- Pierre Karl Peladeau prend les rênes du Parti québécois (Wikimedia Commons - samounet)
POLITIQUE
L’année politique québécoise 2015 a été marquée par l’élection de Pierre Karl Péladeau (PKP), propriétaire du puissant groupe de télécommunications et de médias Québecor, à la tête du Parti québécois (PQ). Succédant à Pauline Marois, le huitième chef du PQ a récolté 57,58 % des votes des militants au 1er du tour du scrutin le 15 mai, devançant ainsi largement Alexandre Cloutier (29,2 %) et Martine Ouellet (13,2 %), les deux autres candidats. Reconnu pour son tempérament fougueux et sa volonté farouche de « faire du Québec un pays », PKP a appelé le soir de sa victoire à l’unité du parti, qui tente bien que mal de se relever de sa débâcle aux élections de 2014, et au rassemblement des forces indépendantistes du Québec, en tendant la main à Québec solidaire et Option nationale, deux autres formations politiques.
Dans un autre registre, la démission fracassante en février 2015 du ministre libéral, Yves Bolduc, constitue un autre événement majeur de l’année politique. L’ex-ministre s’était maintes fois embourbé dans la controverse depuis sa nomination à l’Éducation après la victoire des libéraux en 2014. Fortement critiqué pour avoir encaissé une prime de 215 000$ après avoir pris en charge des patients alors qu’il était député dans l’opposition et pour avoir déclaré qu’il ne s’opposait pas à des « fouilles à nu très respectueuses » d’élèves en milieu scolaire, Yves Bolduc a été remplacé par François Blais, auparavant ministre de l’Emploi. Ancien doyen de la Faculté de sciences sociales de l’Université Laval, François Blais a suscité beaucoup d’espoir à sa nomination dans le monde de l’éducation. Il a néanmoins lui aussi provoqué quelques tollés à la suite de déclarations malheureuses, notamment en suggérant d’« expulser deux ou trois étudiants par jour » lors des manifestations collégiales et universitaires contre les mesures d’austérité au printemps 2015.
- Philippe Couillard résiste aux tempêtes (Wikimedia Commons - Asclepias)
Malgré les frasques de ses ministres de l’Éducation, le gouvernement libéral de Philippe Couillard a pu souffler un peu à la fin des travaux parlementaires du printemps 2015 en voyant ses deux candidats, Véronyque Tremblay et Sébastien Proulx, remporter les élections partielles des circonscriptions de Chauveau et Jean-Talon. Le Parti libéral (PLQ) a causé la surprise en arrachant la circonscription de Chauveau, un fief de la Coalition avenir Québec (CAQ). Il s’agissait pourtant d’un test important pour la CAQ, deuxième parti d’opposition, qui tente bien que mal de se démarquer du PQ depuis l’élection de PKP.
Enfin, du côté de la politique fédérale, le Bloc québécois, qui représente les intérêts du Québec à Ottawa, a changé de tête d’affiche à quelques mois du déclenchement des élections de l’automne 2015. Gilles Duceppe, leader de la formation souverainiste de 1997 à 2011, a repris le flambeau à la demande même du chef Mario Beaulieu, qui après avoir pris les rênes du Bloc n’a jamais dépassé les 20 % d’appuis. D’ici le jour du scrutin, soit le 19 octobre 2015, Gilles Duceppe aura la lourde tâche de stimuler les électeurs québécois et de faire oublier l’amère défaite encaissée par son parti en mai 2011, alors que le Bloc, qui avait 47 députés à la Chambre des communes la veille du scrutin, n’en avait plus que 4 le lendemain.
