l’incendie de l’ambassade de l’Arabie saoudite à Téhéran.

ÉCONOMIE

Le déficit commercial du Maroc se creuse et la situation économique du royaume s’avère délicate à cause notamment d’une campagne agricole médiocre et de la crise aigüe que traverse le secteur touristique.
Ainsi, après de longs mois de sécheresse, le pays subit à partir de fin février 2016, des pluies torrentielles et des chutes de neige avec leurs conséquences habituelles : villages coupés du reste du monde et maisons effondrées entrainant la disparition de plusieurs personnes : un bâtiment de trois étages à Fès et un immeuble en construction à Casablanca s’écroulent. Trois morts.
Au niveau du tourisme, suite aux attentats terroristes en Tunisie et en Libye, même les Français, qui semblaient priser le Maroc, ont préféré aller ailleurs (leur nombre a diminué de 30 % en hiver 2016). Afin de limiter les dégâts, le ministère de tutelle lance l’idée de promouvoir le tourisme local. Encore faut-il stimuler la classe moyenne qui se sent saignée à blanc.
Dans le domaine de l’immobilier, compte tenu des difficultés financières, les promoteurs émettent (fin novembre 2015) le désir de ralentir le rythme de construction des logements sociaux.
D’autre part, au cœur de l’hiver, la crise de la SAMIR, (Société anonyme marocaine de l’industrie et du raffinage), unique raffinerie du royaume et principal fleuron de l’industrie marocaine fait couler beaucoup d’encre. En mars 2016, le tribunal administratif de Casablanca décrète sa liquidation judiciaire sans oser inculper Mohamed Houssein El Amoudi, son patron saoudien qui l’avait achetée en 1997 à un prix symbolique dans des conditions douteuses. Cette affaire constitue un parfait exemple de privatisation ratée. En effet, les arriérés de cette entreprise, qui avait le monopole d’importer des carburants pendant dix ans, s’élèvent à 43 milliards de dirhams, la moitié due à l’État et l’autre moitié aux banques et à des sociétés étrangères. Les centaines d’ouvriers qui y travaillaient vivent à présent dans l’angoisse. Un gâchis épouvantable.
Ajoutons que la loi de finances tablait sur une aide financière de 13 milliards de dirhams des pays du Golfe. Jusqu’en octobre 2015, Rabat n’en a reçu que 2 milliards (Akhbar al Youm du 13/01/2016). Mais au cours d’une visite de Mohamed VI (fin avril-début mai 2016), le Maroc encaisse 250 millions de dollars versés par le Koweït.

Le solaire s’impose (Ph : communication Noor I)

Ainsi, les prévisions de taux de croissance sont revues sans cesse à la baisse. En décembre 2015, on avance le chiffre de 2 %, puis en mars 2016, on ne parle plus que de 1 %. On est donc bien loin des 7 % promis par le PJD en 2011 !
Cela n’empêche pas l’État de se lancer dans des projets gigantesques, nécessitant un investissement colossal. Ainsi, le 4 février 2016, Mohamed VI inaugure à Ouarzazate, au sud du Maroc, en présence de la ministre française de l’Écologie, la socialiste Ségolène Royal, la construction de Nour I, la plus puissante station de production d’électricité du monde grâce à l’énergie solaire.
À Kenitra, au nord de Rabat, une nouvelle usine Peugeot – Citroën vient de s’installer. Elle est censée produire annuellement 90 000 véhicules destinés à être vendus en Afrique et au Moyen-Orient. De son côté, Renault projette d’investir 10 milliards de dirhams dans ses ateliers au Maroc, ce qui se traduira par la création de 50 000 emplois et la réalisation de bénéfices annuels de 20 milliards de dirhams grâce aux exportations en Afrique, en Asie et en Europe.
Ajoutons enfin que le géant aéronautique américain Hexcel, spécialisé, entre autres, dans la fabrication de la fibre de carbone et des matériaux composites affectés aux avions s’établit à Casablanca.


