POLITIQUE
À la mi-mandat, le Premier ministre Philippe Couillard tente de garder le moral au sortir d’une sessio horibilis marquée par deux remaniements ministériels et une succession de crises qui ont ramené les libéraux aux pires années de l’ère Charest. Éjection de Sam Hamad, allié politique de longue date de Philippe Couillard, du Conseil des ministres pour avoir bafoué les règles éthiques dans l’octroi d’une subvention, arrestation de l’ancienne ministre libérale Nathalie Normandeau par l’Unité permanente anticorruption pour complot et trafic d’influence, déclarations malheureuses de la ministre de la Condition féminine sur le féminisme et bourdes accumulées sur les questions d’éducation et d’immigration ; cette suite d’évènements a fait perdre au gouvernement le contrôle de l’agenda parlementaire. Seuls les sondages plaçant le Parti libéral solidement en tête des intentions de vote dans la population ont permis à Philippe Couillard de voir un peu de lumière au bout du tunnel.
- Le Premier ministre Philippe Couillard dans la tempête (Ph : Flickr - Canada2020)
L’année politique a été également extrêmement mouvementée chez les péquistes avec la démission-surprise de Pierre Karl Péladeau (PKP) de ses fonctions de chef du Parti québécois (PQ), de chef de l’opposition officielle et de député de Saint-Jérôme pour des raisons familiales. Personne n’avait vu venir le coup au sein du caucus, plusieurs députés percevant PKP comme le « sauveur » de leur parti et le maître d’œuvre de l’indépendance du Québec. Le scrutin pour désigner le successeur du politicien et magnat de la presse aura lieu du 5 au 7 octobre 2016. Cinq candidats sont en lice pour lui succéder : les députés Alexandre Cloutier, Martine Ouellet, Véronique Hivon, Jean-François Lisée et Paul Saint-Pierre Plamondon. C’est le député de Jonquière et ancien ministre des Transports et des Affaires municipales, Sylvain Gaudreault, qui dirige le PQ par intérim.
- François Legault s’est imposé comme le seul chef de l’opposition (Ph : wmc - LouisRoyQC)
En l’absence d’un véritable capitaine au PQ, François Legault s’est imposé comme le seul chef de l’opposition capable de tenir tête aux libéraux. Celui qui dirige la Coalition Avenir Québec (CAQ) a particulièrement bien maîtrisé les dossiers économiques. Même si sa nouvelle position constitutionnelle demeure à clarifier, François Legault s’est également avéré le plus ardent défenseur de l’identité québécoise. Tout comme la CAQ, Québec solidaire (QS) a frappé plusieurs bons coups cette année tel que l’adoption des projets de loi sur les locataires aînés ou la loi pour les enfants transgenres. Une belle illustration de l’apport de QS en ce dixième anniversaire de fondation de leur parti.
Enfin, la saga judiciaire entourant l’ex-lieutenante-gouverneure Lise Thibault s’est terminée en juin 2016 après six ans de rebondissements multiples. Accusée d’avoir réclamé illégalement 700 000 $ de fonds publics québécois et canadiens, elle a été condamnée à 18 mois de prison et à un remboursement de 300 000 $ pour fraude et abus de confiance à l’endroit des gouvernements provincial et fédéral sur une période de 10 ans. Après avoir purgé le sixième de sa peine, la femme de 77 ans a obtenu une sortie préparatoire à sa libération conditionnelle.
Culture du silence au MTQ
L’ex-ministre libéral des Transports Robert Poëti a créé une commotion à l’Assemblée nationale en mai 2016 en sonnant l’alarme au sujet d’irrégularités constatées dans son ancien ministère. Intimidation des vérificateurs chargés d’analyser la conformité de contrats en région, contrats fractionnés pour être accordés de gré à gré à d’anciens employés, reddition de comptes insuffisante, les faits observés par Robert Poëti l’ont amené à demander un rapport d’enquête à sa sous-ministre, Dominique Savoie. Il a toutefois perdu son poste de ministre avant même d’en avoir vu la couleur. Dominique Savoie et le chef de cabinet de l’actuel ministre des Transports, qui avait été lui aussi mis en garde par Robert Poëti, ont été démis de leurs fonctions pour ne pas avoir assuré le suivi adéquat des anomalies observées.
