Dans les journaux scientifiques du monde entier se partagent les pages des publications américaines, chinoises, allemandes… La Recherche est en effet un milieu essentiellement mondialisé. Pourtant, les contextes culturels et économiques impactent toujours fortement le journalisme scientifique, avec des conséquences parfois importantes sur les conditions de traitement de l’information. Du Québec au Burkina Faso, plongée dans l’arrière-boutique des journaux de sciences.
Le journalisme scientifique au Québec traverse une période difficile
La liste des journalistes scientifiques québécois salariés se rétrécit d’année en année. Dans la belle province, le métier tend à se fragiliser depuis les années 1980. Titulaire de la Chaire de journalisme scientifique Bell Globemedia, Jean-Marc Fleury est dubitatif face à la crise : « Je trouve qu’il y a un paradoxe. Pendant la montée du journalisme scientifique, le Québec ne se démarquait dans aucun domaine. Aujourd’hui, on pourrait interviewer Yoshua Bengio à Montréal, une des sommités mondiales de l’intelligence artificielle. Et pourtant, la vente des numéros est sur une pente glissante. »
En 1957, au lancement de Spoutnik, le premier satellite artificiel russe, le Québec assiste à l’émergence des sujets scientifiques dans la presse - un phénomène généralisé à l’ensemble de l’Amérique du Nord. C’est aussi au cours de cette période que le Québec subit une profonde mutation. La province assiste à une modernisation dans l’éducation, la santé et la science : c’est le début de la Révolution tranquille. Les trois principaux magazines de vulgarisation scientifique qui existent encore aujourd’hui sont nés à cette époque. On compte parmi eux Québec Science, qui a vu le jour en 1962, l’Agence Science-Presse et la revue jeunesse Les Débrouillards, toutes deux fondées en 1978. Les rubriques Science ont également fait leur apparition dans les grands médias généralistes. Malgré cela, « il y a longtemps eu des journalistes scientifiques de quotidiens nationaux qui se contentaient d’écrire des articles à une source, analyse Jean-Marc Fleury, titulaire de la Chaire de journalisme scientifique Bell Globemedia de l’université Laval. Le problème était que les journalistes scientifiques agissaient davantage comme des vulgarisateurs ou porte-parole de la science, que comme de réels journalistes, critiques de la science. » Mais depuis, la qualité du contenu a progressé : « C’est notamment grâce des journalistes comme Jean-François au quotidien Le Soleil de la ville de Québec et Amélie Daoust-Boisvert au Devoir, à Montréal », félicite Jean-Marc Fleury. La Chaire déploie également des initiatives de recherche pour intégrer des outils modernes, comme l’intelligence artificielle dans le journalisme scientifique.
Des coupures gouvernementales évitées de près
Le 12 décembre 2014, le ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations annonçait des coupures budgétaires colossales dans le milieu de la vulgarisation scientifique. Elles allaient non seulement mettre en péril Québec Science, l’Agence Science-Presse et les Publications BLD auxquelles appartient Les Débrouillards, mais aussi des organismes d’éducation ludique comme les expo-sciences. Depuis la crise des médias des années 1990, causée par une baisse des revenus publicitaires, la survie des rédactions dépend de plus en plus des subventions publiques. C’est sans grande surprise que la nouvelle annoncée par le ministère a provoqué une vague de colère et d’incompréhension dans les médias et sur les réseaux sociaux. En constatant ce tollé, le gouvernement provincial est revenu sur sa décision et a abandonné le projet. « Cet événement nous a rappelé à quel point nous sommes fragiles, témoigne Pascal Lapointe, rédacteur en chef de l’Agence Science-Presse. Il n’est qu’une infime partie de la vulgarisation scientifique aux yeux du gouvernement. Il n’est donc pas vu comme une priorité - pour ne pas dire le moins - et ça se reflète dans son financement », analyse-t-il. Marine Corniou, l’une des deux journalistes salariées de Québec Science, se considère privilégiée de pouvoir exercer le journalisme scientifique à temps plein : « Je vois dans mon entourage de plus en plus de journalistes qui arrêtent leur métier », se désole-t-elle. Québec Science, qui est passé d’une périodicité de douze à huit numéros par an, a réussi à amortir les conséquences de la crise des médias, car « 25 % de ses revenus proviennent de subventions québécoises », explique Marine Corniou.