La présence du roi... (Ph : Flickr - mhobl)

SOCIÉTÉ

Accusant l’Exécutif de chercher à les mettre devant le fait accompli, les principales centrales syndicales appellent, au début de novembre 2015, à une grève générale pour exprimer leur rejet du projet gouvernemental de fixer l’âge de la retraite à 63 ans. D’après les organisateurs, le mot d’ordre est suivi dans la fonction publique le 24 février 2016 à hauteur de 80 % malgré les retenues sur salaires. Or, d’après un ancien directeur de la CMR (Caisse Marocaine des Retraités), même la réforme préconisée par l’équipe au pouvoir relève du replâtrage, dans la mesure où une chute vertigineuse des cotisations s’avère inévitable suite à la politique de recrutement des futurs fonctionnaires sous contrat, les privant de titularisation et les empêchant, par conséquent, d’apporter la moindre contribution à cette caisse.
De leur côté, les réseaux sociaux s’emparent de la question de la retraite des ministres et des députés qui continuent à percevoir une pension assez consistante après avoir quitté leur fonction.

En décembre 2015, les élèves-professeurs des CPR (Centres Pédagogiques Régionaux) manifestent, à leur tour, dans les grandes villes contre deux mesures émanant du ministère de tutelle : réduction de leur bourse de 2400 à 1200 dirhams et obligation de passer un nouveau concours avant d’accéder à la fonction publique. Au début de janvier 2016, les forces de l’ordre interviennent d’une manière bien musclée pour disperser les manifestants à Casablanca. Les réseaux sociaux s’enflamment de nouveau, affichant leur solidarité avec les élèves-professeurs qui déclenchent une grève de la faim. Là encore, le gouvernement sombre dans la cacophonie. Si le Premier ministre se montre inflexible, l’argentier du royaume, Mohamed Boussaïd affilié comme Mezouar au RNI, suggère des solutions visant à embaucher les élèves-professeurs et à désamorcer la crise. Benkirane entre en transe. Mais même certaines formations politiques tiennent absolument à y mettre leur grain de sel. Histoire de rappeler qu’ils sont encore là. C’est le cas du PAM et de l’USFP qui offrent leurs bons offices au début avril 2016, théoriquement pour mettre fin au bras de fer entre le gouvernement et les futurs enseignants. Au lendemain d’un accord avec le ministère de l’Éducation nationale, les élèves-professeurs reprennent les cours. Sans cacher leur méfiance.

En novembre 2015, la police mate les étudiants en médecine qui descendent dans la rue pour réclamer la suppression du service civil obligatoire. Au bout de quelques mois d’affrontements, Houcine El Ouardi, ministre de la Santé, affilié au PPS et autrefois professeur et doyen de la faculté de médecine de Casablanca, se résout à lâcher du lest.
Cependant, l’université, institution délibérément et inlassablement discréditée depuis des décennies, et où la situation reste souvent ingérable à cause notamment du manque de moyens et de perspectives d’avenir, devient fréquemment un lieu de violence effrayante où des individus livrés à eux-mêmes s’entredévorent comme des rats dans une cage. Des accrochages se produisent sur les campus de Marrakech et d’Agadir. Bilan : un mort et plusieurs blessés. À Meknès, des étudiants se prétendant progressistes bandent les yeux et rasent la tête et les sourcils d’une jeune serveuse de la buvette de la faculté des sciences qu’ils soupçonnent de les espionner au profit d’un groupuscule rival…

Mais même les enseignants - chercheurs ne sont pas toujours à labri des tracas. Ainsi, l’historien et défenseur des droits de l’Homme, Maâti Monjib se dit harcelé par l’État et sa police au point d’être empêché de se rendre en Suède où il comptait participer à un colloque international. Les autorités lui reprochent de « mettre la sécurité intérieure du pays en danger ». Pour attirer l’attention sur son cas, il entame une grève de la faim qu’il suspend au bout de trois semaines après avoir obtenu le droit de voyager à l’étranger.

De même, au début de mars 2016, Abdallah Bekkali, directeur du quotidien arabophone Al Alam, organe de l’Istiqlal et président du Syndicat national des journalistes, est poursuivi en justice par le ministère de l’Intérieur après avoir évoqué dans son journal un problème de fraude électorale.
Bekkali s’insurge également contre le nouveau code de la presse qualifié de liberticide puisqu’il menace les journalistes de leur appliquer le Code pénal en cas de manque de respect envers la famille royale, la religion ou l’intégrité territoriale. Ils risqueraient donc d’être emprisonnés et condamnés à payer de fortes amendes. Pourtant, Mustapha El Khalfi, ministre islamiste de la Communication et ancien journaliste s’escrime à défendre ce projet, vantant continuellement ses innombrables avantages qu’on aurait tort de sous-estimer !

