Le 27 août 2016, la Moldavie a célébré ses 25 ans d’indépendance. Outre la parade militaire, huée pour les clôtures érigées entre les fonctionnaires d’État rassemblés sur la place de la Grande Assemblée nationale et le peuple venu crier son ras-le-bol, l’évènement est symbolique d’une tranche de vie d’un pays qui cherche encore sa place dans le monde. Puisque l’occasion s’y prête, ce texte prendra donc la forme d’une synthèse réflexive plus qu’une chronique d’actualité de la dernière année sur l’évolution du pays, sur les grands questionnements qui se posent par rapport à son avenir, sur les enjeux, les défis et les apories de la transition.
- Une nostalgie soviétique toujours présente (Ph : Arnaud Galy - ZigZag)
Le passage du régime soviétique vers un système démocratique fut rude pour la jeune république qui, en un quart de siècle, a perdu un quart de sa population, passant de 4,4 millions d’habitants à environ 3,3 millions, et un tiers de sa main d’œuvre. Aux prises avec les difficultés économiques, les Moldaves se sont dirigés massivement vers l’Ouest et la Russie. Deux destinations qui dévoilent les allégeances des Moldaves et nourrissent deux grands questionnements : s’intégrer dans l’Union européenne ou refaire le cercle de solidarité avec la Russie et certaines des ex républiques soviétiques. Au fil de ces 25 ans d’histoire récente, chacune de ces options a été défendue dans le parlement moldave par des partis politiques qui s’y sont succédé. Après une courte victoire (1991-1994) des artisans de l’indépendance réunis pour la plupart d’entre eux dans les rangs du Front populaire moldave (FPM) qui a tracé la ligne de séparation de l’URSS, les partis « pro-russes » (Parti démocrate agraire (PDAM), Parti socialiste « Ravnopravie » (PS), Parti des communistes (PC) reprennent le pouvoir (1994-2009) et retissent les liens avec l’ancienne métropole. S’ensuit une période de gouvernance « pro-européenne » (2009-2016) menée par des alliances entre le Parti libéral démocrate (PLDM), le Parti libéral (PLM) et le Parti démocrate (PDM).
Sur le plan de la politique extérieure, ces changements ponctuent une trajectoire bidirectionnelle. Tantôt le pays ratifie le traité de constitution de la Communauté des États indépendants (1994), puis fonde, en 1996, aux côtés de la Géorgie, de l’Ukraine et de l’Azerbaïdjan, le GUAM, tantôt il s’engage dans un long processus d’adhésion à l’Union européenne qui se concrétisera par la mise en œuvre de l’Accord de partenariat et de coopération (signé en 1994 et entré en vigueur en 1998 pour une période de 10 ans) et l’Accord d’association ratifié le 1er juillet 2016. Le pays change, entre temps de régime constitutionnel, passant d’une république présidentielle (1991) à une république parlementaire (2000), puis de nouveau à une république présidentielle (2016). L’enjeu des amendements majeurs à la constitution moldave n’est pas sans lien avec les querelles intestines que se livrent les politiciens moldaves dans leur lutte pour le pouvoir et de domination des principales institutions étatiques. La politique moldave est par ailleurs fortement marquée par le style du « leader-sauveur » qui puise dans le charisme et le populisme d’un tel ou d’un autre, mais qui est dépouillée d’une doctrine et d’une idéologie clairement assumées.
Ces évolutions témoignent de la difficulté de constituer une classe politique avec une identité distincte et forte et un électorat rompu aux règles des la démocratie. La transition moldave se décline ainsi aux choix conjoncturels et opportunistes d’une classe politique qui n’aura pas su s’approprier des principes de gouvernance doctrinaire, articulés autour des idées et de projets de société, et aux déceptions d’un peuple éprouvé par les crises successives, qui octroie son vote selon ses états d’âme plus qu’en fonction de ses convictions politiques. Donc, de part et d’autre, une conscience politique est à bâtir, en plus de se doter d’instruments efficaces pour ce faire.
L’ère numérique a amené en Moldavie une révolution Twitter qui a fait tomber, en 2009, le gouvernement communiste. L’Internet est aussi l’apanage de nouveaux médias qui tentent un autre type de journalisme que celui professé par les chaines de télévision et de radio affligées aux intérêts politiques. C’est une fenêtre ouverte sur le monde pour bien d’acteurs de la société civile qui se chargent de monitoriser les institutions étatiques gangrenées par la corruption. Que ce soit le système de justice maintes fois pénalisé par la Cour européenne des droits de l’homme ou les systèmes de santé et d’éducation totalement aseptisés par la corruption, on a ici une liste sommaire des principaux obstacles à une démocratie fonctionnelle. Sans oublier que les passerelles vers un État de droit sont guettées par des groupes mafieux, des oligarques qui se partagent les ressources et qui tiennent entre leurs mains les ficelles du pouvoir politique.
