Derrière de larges lunettes de vue, aux montures noires, Chadia Loueslati a l’air taquin. Ça fuse ! Face au public, face à un interlocuteur, face à son mari, face à sœur et beau-frère, Chadia Loueslati a du répondant même si souvent, elle prend l’initiative. Un rien lui inspire bon mot, gentille pique et anecdote de derrière les fagots ! Lors des repas de famille, l’ambiance doit être loin du classique vieux tonton réac et gigot haricots.
Derrière de larges lunettes noires, aux montures noires éclatantes de diamants, Oum Kalthoum, l’air sévère ou peut-être seulement inspirée.
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Ne poussons pas trop loin l’exercice de style. Chadia Loueslati et Oum Kalthoum n’ont vraisemblablement que très peu de choses en commun. Osons le talent ? L’une a décidé de faire de l’autre le sujet de son dernier roman graphique. Rien n’interdit - excepté la frilosité des éditeurs - une dessinatrice et scénariste de BD étiquetée « rigolote » de mettre son talent au service d’un roman graphique dit « sérieux ». Et « s’attaquer » à Oum Kalthoum est fichtrement sérieux. Le parcours de l’icône de l’Égypte et « du monde arabe » mérite que celle qui ose donner sa version soit rigoureuse comme un enquêteur « d’affaire froide et classée ». Une approximation riquiqui et la foule d’admirateurs zélés lui tomberait sur le coin du nez sans hésiter. Chadia Loueslati et sa binôme scénariste Nadia Hathroubi-Safsaf ont donc dû se plonger dans les archives sonores, écrites, photographiques et cinématographiques, au point de vue artistique et politique, pour ne pas dire géopolitique tant la diva fut une Ambassadrice de son pays et du Président Nasser. Ambassadrice qui, même si des diamants ornaient ses lunettes, redistribuait des sommes considérables dans les caisses de son pays.
« Femme forte », c’est peu dire
Filles de paysans, grandissant loin du Caire, elle parvint à gravir des montagnes afin d’accéder à l’éducation. Psalmodiant le Coran, elle convainquit son père de la laisser s’habiller en fille alors que seuls les hommes chantaient le Coran. Puis elle enrichit son répertoire en interprétant le Coran ET de la poésie. Bien plus tard, elle exigea de son mari un contrat de mariage et une clause l’autorisant à demander le divorce. Diable !
L’Islam sous Nasser ressemblait fort peu à celui que voudrait imposer les « … istes » de tous poils de nos jours !
Et le roman graphique ?
Un objet, la classe !
Son Noir profond et Blanc, souvent enrichi de sépia est une machine à remonter le temps. Le Noir représente le présent du récit, à savoir un certain 13 novembre... 1967, soir où la Dame est en vedette à l’Olympia dirigé par Bruno Coquatrix, l’endroit et l’homme qui dominent les soirées musicales parisiennes de l’époque. Le sépia « rembobine » la cassette de plusieurs décennies, retour en Égypte. De la dureté campagnarde à la chic vie cairote et internationale, une atmosphère paisible se dégage du dessin de Chadia Loueslati : des parents dépeints avec un amour protecteur et pourtant émancipateur ; un sale bonhomme vite remis à sa place ; une bienveillance enrobante assez troublante, de succès en succès.
2 millions de personnes lui rendent hommage le jour de ses obsèques. Les rues du Caire, l’Égypte et « le monde arabe »sont noyés sous le chagrin. N’est-il pas rare pour une dessinatrice de croquer 2 millions de pèlerins ? Chadia Loueslati l’a presque réalisé, il en manque 3 !
Merci à Musiques Métisses et Littératures Métisses (Angoulême - France) d’avoir tout mis en œuvre pour que cette rencontre avec Chadia Loueslati ait lieu dans de si belles conditions.