Le même ministre ordonne la censure de la revue Science et vie qui a osé reproduire en janvier 2016 une miniature du XVI° siècle représentant le Prophète. Néanmoins, comme le remarquera Tawfiq Bouachrine, directeur du quotidien arabophone Akhbar al youm, El Khalfi ne censure pas le journal Le Monde qui parle en première page le 5 avril 2016, des Panama Papers où il est question de biens acquis à l’étranger (un hôtel à Paris dans le 5° arrondissement et une luxueuse goélette) par Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi alors que, tétanisés dès qu’il s’agit d’affaires touchant au Palais, la plupart des journalistes marocains ont tendance à faire profil bas.

En novembre 2015, les habitants de la ville de Tanger au nord du Maroc descendent à leur tour dans la rue pour dénoncer la société de distribution d’eau et d’électricité Amendis qui, à leurs yeux, augmente abusivement le tarif de ses services. Ils obtiennent gain de cause. Cela n’empêchera pas le gouvernement d’annoncer (fin décembre 2015) une nouvelle hausse du prix de l’eau et de l’électricité ainsi que celui des billets de train et de l’autoroute.

Notons enfin qu’au début de janvier 2016 des applications mobiles de messagerie permettant de téléphoner gratuitement (WhatsApp, Viber, Skype…) sont bloquées. Motif invoqué : manque à gagner pour les opérateurs en place : Maroc télécom, Inwi, Méditel… Cela provoque la fureur des internautes. Un citoyen intente un procès contre le chef du gouvernement, l’ANRT (l’Agence nationale de réglementation des télécommunications) et le ministère de l’information suite à ce blocage.

Leïla Slimani (Ph : Gallimard)

CULTURE

Comme chaque année, de nombreuses rencontres à caractère culturel ont lieu dans différentes villes du royaume, où divers prix sont souvent distribués.
Ainsi, le 19 septembre 2015, Dans les jardins de l’ogre (Gallimard, 2014), roman de la franco-marocaine Leïla Slimani portant audacieusement sur l’addiction au sexe, est couronné par le Prix littéraire de la Mamounia consacré aux auteurs marocains d’expression française. Le montant de ce prix s’élève à 200 000 dirhams.
Présidé par le philosophe Edgar Morin, le jury de la 22e édition du Grand Atlas crée par l’ambassade de France au Maroc décerne, le 19 novembre 2015 à la Bibliothèque nationale du royaume du Maroc à Rabat, le Prix Essai francophone, à l’ouvrage collectif Le Tissu de nos singularités (sous la direction de Fadma Aït Mouss et Driss Ksikes, Ed. En toutes lettres, Casablanca, 2016). Ce livre « interroge les mutations des liens sociaux au Maroc »

La 22e édition du SIEL (Salon International de l’Édition et du Livre) fondé en 1987, accueille à Casablanca entre le 11 et le 21 février 2016 plus de 650 exposants venus d’une quarantaine de pays, dont les Émirats arabes unis, invités d’honneur.
Cependant, quelques mois plus tôt (le soir du 18 octobre 2015), le poète, romancier et ancien opposant Abdellatif Laâbi et son épouse Jocelyne Laâbi, elle-même écrivaine, sont agressés chez eux à Harhoura, près de Rabat. Le metteur en scène Abdelkader Laqtaâ vient de réaliser un long métrage intitulé La moitié du ciel où il rend hommage à ce couple.
Conduite, par Francis Ford Coppola, la 15° édition du Festival International du Film de Marrakech (décembre 2015) récompense, à la surprise générale, les 15 films en compétition, dont Very big shot du Libanais Mir-Jean Bou Chaaya (Etoile d’Or-Grand prix), Neon Bull de Gabriel Mascaro (Prix de la mise en scène) et La fille qui venait de nulle part de Réda Jai (Prix ciné-écoles).

Quatorze films représentant autant de pays sont projetés dans le cadre la 21° édition du Festival international du cinéma d’auteur à Rabat (fin janvier-début février 2016). De longs métrages iraniens séduisent particulièrement le jury : Quelques mètres cubes d’amour de Jamchid Mahmoudi (Grand prix Hassan II), Quelle heure est-il dans ton monde ? de Safi Yazdanian (Prix du meilleur scénario). Le film marocain La nuit entr’ouverte de Tala Hadid reçoit le prix du meilleur film arabe. Des ateliers et des tables rondes sont organisés en marge des projections.