- Jacques Parizeau perd son dernier combat (Flickr - Marlannlï)
Ultime adieu à Jacques Parizeau
Figure de proue du mouvement indépendantiste, l’ancien premier ministre du Québec Jacques Parizeau est mort à l’âge de 84 ans, le 2 juin 2015, après un long combat contre la maladie. Né à Montréal en 1930, l’économiste a profondément marqué l’histoire politique et économique du Québec. Il a notamment été au cœur de la nationalisation des compagnies d’électricité et la création du régime des rentes et de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) en pleine Révolution tranquille. Nommé ministre des Finances sous René Lévesque en 1976, il devient par la suite chef du Parti québécois en 1988, avant d’être élu Premier ministre en 1994. Il tient dès l’année suivante un référendum sur la souveraineté marqué par la victoire à l’arraché du non et par les propos controversés de son discours de défaite où il impute la faute à « l’argent » du camp fédéraliste et aux « votes ethniques ». Jacques Parizeau démissionne ensuite de son poste, après avoir passé un an et quatre mois au pouvoir. Il ne réintégrera jamais la vie politique, mais continuera activement à faire la promotion de la souveraineté.
ÉCONOMIE
Le budget 2015-2016 du ministre des Finances Carlos Leitao se démarque par le retour à l’équilibre budgétaire après six années de déficits consécutifs. L’atteinte du déficit zéro se fera toutefois au prix de nombreux sacrifices, notamment en santé et en éducation. Le défi sera de continuer à serrer la ceinture des différents ministères qui se verront imposer des coupes supplémentaires de 1,2 milliard $, après avoir vu leur budget sérieusement amputé l’année précédente.
Les bouffées d’oxygène qu’espéraient les contribuables après d’importantes mesures d’austérité budgétaire les touchants directement, telles que la hausse du tarif des garderies et l’augmentation des taxes à la consommation, n’apparaîtront quant à elles pas avant le début 2016. En effet, le taux de croissance des dépenses de l’État québécois ne devrait pas dépasser 1,2 % en 2015-2016, du jamais-vu dans l’histoire récente. Les Québécois seront donc de nouveau mis à contribution dans l’exercice de resserrement budgétaire de la province. Un mouvement de grèves anti-austérité a été entamé par les étudiants collégiaux et universitaires, mais, décrié et mal compris par une majorité de Québécois se disant en accord avec les politiques de rigueur du gouvernement Couillard, il est rapidement tombé à plat.
Le taux de chômage de la province a augmenté de 0,3 point au deuxième trimestre 2015 pour se chiffrer à 7,7 %. Les temps sont durs dans les secteurs de la foresterie et du transport. Produits forestiers Résolu et Bombardier, deux employeurs importants, ont procédé à de nombreuses mises à pied au printemps 2015. Rappelons que le Québec a perdu 33 000 emplois en juin, sa plus forte baisse mensuelle depuis 2005. Malgré ces pertes, le PIB des quatre premiers mois de 2015 progresse de 1,4 % par rapport à la même période en 2014. Comme prévu, la dette atteindra 2,35 milliards $ pour l’exercice 2014-2015 en raison de l’atteinte du déficit zéro.
Devant la dégringolade de l’emploi, le gouvernement de Philippe Couillard entend miser sur le pouvoir économique du fleuve Saint-Laurent pour en créer de nouveaux. Dévoilée à l’été 2015 et dotée d’une enveloppe de 9 milliards $, la Stratégie maritime des libéraux a pour objectif de faire du Québec la « porte d’entrée privilégiée pour les grands marchés du nord-est de l’Amérique du Nord ». Deux pôles logistiques seront entre autres développés pour faire concurrence aux centres portuaires de la côte est des États-Unis. 30 000 emplois pourraient voir le jour d’ici 2030.
Le Cirque du Soleil vendu à des investisseurs étrangers
De saltimbanque à milliardaire, le fondateur du Cirque du Soleil, le Québécois Guy Laliberté, a cédé en avril 2015, 80 % des parts de son entreprise, qui emploie aujourd’hui 4 000 personnes, dont 1 300 artistes, à travers le monde, pour n’en conserver que 10 %. La transaction, évaluée à 1,5 G$, donne 60 % des parts à la société d’investissement américaine TPG Capital, 20 % au groupe chinois Fosun Capital et 10 % à la CDPQ. Les nouveaux investisseurs se sont entendus pour maintenir le siège social du fleuron québécois à Montréal. Guy Laliberté a assuré que la vente du Cirque « accélérera sa croissance, notamment en Chine grâce à l’entrée en scène de Fosun dans le nouveau partenariat d’affaires ».