ÉCONOMIE
Au moyen d’une politique de « rigueur » budgétaire, le gouvernement a signé pour une deuxième année consécutive un budget à l’encre noire. Le ministère des Finances prévoit même le dégagement d’un surplus de 1,8 milliard, ce qui dépasse largement l’objectif fixé de l’équilibre budgétaire. Si les économistes se réjouissent de la santé des finances publiques, beaucoup critiquent la sévérité des mesures d’austérité en contexte de faible croissance économique.
Le printemps 2016 a été marqué par la vente de deux géants de l’industrie québécoise. Le détaillant de produits de quincaillerie Rona a été cédé à son concurrent américain Lowe’s pour la somme de 3,2 milliards de dollars canadiens, tandis que les rôtisseries Saint-Hubert ont été vendues au groupe ontarien Cara pour 537 millions. La ministre de l’Économie Dominique Anglade a d’ailleurs provoqué un tollé en qualifiant la vente de Rona d’une « bonne nouvelle ».
Même si l’importante compagnie de prêt-à-porter Le Château a annoncé la fermeture de 40 de ses boutiques cette année, le commerce de détail se porte plutôt bien à l’échelle de la province. 23 000 emplois ont été créés dans ce secteur depuis 2012, et les ventes ont augmenté de 1 % depuis 2015. Les enseignes comme Sportium, Franks & Oak, Chocolats favoris, David’s Tea, Simons et Tigre géant connaissent une croissance remarquable qui se traduit par l’ouverture de nouvelles succursales. Le défi pour ces entreprises sera de tirer profit du développement fulgurant du commerce électronique, en hausse de 56 % depuis 2015.
L’emploi a peu varié en 2016 : le taux de chômage s’est replié de 0,1 % pour atteindre 7 % au deuxième trimestre, 33 300 emplois ayant été créés depuis juin 2015. La cible de croissance du PIB, initialement fixée à 2,1 %, a été revue à la baisse à 1,8 %. Les économistes misent sur l’expansion du secteur des services (croissance estimée à 2,1 %) et sur la reprise de la demande et des exportations en direction des États-Unis.
La dette du Québec se chiffre à 207,7 milliards de dollars et devrait atteindre les 213 milliards au 31 mars 2017, notamment en raison de l’investissement massif (1,3 milliard) du gouvernement dans le programme d’avion CSeries de Bombardier. L’annonce de cet investissement sans contrepartie, qui devait protéger les emplois locaux, a provoqué une levée de boucliers lorsque le public a appris que l’entreprise délocaliserait prochainement une partie de ses activités québécoises vers le Maroc, l’Inde et le Mexique.
- Une société tranquille en apparence (Flickr - AV Dezign)
SOCIÉTÉ
Justice
La question de la liberté d’expression a suscité de vifs débats dans la foulée de l’affaire Mike Ward. L’humoriste à la réputation sulfureuse a été poursuivi en justice par l’ex - enfant-vedette Jérémy Gabriel – mieux connu sous le sobriquet de « Petit Jérémy » – pour une blague de mauvais goût au sujet de son handicap. Le comique s’est défendu en invoquant la liberté d’expression. En signe d’appui, nombre d’humoristes se sont présentés muselés au Gala des Oliviers, le grand rendez-vous de l’humour québécois, au cours duquel Mike Ward, absent, s’est de surcroît vu décerner le prix du public. L’humoriste a néanmoins été condamné à dédommager Jérémy Gabriel dans un jugement qui pourrait créer un précédent significatif.
D’éventuelles possibilités de restrictions à la liberté d’expression sont responsables du retrait des dispositions portant sur les discours haineux inscrites dans le projet de loi 59 (PL 59), conçu pour lutter contre la radicalisation. Élaboré en réponse à la multiplication de départs de jeunes radicalisés vers la Syrie en 2015-16, le PL 59 visait entre autres à interdire la tenue ou la diffusion de propos incitant à la violence contre des groupes ethniques ou religieux. Les partis d’opposition, les juristes et la majorité des groupes consultés en commission parlementaire l’ont toutefois vertement critiqué, arguant que la loi risquait de rater sa cible et de provoquer des dégâts collatéraux en limitant la liberté d’expression.