En outre, le Centre cinématographique marocain organise la 17e édition du Festival national du film à Tanger (26 février-5 mars 2016) au cours de laquelle se réunissent les professionnels du 7e art pendant que 28 productions nationales (courts et longs métrages) entrent en lice. Le jury attribue le Grand Prix à A mile in myshoes de Saïd Khallaf qui traite le douloureux problème des enfants de la rue, et le Prix de la réalisation à Hicham Lasri pour The Sea is behind qui soulève la question des travestis.
Enfin, la 15e édition du FICAM (Festival International du Film d’Animation) se tient dans la capitale ismaïlienne du 25 au 30 mars 2016.

SPORTS

Le FUS (Fath Union Sport) de Rabat qui évolue en première division à l’échelle nationale et qui a gagné la Coupe du Trône à plusieurs reprises (en 1967, en 1973, en 1976, etc.) est sacré, samedi 4 juin 2016, champion du Maroc à l’issue d’un match contre la Mouloudia d’Oujda (4 à 2). Il se hisse ainsi au premier rang avec 58 points, suivi des autres 14 meilleurs clubs de football du pays, précédant le Widad de Casablanca (56 pts), l’Ittihad de Tanger (50 pts), les FAR (Forces Armées Royales, 47 pts), le Raja de Casablanca (47pts), le Moghreb de Tétouan (43 pts), etc. Un succès total.

Mais les compétitions sont parfois émaillées d’incidents graves. C’est le cas du derby de Casablanca où s’affrontent le 20 décembre 2015 les deux puissantes équipes de cette métropole : le Widad et le Raja. En effet, en dépit des mesures prises par les autorités et de la présence d’un dispositif policier invraisemblable, ce match nul donne lieu à des actes de vandalisme, preuve que le hooliganisme continue à faire des ravages. Le 19 mars 2016, les supporters du Raja (en majorité des adolescents) récidivent. Ils s’entretuent à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur du stade Mohamed V de Casablanca suite à une rencontre où leur équipe s’est pourtant imposée face au Chabab Rif d’el Hoceima en marquant deux buts à zéro. Bilan : 2 morts et une bonne cinquantaine de blessés.

Excédée, la Fédération Royale Marocaine de Football réagit. Le Raja sera condamné à jouer cinq matchs à huis clos, donc privé de ses milliers de supporters, et à verser une amende de 100 000 dirhams. Ainsi, le 8 mai 2016, la 112e édition du derby se déroulera sans public au Grand stade de Tanger, bien loin de la capitale économique. Le Raja en sort, malgré tout, largement vainqueur (3 à 0)

Au niveau du continent noir, et dans le cadre des éliminatoires du Mondial 2018, la sélection marocaine de football croise le fer, le 21 octobre 2015, avec l’équipe libyenne lors de la dernière journée des éliminatoires de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2017 à Radès, en Tunisie. Même si c’est un match nul, le Maroc est d’ores et déjà qualifié. Il bat ensuite la Guinée équatoriale à Agadir, au sud du royaume, en match aller, le 12 novembre 2015, en marquant 2 buts à 0.

Mais en février 2016, la Fédération Marocaine de Football décide, pour des raisons obscures, de licencier l’entraîneur national Baddou Zaki (500 000 DH par mois). Il sera remplacé par le Français Hervé Renard (600 000 DH par mois). Le 26 mars 2016, les Lions de l’Atlas l’emportent sur leurs redoutables homologues du Cap-Vert à Paria (1à 0). Le Maroc prend ainsi la tête du groupe F des éliminatoires de la CAN (Maroc, Cap-Vert, Sao Tomé et Principe). Il reçoit l’équipe du Cap-Vert en match retour le 29 mars 2016 au Grand stade de Marrakech. Cette rencontre se solde, elle aussi par un but à zéro au profit des hommes d’Hervé Renard.

Concernant les sports de combat, Mohamed Rabii (22 ans), décroche en octobre, au Championnat du monde à Doha, la médaille d’or en boxe anglaise, catégorie des 69 kg, en prenant le dessus sur la Kazakh Daniyar Yeleussinov.
Signalons enfin que, sur le plan de l’athlétisme, la seconde édition du Marathon de Rabat, à laquelle des milliers de coureurs nationaux et étrangers participent dimanche 13 mars 2016, est marquée principalement par la victoire des Kényans Sammy Kigen (2 h 9 : 23), Alfred Kering (2 h 10 : 30) et Kispang Kipekmoi (2 h 11 : 59) chez les hommes. Le Marocain Rachid Kisri est classé 5e au même titre que sa compatriote Aïcha Bani chez les dames. Celle-ci est devancée notamment par les Kényanes Pamela Rotich (2 h 40 : 54) et Esther Chemtai (2 h 28 : 37)

