(... Guyane, France)
Atelier 2057. Sur ma porte il y a d’écrit « académie centrale des arts et design de Pékin ».
Depuis le 3 janvier 2021 mon adresse a changé. J’habite Paris, le toit du monde. Sauf qu’en ce moment, le monde est un peu fermé. J’ai ouvert ma valise à la Cité Internationale des Arts pour trois mois dans le cadre de TRAME qui est un double programme de résidence à destination d’artistes des Outre-mer et d’artistes francophones du monde entier qui souhaitent développer un projet de recherche et de création dans toutes les disciplines à Paris. Le projet pour lequel j’ai été retenue s’intitule « Exils poétiques ». Je vais à la rencontre de Guyanais qui ont quitté leur terre natale pour s’installer ici. Je questionne ces départs. Ces vies ou vides outre-Atlantique. J’interroge une certaine forme de saudade, « le mal du pays ». Je cherche à donner textes et voix à ces hommes, ces femmes, ces plus jeunes qui un jour sont partis pour étudier, pour travailler, pour aimer, pour se soigner, pour fuir, pour voir ailleurs. Je porte une casquette d’artiste-reporter qui monte dans des bus, des trains, des RER, des métros pour aller recueillir la parole des autres et réussir à en faire des
récits qui à la toute fin deviendront des podcasts. Je travaille également sur l’univers sonore qui accompagnera ces témoignages. J’en profite pour tenir un journal de bord, car pour mener ce projet, moi aussi j’ai dû partir. Apprendre à vivre un temps ailleurs. Me réveiller, 18 rue de l’Hôtel de Ville, entre quatre murs qui n’étaient pas les miens et qui au fur-et-à-mesure le deviennent. Les micros-trous laissés par des centaines de punaises me regardent et semblent dire :
D’autres avant toi sont passés par là. Et toi, que vas-tu accrocher ? Que vas-tu laisser là ?
Vivre à la Cité, c’est comme être dans le spleen et l’idéal. Grande je dors dans mon petit lit. Tout cela m’élève.
Ce sont des centaines de solitudes qui se croisent. Se sourient. Ce sont des :
– Hi !
– Hello !
– Bonjour !
– Hola !
– Bonjou !
Ce sont des invitations à venir à la rencontre de l’autre, découvrir de nouveaux univers le temps d’un café, d’un verre, le plus souvent, du vin.
Ce sont aussi des visages familiers. Des artistes que je connais par le biais d’autres résidences ou que j’ai déjà lus ou avec qui je suis amie dans le virtuel. J’ai revu Kouam. J’ai fait la connaissance de Sufo Sufo. J’ai partagé des Comme il faut(1) avec Néhémy. J’ai aussi refusé de danser (sans rires).
Et beaucoup plus proche de moi, je partage des instants éphémères avec mes camarades artistes du programme TRAME. Il y a Elodie et Kaloune de la Réunion, Koukouvi du Togo, Ernst de Haïti (note à moi même, il faut que je lui envoie un mail), Eric et Agathe du Cameroun, Zineb du Maroc et Clarisse de Rio de Janeiro.
– Tudo bem !
Beaucoup d’amour et de bienveillance.
– N’hésite pas si tu as besoin !
Le sentiment que chaque acte de création compte et que nous sommes le monde et que le monde continuera à prendre forme.
Le soir, des bougies s’allument. J’ai toujours aimé regarder la vie le soir. Certains artistes ont vue sur la Seine ou la Tour Eiffel. Ma vue à moi donne sur les fenêtres. Alors par la fenêtre — elles sont grandes nos fenêtres — je scrute. J’abandonne mon travail, le temps de regarder d’autres artistes assis à leur bureau, concentrés ou rêveurs. Je suis entourée d’artistes peintres. La dernière fois, mon voisin du bâtiment côté Est ou Ouest (désolée, je n’ai jamais été forte au jeu de la boussole) m’a montré par la fenêtre une toile assez imposante sur laquelle il travaille. Il vient de la Slovaquie. Il est ici pour encore trois semaines. À notre prochain rendez-vous inopiné par la fenêtre, je lui demanderai de crier plus fort son nom.
Il y a deux jours, non par la fenêtre mais par le plus monstre des hasards, j’ai croisé Gérard DEPARDIEU. La restauration de l’équipe de tournage dans lequel il jouait, s’est installée le temps d’un instant fourchette dans la cour intérieure de la Cité des Arts. Nous échangeons une banalité.
– Drôle d’endroit la Guyane !
Drôle de personne ou de personnage, me suis-je dit.
Son pas est lent, le mien est pressé. Je pars en « exils poétiques » rencontrer des guyanaises qui vivent à Fresnes. Dans mon sac à dos, mon micro enregistreur, mes écouteurs, mon appareil photo, mon cahier noir, trois stylos, ma timidité mais aussi mon courage.
C’est parti !
Mais avant, une femme, que je suppose actrice, court dans mes bras :
– Natacha !
J’endosse ma veste de comédienne
– Hello ! Moi, c’est pas Natacha ! Mais c’est pas grave ! On va faire comme si j’étais Natacha.
Elle sourit de confusion. Le talent l’abandonne. Non loin d’elle, DEPARDIEU mange.
C’est vraiment parti ! Direction Fresnes
La Cité a ce petit côté fiction qui me plaît. Ce jour-là, je rentre après le couvre-feu comme bien souvent.
Désiré à l’accueil me demande si j’ai bien travaillé aujourd’hui.
– Oui j’ai bien travaillé !
– Il faut rajouter « dur » ! Dire : j’ai travaillé dur !
Alors maintenant je dirai « j’ai travaillé dur ».
2057, ma boîte aux lettres est vide. En un mois et 21 jours je n’ai reçu qu’une carte de Joub me souhaitant la bonne année.
L’administration, mot et lieu qui m’ont toujours fait presque peur, est ici très avenante. Pleine de chaleur humaine, elle est située au premier étage de l’immeuble principal. Elle nous accompagne au mieux. Je me souviendrai toujours d’une des phrases lors du café d’accueil, « si vous rencontrer des difficultés dans vos projets, ne restez pas seuls avec vos problèmes. Nous trouverons des solutions. » Cette phrase, ce n’était pas des mots vains. Il y a un véritable suivi et des moments dédiés aux mentorats. Des propositions de rencontres professionnelles. Des mises en réseaux. Des sourires.
(Note à moi-même) : Ne pas oublier d’offrir une boîte de chocolats à cette partie du premier étage. C’est le moindre et plus sincère des gestes à faire, aux personnes qui nous ont fait du bien.
L’heure est venue pour moi de replonger en Exils Poétiques.
(1) Cigarettes d’Haïti