L’année 2016 a vu l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile, un élément majeur de la réforme du système judiciaire visant à faciliter l’accès à la justice. En vue de réduire les délais et les frais de justice, le nouveau Code oblige les citoyens à considérer des voies de règlement de conflits en dehors des tribunaux, comme la médiation et la négociation. Cette réforme arrive à point nommé, la Cour suprême canadienne ayant fixé à 18 mois la durée maximale des procédures judiciaires pour les tribunaux provinciaux en juillet 2016.
- (Ph : Arnaud Galy - ZigZag)
Santé
La Loi concernant les soins de fin de vie, mieux connue sous le nom « d’aide à mourir », est entrée en vigueur en janvier 2016. Si le ministre de la Santé Gaétan Barrette se dit ferme dans sa volonté d’offrir ce service controversé à la grandeur du Québec, la mise en application connaît quelques difficultés. La plupart des médecins ne sont pas prêts à administrer ces soins pour des raisons morales ou par crainte de représailles judiciaires, tandis que la majorité des patients réclamant l’aide à mourir n’y sont pas admissibles en vertu des critères fixés par la loi. La loi fédérale sur l’aide médicale à mourir, inspirée de celle du Québec, est entrée en vigueur en juin 2016.
Tandis que le ministre Gaétan Barrette poursuit sa réforme du système de santé, les médias et de nombreux intervenants du milieu médical ont décrié les mauvais traitements subis par les patients dans les Centres hospitaliers de soins de longue durée. Faute d’un financement suffisant, les services d’alimentation et d’hygiène offerts aux patients sont pour le moment inadéquat.
Le Québec s’est illustré dans le domaine de la recherche médicale en participant au développement du premier vaccin contre le virus Zika. Des équipes de l’Université Laval et du Centre hospitalier universitaire de Québec travaillent de concert avec deux groupes de recherche des États-Unis pour produire le vaccin, qui devrait être commercialisé dans quelques années.
Environnement
Le Premier ministre Philippe Couillard s’est fait le chantre de la défense de l’environnement lors de la Conférence de Paris sur le climat en décembre 2015. Dans l’esprit de cette prise de position, le gouvernement libéral s’est montré rétif à autoriser la société Pétrolia à exploiter le sous-sol de l’île d’Anticosti dans le golfe du Saint-Laurent, bien que celle-ci en ait obtenu le droit. Par le recours aux tribunaux, l’entreprise a cependant pu entreprendre des forages à l’été 2016. Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres pour Pétrolia, car une communauté innue des environs prévoit d’entreprendre des démarches légales pour mettre un terme aux activités de fracture hydraulique de Pétrolia.
- L’île d’Anticosti dans le golfe du Saint-Laurent en danger écologique (Ph : Flickr - Mammouth48)
Le débat entourant la construction de l’oléoduc Énergie Est a été ravivé au printemps 2016, le gouvernement ayant demandé une injonction forçant la compagnie pétrolière TransCanada à se conformer à la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE). Après avoir ignoré pendant plusieurs semaines les requêtes du ministère de l’Environnement, la pétrolière, qui bâtit un pipeline allant de l’Alberta aux Maritimes, a accepté à la fin avril de se soumettre à la LQE. Le projet d’oléoduc continue de susciter une grande méfiance chez les citoyens québécois, divisés sur la question.
Nouvelles règles sur le français dans l’affichage commercial
Qualifiée de « politique de façade » par les partis de l’opposition, l’approche privilégiée par le gouvernement Couillard afin d’accroître la place du français dans l’affichage des marques de commerce en a laissé plusieurs sur leur faim. Les Starbucks, Walmart, Best Buy et autres Burger King du Québec n’auront finalement pas, tel que souhaité par le PQ et la CAQ, à traduire leur image de marque ni à y apposer un générique tel que « restaurant » ou « café ». Ces chaînes américaines seront simplement tenues d’assurer « une présence suffisante du français » sur leur façade, qui pourrait prendre la forme par exemple d’un simple slogan en français ou une mention informative portant sur les produits offerts, mais pas nécessairement au même endroit que le logo.