Disparitions
Née en 1940 à Fès, Fatima Mernissi commence ses études au Maroc et les poursuit en France et aux États-Unis. Parallèlement à son activité d’enseignante qu’elle entame en 1980 à l’université Mohammed V de Rabat, elle mène un long combat de féministe et publie de nombreux ouvrages tels que Sexe, Idéologie, Islam (Le Fennec, Casablanca, 1985), Le monde n’est pas un harem (Albin Michel, 1991), Sultanes oubliées : femmes chefs d’État en Islam (Le Fennec 1990), Rêves de femmes : une enfance au harem (Albin Michel, 1998), Le Harem et l’Occident (Albin Michel, 2001)
En 2003, elle reçoit, avec l’écrivaine et militante américaine Susan Sontag, le prestigieux Prix espagnol Prince des Asturies en littérature. Elle s’éteint le 30 novembre 2015 à Rabat.


Fatima Mernissi reçoit le Prix Erasmus en 2004 (Ph : wmc - Fondation Erasmus)

Le mois suivant (16 décembre 2015), une autre grande dame rend l’âme. Née en 1945 à Oujda, à l’est du royaume, Zolikha Nasri prépare en 1967 un doctorat d’État en droit privé à Lyon après avoir décroché deux titres à Rabat : une maîtrise à la faculté de droit et un diplôme d’économie à l’École nationale d’administration. De tempérament plutôt autoritaire, elle est nommée conseillère du roi en 1998, puis directrice de la Fondation Mohammed VI pour la solidarité.

Mortellement blessée lors d’un attentat à Ouagadougou (Burkina Faso) pendant qu’elle réalisait un reportage pour Amnesty International, la photographe et vidéaste franco-marocaine Leila Alaoui qui avait vu le jour à Paris le 10 juillet 1982 meurt le 18 janvier 2016 à l’âge de 33 ans.

5 février 2016. C’est au tour de l’un des piliers du théâtre marocain de tirer sa révérence. Né en 1939 à Essaouira, au sud du pays, le dramaturge, comédien et calligraphe Tayeb Saddiki a rempli la fonction de directeur artistique du Théâtre Mohammed V de Rabat au début des années 60, puis de directeur général du Théâtre municipal de Casablanca entre 1964 et 1967. Ayant créé de nombreuses troupes telles que Théâtre ambulant et Théâtre ouvrier, il a traduit et adapté une trentaine d’œuvres dramatiques et écrit autant de pièces en arabe et en français, en s’inspirant largement de la culture populaire et de la littérature classique. Il a mis en scène 85 pièces de théâtre, une trentaine d’œuvres pour la télévision et cinq films, dont Zeft en 1984 où l’influence de l’artiste espagnol Arrabal, auteur de Viva la muerte est manifeste. Il a été décoré en France à deux reprises : Chevalier des Arts et des Lettres en 1979 et Officier des Arts et des Lettres en 1983.

19 février 2016. Le chanteur, chef d’orchestre amazigh et danseur talentueux de l’Ahidous (danse traditionnelle accompagnée de chant et exécutée par des groupes d’hommes et de femmes de tribus berbères), Mouha Oulhoussein Achiban, surnommé par le président américain Ronald Reagan le maestro, succombe à une crise cardiaque dans la province de Khenifra (Moyen Atlas) à l’âge de 100 ans. Il avait dirigé, pendant plusieurs années, sa troupe d’une manière remarquable dans différents festivals nationaux et internationaux.
Mouha Oulhoussein Achiban est connu aussi en tant qu’ancien résistant opposé farouchement à la présence militaire française au Maroc. En janvier 2015, il a failli être jeté en prison parce qu’il n’arrivait pas à honorer un chèque de caution de 70 000 dirhams remis à un hôpital de Rabat où son fils avait subi une opération chirurgicale.