La transition s’est fait ressentir le plus durement sur le plan économique. L’effondrement de l’URSS a provoqué une chute drastique des économies locales, y compris moldave, laquelle a mis plus d’une décennie pour se redresser. À titre d’exemple, les PIB a chuté de 909 USD en 1990 à 402 USD en 1994, puis à 282 USD en 1999, enregistrant ainsi une décroissance de près de 70 % en une décennie seulement.
Pays majoritairement agricole, réputé pour ses sols « ciornoziom », la Moldavie entame la transition économique par une vaste réforme de privatisation des terres lesquelles sont reparties en cota aux anciens travailleurs des kolkhoz et sovkhoz déchus. Or, cette réforme perd de vue le partage des machines et de l’outillage agricole complémentaire. Les nouveaux propriétaires d’un terrain qui exige des investissements immédiats sont pris ainsi entre confusion, perte de repères et manque d’outils et de savoir-faire gestionnaire. Toute la base de l’économie moldave s’érode sous le poids d’une agriculture en déclin, qui compte traditionnellement pour la moitié des revenus des exportations. Parallèlement, les grandes entreprises d’État subissent une privatisation à l’aveugle, sans concours et sans évaluation des capacités de gestion de l’acquéreur.
- Frontière de l’Europe ? Oui, mais quelle Europe ? (Ph : Flickr - Arnaud Galy - ZigZag)
Les infrastructures qui se fissurent, les investisseurs qui se font rares, les villages qui se vident de leurs populations affaiblissent considérablement le potentiel économique du pays qui perd de plus ses marchés traditionnels à l’Est dans des conjonctures géopolitiques où la Russie, son marché traditionnel, lui impose en guise de pénalités lorsque le pouvoir moldave manifeste son intérêt pour l’UE et l’OTAN des embargos successifs à l’exportation des vins, des fruits et des légumes.
La reprise économique ne se fera sentir qu’à partir des années 2000 : timide, fragile, vulnérable aux ondes séismiques qui secouent le monde de la finance à l’Ouest. L’industrie vinicole est parmi les premiers secteurs à reprendre du poil de la bête, faisant du pays le septième producteur mondial. Les embargos russes eurent en quelque sorte l’effet contraire, poussant les producteurs locaux à chercher des débouchés ailleurs. C’est ainsi que les vins moldaves commencent à se faire connaitre et être appréciés sur les marchés européen et nord-américain, qui absorbent près de 30 % de la production moldave annuelle.
- La promotion du vin au centre de Chisinau (Ph : Arnaud Galy - ZigZag)
De façon plus générale, le commerce extérieur de la Moldavie bascule, durant la dernière décennie, vers les marchés de l’Ouest. Plus de 60 % des exportations prennent maintenant la route vers l’Union européenne contre 20 % à la fin des années 1990. Quant aux importations venues des pays de l’UE, elles se sont maintenues à environ 49 % au cours de cette période. Pour ses importations, la Moldavie reste tributaire du gaz russe, qui est aussi le moyen de pression dans le cadre d’une géopolitique régionale complexe.
L’émancipation politique de la Moldavie passe donc par une relation de dépendance économique de la Russie qui a tenu, après l’effondrement de l’URSS, à garder son influence politique dans la région. La question transnistrienne, qui constitue un des principaux défis de la Moldavie, en est un illustre exemple. La Transnistrie, enclavée entre les rivières Nistru et Prut, à l’est du pays, est une entité territoriale autoproclamée indépendance de la Moldavie et soutenue par la Russie, même si le Krlemlin n’a jamais reconnu son indépendance politique. Au statut incertain, la Transnistrie vit sous perfusion grâce à l’aide russe, dont l’intérêt est de conserver ce territoire comme un poste d’avant-garde dans la géométrie des zones d’influence de la Russie et de l’OTAN. La Transnistrie accueille d’ailleurs, à Colbasna, le plus gros dépôt de munitions en Europe, lequel appartient à la Russie.
- Rencontre parlementaire entre moldaves et transnistriens (Ph : Flickr - OSCE)
Les Russes sont aussi présents par leurs forces militaires, eux qui ont dépêché des troupes à Tiraspol dans le cadre du conflit armé opposant, en 1992, les pouvoirs transnistrien et moldave. Depuis, la 14e Armée russe est devenue l’armée nationale de la RMN (République Moldave Nistrienne). Le conflit transnistrien compte aujourd’hui parmi les conflits « gelés » de l’Europe qui fait l’objet d’une médiation en vue de sa solution réunissant plusieurs acteurs régionaux ainsi que l’UE et les États-Unis. Les négociations en format 5+2 (la Russie, l’Ukraine, l’Organisation pour la Coopération et la Sécurité en Europe, l’Union européenne, les États-Unis + La République de Moldavie et la République moldave nistrienne), devaient reprendre en 2015, mais aucun signe en ce sens n’a été encore donné.