« Les pigistes québécois envient le statut spécial des pigistes français »
Selon un sondage réalisé en 2012 au sein des journalistes ou communicateurs scientifiques, 39 % des 122 répondants sont des pigistes. Même s’il représente une des principales revendications de l’Association des journalistes indépendants du Québec, le statut de pigiste reste celui du travailleur autonome. « Les pigistes québécois envient le statut spécial des pigistes français », concède Pascal Lapointe. Fiche de paie, « treizième mois », congés payés, ancienneté… des avantages salariaux dont ne bénéficient pas les journalistes « auto-entrepreneurs » au Québec. Toujours selon ce sondage, un peu plus de la moitié consacre moins de la moitié de son temps au journalisme scientifique. Vers quelle autre activité se dirigent-ils ? Bien souvent, les contrats de communication, qui offrent une alternative plus sûre. Mais des campagnes comme #100LaScience ouvrent la porte aux discussions. Elles visent surtout à définir et expliquer le rôle du journaliste scientifique et son importance dans la société québécoise de demain.
Le problématique développement du journalisme scientifique en Afrique francophone subsaharienne
En commençant un article sur le journalisme scientifique en Afrique subsaharienne, on se heurte à une première réaction vive : mais cela n’existerait pas. La réalité est plus nuancée. Le journalisme scientifique est encore ici à ses balbutiements. Tout d’abord, parce que « le taux d’alphabétisation est bas et c’est un frein. Cela implique que ceux qui viennent sur le site de notre journal sachent déjà lire » explique Mamadou Togola, journaliste au Journal scientifique et technique du Mali. Ainsi, se pose d’emblée la question de l’accessibilité des contenus. En effet, le média papier, souvent associé au journalisme scientifique en Occident n’est pas le meilleur médium de transmission de connaissance ; au contraire les radios sont plus appropriées. « Les radios communautaires ont une large portée, car elles émettent en langue locale. Mais leurs journalistes n’ont pas la formation adéquate pour faire de la vulgarisation scientifique » déplore Marie-Soleil Frère, chercheuse à l’université libre de Bruxelles et autrice du livre « Journalismes d’Afrique ». Un deuxième frein à la communication scientifique est donc le niveau des journalistes sur les questions techniques. « Souvent le niveau scientifique est très bas. Il y a des radios où des journalistes sont dédiés à la santé, mais les niveaux n’ont rien à voir avec les niveaux français » constate Sylvie Sargueil, journaliste santé et formatrice sur ces questions en Afrique. Ce problème de niveau s’explique notamment par des revenus bas pour la profession : « Jamais les scientifiques ne deviennent journalistes : c’est le métier du pauvre » expose Sylvie Larrière, journaliste scientifique et responsable du pôle international à l’école supérieure de journalisme de Lille.