CULTURE
- Yannick Nézet-Séguin à la tête du Metropolitan Opera de New York (Ph : Mario Borggreve)
L’annonce de la nomination du chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin à la tête du Metropolitan Opera de New York (MET) a marqué à son plus fort l’année culturelle québécoise et a fait rapidement le tour de la planète. À 41 ans, le Montréalais agira comme directeur musical de la célèbre institution à mi-temps dès la saison 2017-2018 et assumera les pleines fonctions de ce poste en 2020-2021 en vertu d’un contrat de cinq ans qui est renouvelable. Troisième directeur musical de l’histoire du MET, Nézet-Séguin n’avait que 25 ans lorsqu’il a pris les rênes de l’Orchestre métropolitain de Montréal. Moins d’une décennie aura suffi pour qu’il se fasse rapidement un nom et soit invité partout, que ce soit sur la scène lyrique (de Salzbourg à Milan, en passant par Vienne) ou auprès de prestigieux orchestres philharmoniques (Berlin, Vienne, Philadelphie, Rotterdam, etc.).
Toujours sur le plan musical, le retour de Jean Leloup après deux années passées loin des projecteurs n’est pas passé inaperçu. L’auteur-compositeur-interprète chouchou des Québécois a remporté le prix du meilleur album francophone pour le très acclamé À Paradis City au gala des prix Juno, grand-messe de la musique canadienne. Lors de ce même gala, le cinéaste Xavier Dolan a obtenu le prix du vidéoclip de l’année, grâce à la vidéo de la chanson Hello de la chanteuse britannique Adele. Le vidéoclip a fracassé un record à sa sortie en étant vu 27,7 millions de fois en 24 heures. Le jeune prodige du septième art s’était auparavant déjà illustré au niveau international en recevant le grand prix du jury à Cannes, deuxième récompense en importance après la Palme d’or, pour son plus récent film Juste la fin du monde.
Tout comme Xavier Dolan, Anaïs Barbeau-Lavalette a bien d’autres talents que celui de cinéaste. Romancière à ses heures, elle a reçu en mai 2016 le Prix des libraires du Québec pour La femme qui fuit racontant la vie de sa grand-mère Suzanne Meloche, femme de Marcel Barbeau qui, à l’époque de Refus global, a laissé mari et enfants afin de vivre de son art. L’écrivaine Marie-Claire Blais s’est également distinguée dans le domaine des arts littéraires en mettant la main sur le prix Molson 2016 du Conseil des arts du Canada, qui récompense les contributions de personnalités à l’égard du patrimoine culturel et intellectuel canadien. Son œuvre comprend une vingtaine de titres, dont Une saison dans la vie d’Emmanuel qui l’a consacrée internationalement.
Enfin, la mort de René Angelil des suites d’un cancer en janvier 2016 a laissé la communauté artistique provinciale, nationale et internationale en deuil. Redoutable homme d’affaires, l’imprésario et mari de Céline Dion, chanteuse québécoise la plus connue et la plus adulée sur la planète, a inspiré toute une génération d’entrepreneurs culturels.
Affaire Claude Jutra : onde de choc dans le milieu du cinéma québécois
Des allégations d’actes pédophiles commis par Claude Jutra à la suite de la publication d’une biographie du défunt cinéaste ont fait l’effet d’une bombe sur la scène culturelle québécoise. Exhorté à retirer le nom de Claude Jutra du gala d’excellence annuel du milieu cinématographique par la ministre de la Culture, Québec Cinéma a rapidement pris la décision de renommer autrement la Soirée des Jutra. Les prix remis aux artisans du cinéma d’ici emprunteront une nouvelle forme dans les prochaines années. Si bon nombre d’acteurs, de réalisateurs et de producteurs se sont montrés solidaires de cette décision, d’autres ont exprimé haut et fort leur désaccord en faisant valoir qu’il est nécessaire de distinguer l’œuvre de l’homme. Figure emblématique du cinéma québécois, Claude Jutra a réalisé deux films d’une importance primordiale pour la Révolution tranquille : le long-métrage autobiographique À tout prendre (1963) et Mon oncle Antoine (1970), considéré comme l’un des plus grands films canadiens jamais réalisés.
Sources :
Institut de la statistique du Québec
Banque de données des statistiques officielles sur le Québec
Assemblée nationale du Québec
Ministère des Relations internationales et de la Francophonie
Emploi-Québec
L’état du Québec 2016 – Institut du Nouveau Monde
ADISQ
Académie française
TransCanada
Radio-Canada/Le Devoir/Les Affaires/La Presse/L’Actualité/La Presse Canadienne/Le Monde/Huffington Post Québec
Encyclopédie canadienne