- L’échelle - le Cirque du Soleil (marie-reine mattera - cirque du soleil)
SOCIÉTÉ
Laïcité, santé et environnement : le Québec a mené plusieurs débats de société cette année, à commencer par celui de la radicalisation religieuse. À la suite des attentats de Saint-Jean-sur-Richelieu et d’Ottawa en octobre 2014, où des militaires furent tués par des adeptes de l’Islam radical, et de la multiplication des départs d’élèves du Collège de Maisonneuve de Montréal quittant le Québec pour se joindre au groupe armé Daesh, le pays tout entier a amorcé une réflexion sur la sécurité au Canada.
À Ottawa, le gouvernement aura donc bientôt le droit de révoquer et de refuser un passeport à des « voyageurs à risque » tout en renforçant le budget de lutte contre le terrorisme. La ministre québécoise de la Justice, Stéphanie Vallée, a quant à elle déposé deux projets de loi pour contrer la radicalisation. Le premier, suivant les évènements du Collège de Maisonneuve concerne les dispositions de la Charte québécoise des droits et libertés afin d’éradiquer les discours haineux et les appels à la violence.
Le deuxième fait écho à la Charte avortée de la laïcité mise sur la table par le gouvernement Marois en 2014. Ainsi, il ne sera pas interdit de porter un signe religieux dans la fonction publique, mais les services seront donnés à visage découvert. La ministre Vallée souhaite également introduire d’autres mesures, notamment une ordonnance de protection servant à prévenir les crimes d’honneur, une approbation du juge pour réduire les risques de mariages forcés et un pouvoir discrétionnaire au ministre de l’Éducation pour que ce dernier puisse déclencher une enquête dans un milieu scolaire.
Prière de ne plus se recueillir
Par une décision de la Cour suprême du Canada, le maire de la ville de Saguenay, Jean Tremblay, a essuyé un revers historique dans sa volonté de continuer à réciter la prière au conseil municipal. Défenseur des traditions catholiques, Jean Tremblay procédait à ce rituel à chaque début de séance depuis sa première élection en 2001. Dix ans plus tard, en 2011, le Mouvement laïque québécois porte plainte et remporte sa bataille après quatre ans devant les tribunaux. La Cour suprême a penché pour la neutralité religieuse de l’État en statuant qu’un maire « ne doit pas s’ingérer dans le domaine de la religion et des croyances » et en exigeant qu’il « ne favorise ni ne défavorise aucune croyance, pas plus que l’incroyance ».
Santé
Les scandales liés aux dépenses en santé ont défrayé les manchettes à de multiples reprises cette année. D’abord à cause du scandale du Centre universitaire de santé McGill, où le PDG Arthur Porter est resté tristement célèbre pour avoir présumément fraudé à hauteur de 22,5 millions de dollars. Arrêté au Panama en mai 2013, il décède dans la nuit du 30 juin 2015 sans avoir fait face à la justice. Ancien associé d’affaires du Premier ministre Philippe Couillard, Arthur Porter s’était exilé à Nassau, aux Bahamas, pour y fonder une clinique d’oncologie.
Toutefois, le véritable débat de fond s’est activé autour du projet de loi 10, visant à abolir les agences de santé — des cliniques intermédiaires plus petites que des hôpitaux — afin de réduire le nombre d’établissements du réseau de la santé de 182 à 33. Fortement contesté par l’opposition à l’Assemblée nationale, le projet de loi a finalement été adopté sous bâillon. Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, compte économiser 220 millions $ lorsque la réforme du système de la santé sera complétée, ce qui comprendra également une nouvelle forme de financement par le nombre d’activités médicales plutôt que par budgets annuels garantis.
