POLITIQUE
Les élections générales québécoises du 1er octobre, les toutes premières à se tenir à date fixe, auront fait deux grands gagnants – la Coalition avenir Québec (CAQ) et Québec solidaire (QS) – et deux grands perdants – le Parti libéral (PLQ) et le Parti Québécois (PQ). Près de sept ans après son retour en politique, François Legault, ancien ministre péquiste devenu chef de la CAQ, a réalisé son rêve de devenir Premier ministre en faisant élire 75 députés sur une possibilité de 125 à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une victoire historique pour François Legault, qui, plaçant le « changement » au cœur son discours électoral, a réussi à convaincre les électeurs québécois de lui donner une majorité confortable, eux qui portaient au pouvoir les libéraux et les péquistes en alternance depuis 1966. La vague caquiste a déferlé, comme prévu, dans les banlieues de Montréal et Québec – terreau fertile pour les idées de la CAQ (projets autoroutiers ; baisse des seuils d’immigration), mais également en région (Saguenay-Lac-Saint-Jean, Outaouais, Abitibi-Témiscamingue). Les attentes des Québécois envers le gouvernement Legault seront élevées au cours des prochaines années, le nouveau premier ministre ayant notamment promis de réformer le mode de scrutin (uninominal à un tour vers un système de votation proportionnel), d’implanter des classes de maternelle 4 ans et de construire un « troisième lien » entre Québec et Lévis. Si la lune de miel entre la CAQ et les Québécois semble pour l’instant en voie de perdurer – François Legault en a ravi plusieurs en constituant un conseil des ministres paritaire –, les dossiers chauds du port des signes religieux en milieu de travail et de l’abolition des commissions scolaires pourraient rapidement y mettre un terme dès le début 2019.
- François Legault pour son premier jour au "Salon bleu", le parlement québécois
L’année politique 2018 a été faste également chez les solidaires. Faisant de l’environnement et de la justice sociale les thèmes phares de leur campagne, les troupes de Manon Massé ont montré qu’elles pouvaient jouer dans la cour des grands, en réussissant à faire élire dix députés. Une percée historique pour le parti de gauche qui détenait seulement trois sièges (de circonscriptions montréalaises) avant le jour du scrutin. Non seulement QS a conservé ses sièges montréalais, mais il en a ajouté trois autres sur l’Île de Montréal et a réussi à faire entrer au Salon bleu ses premiers candidats provenant de l’extérieur de la métropole (Québec, Sherbrooke et à Rouyn-Noranda). Aussitôt arrivés à l’Assemblée nationale, aussitôt les élus solidaires ont amorcé le « changement de culture politique » promis en campagne électorale : les dix députés ont refusé de proclamer publiquement leur allégeance à la Reine Elizabeth II lors de leur assermentation et, exprimant le désir de porter les vêtements qui leur plaît (« jeans », « camisole », « espadrilles »), ont déclenché une réflexion sur une éventuelle réforme du code vestimentaire de l’Assemblée qui préconise « une tenue de ville ».
Le PLQ est l’un des deux grands perdants des élections du 1er octobre. Avec à sa tête Philippe Couillard, Premier ministre sortant, le parti a subi la pire défaite électorale de son histoire en termes de voix (en bas de 25 %). Les gains libéraux se limitent à seule l’île de Montréal (29 députés), aucun candidat n’ayant réussi à se faire élire en région, sauf Philippe Couillard dans Roberval (Saguenay-Lac-Saint-Jean) qui, devant la débâcle des siens, a dû se résigner à démissionner (le comté de Roberval a été remporté plus tard par la CAQ lors d’une partielle). Trois principaux facteurs expliquent la défaite libérale : 1) l’usure – le PLQ tenait les rênes du pouvoir depuis une décennie – ; 2) l’éloignement des électeurs francophones – le parti donne l’impression d’être d’abord et avant tout le défenseur des anglophones et des minorités ethniques – ; et 3) les mesures d’austérité budgétaire de début de mandat – Philippe Couillard a coupé de façon importante dans les budgets des ministères et organismes de 2014 à 2016 avant de se retrouver avec de surprenants surplus budgétaires à redistribuer en fin de mandat. Le choix d’un ou d’une nouvelle cheffe doit se faire en 2019.