Ce conflit non résolu, qui recèle en lui la confrontation des intérêts géopolitiques des principaux acteurs régionaux, est sans conteste le défi le plus ardent de la RM pour son avenir immédiat. De sa solution va dépendre le cours du développement de la Moldavie, orienté vers l’Est ou l’Ouest. D’autres provocations lui succèdent, non moins urgentes et importantes, comme le problème démographique, les réformes démocratiques, la restructuration des institutions étatiques, la reconstruction du tissu social en faisant une place plus importante à la société civile qui se réinvente depuis 1991, après l’époque soviétique. Autant de défis, de provocations, d’horizons qui s’ouvrent à cette jeune république qui sort à peine de son adolescence. Saura-t-elle les aborder avec maturité, courage et responsabilité ? Nous suivrons son périple au cours des prochaines années.
Véritable institution d’art et de culture, le groupe de danse « Joc » est une perle rare de la Moldavie. Né à la fin de la Deuxième Guerre de la volonté politique de doter la jeune république soviétique d’un instrument de cohésion et de reconstruction sociales, l’ensemble prend véritablement son envol sous la férule de Vladimir Curbet qui lui assure une stabilité inébranlable. Curbet, sacré artiste émérite du peuple, mit toute sa vie au service de la chorégraphie moldave : 58 ans à la tête de cette institution unique en son genre, lui qui fête cette année ses 85 printemps alors que le groupe souffle ses 70 bougies. L’ensemble de danseurs et leur maitre auront survécu à la chute du régime communiste, en 1991, et aux séismes de la transition qui semblent ne pas atteindre cette joie de vivre que porte en soi le nom du groupe « Joc », qui signifie en roumain comme en latin (jocus) danse, fête, bonne humeur…
- Spectaculaire, non ? (Ph : aimablement prêtée par l’auteure)
En paraphrasant un proverbe emprunté à la sagesse populaire, on pourrait dire que l’éternité se love dans l’esprit des traditions. Or, le répertoire de « Joc » remet sous les projecteurs de l’ère industrielle postguerre et de la postmodernité technologique de nos jours le meilleur de la culture populaire moldave : ses costumes et ses danses locales devenus nationales, ses balades et ses cris chantants qui évoquent toute la gamme d’émotions de l’être humain et son lien avec la terre.
La recette de ce succès relève sans doute d’une abnégation ineffable, sorte de symbiose entre l’homme et ses racines, entre l’art et la tradition, et d’une philosophie et d’un savoir-faire qui ne se sont pas démentis au fil des ans. Né d’un père trompettiste, au cœur de la campagne moldave, Vladimir Curbet jure très tôt fidélité à l’art populaire dans son état le plus pur : la mélodie authentique, l’esquisse originelle du mouvement du corps et l’expression langagière qui le moule. C’est ainsi qu’il recréa, dans un monde nouveau et sous un nouveau jour, une suite de compositions artistiques qui ont porté ce nom – « JOC » - au nom de la joie aux quatre coins du monde. Qu’on pense à "Jocul ferarilor", "Brîul", "Bătuta", "Voiniceasca", "Haiduceasca", "Hora fetelor", "Mărunţica", "Crăiţele", "Moldoveneasca", "Ţărăneasca", "Răzăşeasca", "Hora mare". Realizări remarcabile : "Căluşarii", "Nunta moldovenească", "Mărţişor", suita "Bucuria", "Suita din Bugeac" ou encore à la "Suita din Carpaţi". Patrimoine inclassable, si riche, si complexe, si subtil, si unique ! Ces chorégraphies-mirage ont été produites et reproduites en plus de 10 000 spectacles, en plus de 70 pays, en 70 ans !
Les prix et les reconnaissances internationales ont coulé à flots : Grand Prix et Médaille d’or au 6e Festival mondial des jeunes danseurs à Bucarest (1953), Grand Prix et Médaille d’or au Festival mondial de Moscou (1957), Grand Prix au Festival de Dubrovnik (1965), Médaille d’or au Festival des jeunes danseurs de Berlin (1974), Diplôme et Médaille d’or au Festival du folklore international de Burgas (1979), Médaille d’or à l’Olympiade internationale de la Culture de Moscou (The First Delphic Games) en 2000 et 2002.
Que leur souhaiter de plus, si ce n’est vie éternelle à travers toutes ces générations de danseurs et de danseuses qui perpétuent un patrimoine vivant de l’Humanité.