Enfin, dans une décision historique, la Cour supérieure du Québec a condamné trois multinationales de production de cigarettes à verser 15,5 milliards $ à en dommages et intérêts à plus d’un million de Québécois pour préjudice. La saga judiciaire, initiée par un recours collectif, qui dure depuis plus de 17 ans, n’est cependant pas terminée, car les cigarettiers ont la ferme intention de contester la décision du plus haut tribunal de la province.
- Même au Québec, ça chauffe pour la planète ! (Flickr - meriol lehmann)
Environnement
Énergie Est – un oléoduc de 4 600 kilomètres qui transportera 1,1 million de barils de pétrole brut par jour de l’Ouest canadien jusqu’aux terminaux portuaires du Québec et de l’Atlantique –, voilà le projet initié par la compagnie TransCanada. La contestation populaire a toutefois été si vive que l’entreprise a dû réviser ses plans d’installer un port pétrolier à Cacouna, sur les berges du fleuve Saint-Laurent, pour des considérations écologiques. Entre les groupes de pression refusant catégoriquement le projet et le gouvernement du Québec qui réclame des études et des garanties environnementales, le dossier sera certainement un vif sujet de discussion durant la campagne électorale fédérale de l’automne 2015.
CULTURE
Entre l’entrée au deuxième fauteuil de l’Académie française de Dany Laferrière et l’album canadien de l’année remporté par un Leonard Cohen octogénaire, les arts du Québec vont encore une fois au-devant de la planète culture. Premier québécois à être admis à l’Académie, le poète et romancier d’origine haïtienne Dany Laferrière s’est distingué en faisant forger son épée protocolaire dans son pays caribéen natal et confectionner son habit à Montréal.
Laferrière n’a été le seul artiste outre-Atlantique à briller en France, alors que Klô Pelgag et Salomé Leclerc, musiciennes dans la vingtaine, ont été toutes deux acclamées par les critiques. Au Québec, c’était l’année du chanteur pop Alex Nevsky, dont l’album fait office de grande sortie musicale de l’année aux côtés de ceux de la légende Jean Leloup, du très en vogue Louis-Jean Cormier et de la populaire Ariane Moffat.
Salomé Leclerc | Les chemins de l'ombre from Audiogram on Vimeo.
Les cinéastes québécois continuent sur leur lancée, tant en Europe qu’en Amérique du Nord. Grâce au succès de « Mommy », Xavier Dolan s’est retrouvé dans le jury officiel du Festival de Cannes. Jean-Marc Vallée, avec « Wild », et Denis Villeneuve, avec « Sicario », ont été remarqué à Hollywood et dans les compétitions internationales. Pendant ce temps, « La passion d’Augustine » nous ramène dans le Québec conservateur des années 1960, où les religieuses d’une congrégation du Richelieu sont confrontées aux premiers mouvements féministes. Racontant une période de changements sans précédent pour la société québécoise, le film de Léa Pool a fait fureur en salles ainsi qu’à la sortie de sa trame sonore.
Enfin, outre l’essai-fiction au style docu-menteur « Ma vie rouge Kubrick » de Simon Roy, c’est surtout l’économie du livre qui a retenu l’attention des lecteurs cette année. En effet, les petits libraires se sont inquiétés de l’acquisition de la chaîne de boutiques culturelles Archambault par l’entreprise Renaud-Bray, un compétiteur. Les librairies indépendantes craignent que le nouveau géant du livre ne se mette à dicter les règles du jeu.
SOURCES
Institut de la statistique du Québec
Banque de données des statistiques officielles sur le Québec
Assemblée nationale du Québec
Ministère des Relations internationales et de la Francophonie
Emploi-Québec
L’état du Québec 2015 – Institut du Nouveau Monde
ADISQ
Académie française
TransCanada
Radio-Canada/ Le Devoir/ Les Affaires/ La Presse/ L’Actualité/ La Presse Canadienne/ Le Monde/ Huffington Post Québec