La déontologie est un luxe
Or, c’est bien dans l’économie des médias que se situe le nerf de la guerre. « Les revenus chez nous sont minimaux, certains jeunes journalistes nous ont lâchés à cause de cela » se lamente Mamadou. Une pratique courante est celle des « revolving doors » loin d’être spécifique au continent africain : un journaliste va devenir chargé de communication, car ces postes-là sont plus lucratifs. Il se trouve que les sciences en Afrique francophone subsaharienne offrent peu de telles perspectives et de fait découragent les spécialisations sur des thématiques scientifiques. En outre, cette pratique rend la frontière entre communication et journalisme scientifique plutôt floue. Cette confusion est entretenue par les modèles économiques des médias de vulgarisation. « Certaines organisations ou entreprises nous demandent de couvrir des évènements pour de l’argent. C’est plutôt un travail de communication, mais sans lui, notre journal pourrait difficilement tenir. Ce sont surtout les quotidiens qui attirent les revenus publicitaires » constate Cyr Payim Ouédraogo, directeur de publication pour Infos Sciences et Culture, un imprimé du Burkina Faso. Un constat partagé par Inoussa Maïga, de la chaîne AgribusinessTV : « C’est grâce aux productions de films documentaires institutionnels que nous effectuons que nous pouvons financer nos autres projets. » Toutefois, le Burkinabé est droit dans son éthique de travail : « C’est important que le public sache la différence entre les publireportages et les enquêtes que nous menons » tout en restant lucide « C’est presque impossible de trouver les moyens de travailler tout en gardant sa liberté : les recettes publicitaires ne sont pas suffisantes. »
Si les acteurs locaux semblent au fait de la distinction entre communication et journalisme, la différence entre journalisme et vulgarisation scientifique est plutôt peu assimilée. « Des chercheurs nous contactent pour être publiés, car cela leur sert pour leur notation par la CAMES (Conseil Africain et Malgache pour l’enseignement supérieur). Leurs textes sont réadaptés par les journalistes pour être plus lisible et mieux attirer l’attention du public » décrit Cyr Payim, avant de déclarer fièrement « Infos Sciences Culture appartient aux chercheurs. » En Occident, ce type d’articles, écrits par des chercheurs pour faire la promotion de leur recherche serait plutôt considérés comme de la vulgarisation scientifique, car il n’y a pas de remise en cause de la pensée du scientifique. Par exemple, au Journal Scientifique et technique du Mali, « nous ne reprenons que des études déjà publiées dans des journaux à relecture par les pairs. Nous n’avons pas les moyens de vérifier les dires des chercheurs » signale Mamadou. Des pratiques pourtant nécessaires, mais peu effectuées, d’autant qu’« il y a une vision postcoloniale de la Science. On remet peu en question les puissants ou les sachants » détaille Sylvie Larrière.
Le rôle de la communauté internationale
Les anciennes puissances coloniales, France et Belgique surtout, ont en effet également eu un impact sur le développement du journalisme scientifique et continuent d’influer par le truchement d’organisations. « Il y a des émissions de sensibilisation en santé ; mais ce n’est pas du journalisme scientifique, c’est de la communication pour le développement » rapporte Marie-Soleil. Des émissions qui en outre doivent encore faire leurs preuves : « Certaines organisations signent des contrats pour passer des programmes santé prêt-à-diffuser. Le problème, c’est que le contenu n’est pas adapté aux populations » objecte Sylvie Sargueil. Et ce, sans compter sur l’influence des anciens coloniaux sur la recherche elle-même. « Les médias offrent une couverture médiatique lorsque certains rapports qui relèvent de la “littérature grise” sont rendus publics lors de conférences de presse. Mais il s’agit souvent d’études et de rapports commandités par des bailleurs de fonds qui ont un agenda spécifique. Leurs résultats peuvent être orientés... » dévoile Marie-Soleil.
Le constat peut sembler un peu gris quant aux capacités des médias africains de s’emparer des thématiques scientifiques. Néanmoins, les acteurs du terrain ne semblent pas baisser les bras. « Le journalisme scientifique est un nouveau type de journalisme, il n’y a pas encore de soutien politique », confie Mamadou. En effet, le sous-développement actuel peut être vu comme un environnement riche d’opportunités. « Bien que ce ne soit pas forcément les sujets qui font vendre, il y a un énorme potentiel inexploité autour des sujets santé et culture » prédit Inoussa. « C’est une situation embryonnaire, mais ce n’est qu’un début. D’ici à dix ans, d’autres journaux ouvriront » se réjouit Cyr Payim. Confronté à de nombreux défis, le journalisme scientifique saura-t-il se développer de manière éthique en Afrique francophone subsaharienne ?