Ce soir-là, à Bordeaux*, fidèle à elle-même, Oum est arrivée sur scène portée par un chatoyant tapis volant poussé par le Chergui*. Lunaire et inspirée, elle venait présenter ses dernières compositions « Zarabi* », soigner les âmes, panser les plaies, ouvrir son cœur et partager sa sérénité. Rencontre avec l’inventrice de la Zarabithérapie, tout droit venue du Sahara marocain.
Son patronyme est déjà un programme, une fenêtre ouverte sur un horizon poétique : Oum El Ghaït Benessahraoui, Oum la fille du Saharaoui. Une fille qui a su laisser le temps forger l’expression artistique qui lui va à ravir. Laissant échapper un sourire elle reconnaît que petite fille, élevée à Marrakech, elle n’était pas du tout Rock’n’roll : « Sage, j’étais soucieuse d’être au rendez-vous de ce que mes parents attendaient de moi, bonne élève pour qu’ils soient fiers, surtout ne pas les décevoir... » Admirative de son père, fonctionnaire la journée, transmetteur de valeurs et de talents de retour à la maison, Oum a toujours su que « si je voulais quelque chose je devais m’accrocher ». Avant de cerner quel rêve elle souhaitait attraper elle s’est laissée nourrir de traditions, de musiques, de poésies sahariennes, de cérémonie de mariage... « Mon père est talentueux, il a toujours beaucoup écrit et lu, il est manuel autant que verbal. » Oum a bénéficié de la bienveillance de sa famille au moment où elle cherchait sa voie... sa voix. Presque architecte... elle abandonne avant la soutenance de son mémoire. Presque chanteuse de jazz ou de R’n’B comme ses idoles de jeunesse. Presque chanteuse en français, voire en anglais. Presque chanteuse pour les autres avant qu’un bon génie lui apporte la lumière et la décide à être chanteuse pour elle sans avoir peur de fabriquer, comme une artisane, son propre écrin artistique. « Aujourd’hui, je ne suis toujours pas Rock’n’roll, mais j’ai pris rênes de ma vie et je me réalise ».
- Ph : Arnaud Galy
Un cheminement toujours en cours
Après avoir butiné sur les musiques inspirantes du monde, Oum réalise qu’« il n’y avait pas de références, pas de musiques qui rassemblaient tout ce que j’aimais, tout ce que j’étais. Rien à qui j’avais l’envie de ressembler ». Constat qui ne conduit qu’à une seule issue, oser être soi même. Oser chanter en darija, le dialecte marocain ; oser tourner une vidéo aux côtés de sa grand-mère choyée et de sa famille « élargie » vêtues de costumes traditionnels exprimant un blues poétique des plus poignants ; oser le sable, oser la lenteur, la sensualité et la profondeur... Oser l’oud ! « Lors de la tournée de mon album précédent, Soul of Morroco, j’ai découvert l’oud. C’est paradoxal, car c’est l’instrument le plus proche de ma culture, mais... » Mais Oum n’avait pas encore apprivoisé l’évidence ! Le son de l’oud lui a ouvert « les portes d’un univers » qui lui colle à la peau. « Je dois beaucoup aux musiciens qui m’accompagnaient alors. Jusque là je pensais que les musiciens devaient me conseiller et m’apprendre afin que je m’améliore, moi qui ne lis ni n’écris la musique. Mais ils m’ont dit que j’étais le chef d’orchestre, que je devais laisser faire ma voix et qu’ils suivraient. Jamais personne ne m’avait parlé comme cela et j’ai su que je devais tout faire pour respecter cette confiance mise en moi. »
- Ph : Arnaud Galy
Zarabi, l’album de la sérénité
« À partir de là je ne me suis plus demandé à qui ça allait plaire, à qui ça allait parler ? J’ai écrit Zarabi pendant la tournée de Soul of Morroco avec un sentiment de libération. J’étais dans l’euphorie de la tournée, dans la joie de découvrir des lieux nouveaux, la complicité avec mes musiciens, l’émotion... Zarabi (un temps) est l’adéquation avec ce que suis. Les concerts laissent une grande place à l’improvisation, pour moi et pour les musiciens. Je voulais qu’on s’accompagne, que l’on soit libres en laissant une grande place à l’aspect sensoriel. Je crois beaucoup en ces choses qui nous dépassent, il faut enlever le contrôle ! Être maître de soi c’est accepter tout ce qui vient de nous, arrêtons de réfléchir avec la raison, brouillons les pistes, jouons avec les métaphores... j’aime toucher le chant ou manger la couleur. Notre plus grande richesse n’est pas notre intelligence, mais notre capacité à nous échapper. Quand on a la chance d’être sur scène, d’être poète ou musicien, il faut incarner des rôles, jouer avec la liberté d’être sur scène, imaginer des univers et des alternatives. »
Forte de cette sérénité qui lui permet d’être radieuse en chantant du blues, d’être moderne en s’imprégnant de traditions, de « dire quand ça va mal, même joliment », Oum partage ses valeurs avec d’autres musiciens. N’étant pas à un paradoxe assumé près, la fille du Saharaoui est complice des Maliens Tinariwen sur scène comme en dehors. Paradoxe, en apparence. Le désert, le Sahel, le nomadisme, la tradition poétique les rapprochent. Le militantisme politique que portent les musiciens touaregs n’est pas contradictoire avec la délicate introspection et la bienveillance poétique exprimée par Oum. « Tinariwen dit la nostalgie pas la reconquête, il cherche la vérité qui est souvent derrière ce que l’on voit », nous partageons cette poésie. Généreuse sur scène, Oum l’est aussi dans l’ombre. Comme ici à Djibo au Burkina Faso, ce village d’accueil de réfugiés maliens, qu’elle soutient grâce à la Caravane culturelle pour la paix initiée par le Festival Taragalte au Maroc* dont elle est la marraine. « Je suis allé voir ce qu’on ne voit pas... à la rencontre de ces gens qui vivent dans le dénuement le plus total, mais qui ont la grâce et l’hospitalité généreuse. » Ce soir là, à Bordeaux, les youyous et les applaudissements montés du public étaient aussi, en partie, pour eux. La Zarabithérapie n’est pas une charlatanerie, qu’on se le dise...
- Ph : Arnaud Galy