Miloud Chaâbi (Ph : wmc - bachirovic)

16 Avril 2016. Le milliardaire autodidacte et politicien Miloud Chaâbi, légende fascinante, meurt lui aussi d’une crise cardiaque. Né en 1930, près d’Essaouira, dans une famille tellement démunie que l’un de ses frères mourut de faim, Miloud Chaâbi passa son enfance à garder des moutons jusqu’au jour où, un loup ayant dévoré l’une des brebis du troupeau, le petit berger fuit son village natal pour échapper à un châtiment exemplaire.
Commençait alors une longue période d’errance et d’expédients avant d’arriver à KenitraMiloud se fit embaucher comme ouvrier maçon. Doté d’une volonté de fer et d’une capacité de travail exceptionnelle, il mit sur pied, dès l’âge de 18 ans, toute une entreprise de construction. C’était en 1948. Kenitra abritait à l’époque l’une des bases militaires américaines bâties au lendemain du débarquement de 1945. Au faîte de sa gloire, il édifia l’empire industriel Ynna Holding. Le magazine économique américain le cita parmi les plus grosses fortunes du Maroc en 2015. Un million cinq cents millions de dollars.
Miloud Chaâbi constituait cependant un cas à part dans l’histoire du capitalisme marocain dans la mesure où il était issu d’une famille paysanne pauvre et illettrée, par opposition aux autres hommes d’affaires plutôt bourgeois occidentalisés, en majorité d’origine fassie, et souvent prêts à être au service du Makhzen (le banquier Othman Benjelloun, le magnat Anas Sefrioui, etc.) Il se sentait marginalisé, voire combattu, en raison essentiellement de son indocilité, par Driss Basri, redoutable ministre de l’Intérieur de Hassan II, auquel il reprochait publiquement de l’empêcher de bénéficier au même titre que ses pairs, de l’opération de marocanisation lancée après l’indépendance et consistant à transférer au profit des entrepreneurs marocains les sociétés appartenant aux colons français.
Il lui arrivait toutefois d’adhérer à des partis politiques très proches du Pouvoir comme l’Union constitutionnelle et même de changer d’étiquette au gré des événements. Il fréquenta ainsi les cadres de l’Istiqlal avant de se joindre aux ex-communistes, tout en restant particulièrement attaché aux valeurs morales traditionnelles (les grands hôtels et les grandes surfaces dépendant de son groupe ne vendaient et ne servaient jamais d’alcool). El Hadj Miloud se fit élire néanmoins député d’Essaouira aux élections législatives de 2007 sous la bannière du PPS. Puis il finit par se rallier aux islamistes du PJD. Il soignait patiemment son image de bienfaiteur généreux et discret, contrastant d’une manière saisissante avec la réputation de manipulateur et machiavélique que lui faisaient hargneusement ses adversaires.
Ambitieux et dynamique, il ne se laissa pas décourager dans les années 70 par l’hostilité des autorités de son pays. Il alla ailleurs, commença à investir en Tunisie, en Libye, en Égypte, en Mauritanie, au Mali, en Côte d’Ivoire, faisant bâtir inlassablement complexes résidentiels et usines.
En 2011, il participa, à l’instar de Karim Tazi (autre homme d’affaires atypique, mais se situant plutôt à gauche) aux manifestations du Mouvement du 20 février qui réclamait plus de liberté et de démocratie.
En 2016, les Panama papers révélèrent qu’il était directeur de trois sociétés offshores dans des paradis fiscaux.


Bibliographie
 Ali AMAR et Jean-Pierre TUQUOI, Paris-Marrakech : Sexe, fric et réseaux, Paris, Calmann-Lévy, 2012
 Assia BELHABIB et alii, Quand le printemps est arabe, La Croisée des Chemins, Casablanca, 2014.
 Tahar BEN JELLOUN, Le Mariage de plaisir, Paris, Gallimard, 2016.
 Ahmed BOUANANI, L’Hôpital, Verdier, Lagrasse, 2012.
 Réda DALIL, Best-Seller, Le Fennec, Casablanca, 2016.
 Mohamed ETTAYEA, Abderrahmane Youssoufi et les dessous de l’alternance, Éditions Tel Quel Media, Casablanca, 2013.
 Abdellatif LAÂBI, Le Principe d’incertitude, Editions de la Différence, 2016.
 Fatima MERNISSI, Journalistes marocaines, Génération dialogue, Marsam, Rabat, 2012.
 Youssef OUAHBOUN, Les Hommes tombent et ne meurent pas, Marsam, Rabat, 2015.
 Fadma AÏT MOUSS, Driss KSIKES (Sous la direction de) et alii, Le Tissu de nos singularités, Vivre ensemble au Maroc, En toutes lettres, Casablanca, 2016.
 Haim ZAFRANI, Le Judaïsme maghrébin, Le Maroc, Marsam, Rabat, 2007.

Ahmed Ismaïli
Professeur honoraire à la faculté des lettres et des sciences humaines de Meknès
ismaili_ahmed_2000@yahoo.fr

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