Peu après avoir soufflé ses 50 bougies, le PQ se retrouve dans une situation encore plus difficile que le PLQ. Malgré son audacieux tandem formé avec la candidate vedette Véronique Hivon, ancienne ministre et mère de la Loi concernant les soins de fin de vie, le chef Jean-François Lisée n’a fait élire que dix députés (du jamais vu depuis 1976) et a mordu la poussière dans sa propre circonscription (Rosemont). Les péquistes, qui ont proposé à QS d’unir leurs forces avant le début de la campagne – projet de convergence qui a avorté à la suite du refus de Manon Massé –, ont perdu plusieurs comtés aux mains des solidaires, dont celle de leur chef. Les faibles gains du PQ reposent également sur la perte d’importance de la question nationale et la volonté de « changement » des électeurs. Avec la démission de Jean-François Lisée, Véronique Hivon, réélue dans Joliette, sera en bonne position pour accéder à la chefferie du parti dans l’éventualité d’une course en 2019 ou 2020.
Enfin, l’année 2018 a vu disparaître de grandes figures politiques québécoises : Bernard Landry, Paul Gérin-Lajoie et Lise Payette. Tour à tour professeur, avocat, ministre, chef du PQ et Premier ministre de 2001 à 2003, Bernard Landry a dédié sa vie au Québec et à la cause souverainiste. L’atteinte du déficit zéro en 1999 et la signature de la Paix des Braves, une entente avec le Conseil des Cris sur le développement des ressources du Nord québécois, figurent parmi ses plus célèbres faits d’armes. Député dans le gouvernement libéral de Jean Lesage (1964 à 1966), Paul Gérin-Lajoie a créé le tout premier ministère de l’Éducation du Québec. Il a aboli les cours classiques, alors réservés à quelques privilégiés, pour créer un système d’éducation public et gratuit. Il est également le père de la Doctrine Gérin-Lajoie, pierre angulaire des relations internationales du Québec qui permet à la province de signer des ententes avec des pays souverains dans ses champs de compétence. Figure importante du journalisme québécois, Lise Payette s’est fait connaître au début des années 70 par l’animation de l’émission « Appelez-moi Lise » qui faisait une large place à la défense des droits des femmes. En 1976, elle a fait le saut en politique, devenant la seule femme ministre dans le cabinet de René Lévesque. Outre la création de la Société de l’assurance automobile du Québec, elle a entrepris une réforme du droit de la famille et a octroyé les mêmes droits aux femmes qu’aux hommes dans le mariage.
Francophonie : le Canada et le Québec larguent Michaëlle Jean
La carrière de la Canado-Québécoise Michaëlle Jean à titre de Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a pris fin au XVIIe Sommet de la Francophonie qui se tenait à Erevan (Arménie) les 11 et 12 octobre 2018, alors que les gouvernements de Justin Trudeau et de François Legault ont décidé de ne pas appuyer sa candidature pour un second mandat. L’ancienne gouverneure générale du Canada faisait face à la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, qui bénéficiait de tout le poids diplomatique de la France derrière elle – Emmanuel Macron souhaitant réparer les ponts avec Kigali –, ainsi que de l’appui des pays africains qui tenaient à récupérer la direction d’une des rares organisations internationales où ils sont majoritaires.
Devant cet imposant front commun, les gouvernements canadiens et québécois ont préféré se rallier au consensus plutôt que de courir le risque de froisser les États membres de l’OIF. Espérant que sa feuille de route saurait convaincre (soutien à l’entrepreneuriat des femmes et des filles ; appui à l’éducation des jeunes dans le domaine du numérique), Michaëlle Jean n’a pas aidé sa cause en effectuant plusieurs dépenses controversées. Elle a notamment rénové son appartement de fonction au coût d’un demi-million $ et organisé contre l’accord des États membres une croisière pour jeunes à bord de l’Hermione, financée à même le fonds de réserve de l’OIF, actions qui lui ont été reprochées par bien des Québécois, dont le Premier ministre en personne. Mais, surtout, l’ex-Secrétaire générale a été prise de court par des enjeux géopolitiques qui la dépassaient largement.
- Le Sommet de la Francophonie d’Erevan sonne la fin du mandat de Michaëlle Jean
ÉCONOMIE
Au point de vue économique, le Québec a fait bonne figure en 2018. La croissance de son PIB s’est établie à 2,6 %, devançant ainsi celles des autres provinces canadiennes. Selon les prévisions de la Banque Royale, la croissance devrait être plus modeste en 2019 avec une moyenne nationale de 1,7 % d’augmentation du PIB, mais le Québec ferait là encore bonne figure avec une croissance de 1,8 %. Pour que cette dynamique économique favorable se maintienne, le Québec doit cependant à tout prix éviter une pénurie de main-d’œuvre, qui menacerait dangereusement la santé financière des entreprises. Les préoccupations quant à une éventuelle pénurie de main-d’œuvre conduisent d’ailleurs les économistes québécois et canadiens à critiquer ouvertement l’ambition du gouvernement Legault de réduire les seuils d’immigration.
La bonne tenue de l’économie se reflète dans la faiblesse du taux de chômage (calculé par Statistique Canada), qui a connu une légère augmentation en 2018, passant de 5,0 % à 5,5 %, une hausse essentiellement attribuable à une majoration de la part de la population active à la recherche d’un travail. À la fin de l’année, le taux de chômage était exceptionnellement bas dans les grandes villes de Québec (3,9 %) et de Gatineau (4,8 %), a reculé à Saguenay (passant de 5,4 % à, 5,1 %), et est grosso modo demeuré stable à Trois-Rivières et à Sherbrooke. Parmi les villes québécoises, c’est Montréal, la métropole, qui accuse l’indice le plus haut, son taux se fixant à 5,9 %.
- Le fleuve Saint-Laurent à Montréal
Dans ce climat économique favorable, les ventes des commerces de détail ont augmenté de 4,2 % en 2018, ce qui constitue une hausse importante pour une troisième année consécutive. Cet accroissement s’explique surtout par la grande faiblesse du dollar canadien vis-à-vis la devise américaine, ce qui inciterait les consommateurs québécois à acheter au Québec plutôt qu’aux États-Unis. Le Conseil québécois du commerce de détail signale par ailleurs que si les ventes en magasin ont connu une légère croissance en 2018, c’est au commerce en ligne que l’on doit attribuer la dynamique favorable dans ce secteur. Le commerce au détail décline toutefois à Montréal, et le comité mis sur pied par la mairesse Valérie Plante a entre autres suggéré de réduire de manière importante les taxes foncières non résidentielles afin de donner un peu d’air aux commerçants, dont beaucoup ont été touchés par les réfections majeures des principales artères de la métropole ces dernières années (notamment la très fréquentée rue Saint-Denis).
Les tribulations de l’entreprise Bombardier et de son programme C Series ont, une fois de plus, jalonné l’année économique québécoise. Au mois d’avril, le Canada a essuyé un revers à l’Organisation mondiale du commerce, qui a accepté d’étudier la plainte déposée à son encontre par le Brésil. Les autorités brésiliennes ont en effet accusé le Canada d’avoir offert des subventions illégitimes à Bombardier — rappelons que les gouvernements libéraux de Philippe Couillard et de Justin Trudeau avaient accordé plus de 3 milliards $ US à l’avionneur québécois en prêts et en dons —, ce qui causerait préjudice au constructeur aéronautique brésilien Embraer. Cette plainte venait s’ajouter à celle déposée en 2017 par les États-Unis, qui s’étaient portés à la défense de Boeing pour les mêmes raisons. Mais l’acquisition de 50,1 % des actions de la C Series par Airbus, qui n’a pas eu à verser un sou, a sauvé Bombardier (qui conserve 33, 75 % des parts) de ce mauvais pas en lui évitant un cuisant échec économique. Le succès de la C Series, rebaptisée A220 par Airbus, est désormais assuré grâce aux ressources commerciales du géant français, mais des tensions se dessinent à l’horizon entre la coalition Airbus-Bombardier et une alliance de plus en plus probable de ses rivales Boeing et Embraer. Le succès des avions d’affaires Global 7500, dont tous les exemplaires sont vendus jusqu’en 2022, permet également au fleuron québécois de terminer 2018 sur une note positive.
La fin de l’année 2018 aura également vu le règlement par la Cour Suprême d’un litige important opposant Hydro-Québec à la Terre-Neuvienne Churchill Falls Labrador Corporation (CFLCo), qui tentait de forcer la réouverture d’un contrat signé en 1969 et valide jusqu’en 2041. Ce contrat oblige Hydro-Québec à acheter presque toute l’électricité produite par la CFLCo à partir de sa centrale de Churchill Falls – ce qui revient à dire qu’Hydro-Québec endossait à elle seule tout le risque de l’entreprise à l’époque où l’on pensait que le nucléaire remplacerait l’hydroélectricité – en contrepartie de quoi elle profite d’une protection contre l’inflation du prix de l’électricité. Ces dispositions contractuelles ont permis au Québec d’engranger 27,5 G $ de dollars depuis 1969, tandis que Terre-Neuve n’a reçu que 2 milliards (notons tout de même, pour compliquer l’affaire, qu’Hydro-Québec est détentrice du tiers des parts de la CFLCo).
Enfin, 2018 a permis à Montréal de consolider sa place de premier plan dans la recherche mondiale en intelligence artificielle (IA). Trois compagnies britanniques (QuantumBlack, WinningMinds et BIOS) et une japonaise (Denso) ont élu d’ouvrir des bureaux à Montréal pour bénéficier des lumières de ce qu’Investissement Québec qualifie de « la plus grande communauté universitaire en IA au monde ». La métropole a notamment accueilli le congrès international NeurIPS, qui rassemblait quelque 8 000 chercheurs et spécialistes en IA venant des quatre coins du monde. Ce rassemblement fut l’occasion pour l’Université de Montréal de présenter la Déclaration de Montréal, un manifeste élaboré par des spécialistes (dont le protéiforme Yoshua Bengio) et des citoyens visant à proposer des orientations éthiques aux chercheurs en IA. Il y a cependant très loin de la coupe aux lèvres, puisque le véritable défi — convaincre les géants comme Google et Facebook d’adopter les lignes directrices de la Déclaration (respect de la vie privée, responsabilité, développement durable, etc.) — demeure entier.
- Panneau routier à la frontière entre le Canada et Les Etats-Unis
SOCIÉTÉ
Le cannabis officiellement légal
Le 17 octobre 2018, la consommation de cannabis à but récréatif est devenue légale partout au Canada. Il s’agit de la concrétisation d’un engagement électoral du gouvernement libéral de Justin Trudeau, promesse dont la réalisation ne s’est pas faite sans heurts. Si la décision de légaliser le cannabis récréatif fut prise à Ottawa, ce sont les provinces canadiennes, desquelles relèvent constitutionnellement les questions de santé publique, qui eurent à mettre sur pied un nouveau système de vente et de production de la marijuana. Le Québec a choisi de fonder une nouvelle société d’État, la Société québécoise du cannabis (SQDC), sur le modèle de la Société des alcools du Québec. Le maillon faible du processus de légalisation du cannabis est toutefois l’acceptabilité sociale d’une décision controversée, imposée d’un océan à l’autre par le fédéral, de même que les problèmes pragmatiques qu’elle pose : ainsi, trois mois après la légalisation, les parlementaires québécois discutent de la possibilité de hausser l’âge minimal pour l’achat de produit du cannabis de 18 à 21 ans, tandis que la future mise en marché de produits alimentaires contenant du cannabis, qui fait saliver des entrepreneurs anxieux de conquérir ce nouvel El Dorado, pose un casse-tête aux organismes publics comme Santé Canada et le Centre antipoison du Québec. Il semblerait en tout cas que la transformation de l’État en dispensaire de cannabinoïdes a permis, malgré les pénuries chroniques, de diminuer de moitié la clientèle de consommateurs de marijuana s’approvisionnant sur le marché noir (Statistique Canada).
Un intérêt renouvelé pour l’environnement
L’absence remarquée de véritables propositions écologistes émanant des principaux partis politiques québécois (PLQ et surtout CAQ) lors de la dernière campagne a catapulté la question environnementale à l’avant-scène du débat public. Le véritable accélérateur d’un nouveau mouvement de conscientisation sur l’importance de protéger l’environnement fut le Pacte pour la transition, une initiative du metteur en scène Dominic Champagne visant à faire pression pour que le nouveau gouvernement intensifie la lutte aux changements climatiques. Dès le début du mois de novembre, plus de 500 personnalités du monde des arts et du spectacle, du monde scientifique et des représentants des Premières Nations avaient signé le Pacte et promettaient d’en faire la promotion active. Les signataires s’engagent moralement à réduire leur consommation de pétrole et à désinvestir leurs épargnes du secteur des énergies fossiles, à réduire leur consommation sous toutes ses formes (surtout le plastique), opter pour une alimentation végétale et biologique, réduire leur empreinte écologique et militer activement pour l’écologie. Le grand défi politique est de convaincre le nouveau premier ministre François Legault de s’intéresser à cette question, qui ne semble pas l’avoir véritablement animé jusqu’ici ; le véritable défi est sans doute celui de convaincre l’ensemble des Québécois, dont la consommation énergétique et le goût pour les gros véhicules vont croissant d’année en année, d’inverser la tendance.
L’appropriation culturelle en questions
Au beau milieu des jours tranquilles de l’été québécois, en plein Festival international de Jazz, explosa à Montréal une polémique qui fit des vagues jusqu’en France. La présentation par Robert Lepage, Betty Bonifassi et une troupe d’artistes en majorité blancs du spectacle Slav, une série de tableaux musicaux inspirés par les chants d’esclaves africains, a en effet provoqué l’ire d’une partie de la communauté noire de Montréal. Celle-ci a appelé au boycottage du spectacle, arguant qu’il s’agissait d’un cas indéniable « d’appropriation culturelle », soit de récupération illégitime de productions culturelles émanant d’un groupe social dominé par un groupe social dominant. Les médias québécois ont fait de cette affaire un enjeu national, ce qui a finalement conduit l’administration du Festival de Jazz de Montréal à censurer le spectacle Slav. Dans la foulée, des membres des Premières Nations ont demandé l’annulation du spectacle Kanata, monté par Robert Lepage et Ariane Mnouchkine, essentiellement pour les mêmes raisons. Cette série d’événements a eu comme conséquence bénéfique de forcer les Québécois à débattre collectivement du rapport entre la liberté artistique et la reconnaissance par les groupes dominants des réalisations culturelles spécifiques des groupes dominés, mais surtout de la plus grande place que devrait faire le monde artistique du Québec aux artistes issus des minorités visibles, sous-représentés sur scène par rapport à leur poids démographique.
- Kanata, monté par Robert Lepage et Ariane Mnouchkine
Francophonie : le Québec solidaire de l’Ontario contre Doug Ford
La décision du gouvernement conservateur ontarien, mené par le populiste Doug Ford, de sabrer les services en français offerts aux 600 000 Franco-ontariens, a suscité une vague de sympathie de la part des Québécois envers les membres de la Francophonie ontarienne. Rappelons que le tandem formé de Doug Ford et de Caroline Mulroney, la ministre responsable des Affaires francophones, avait envoyé un très mauvais signal à la Francophonie internationale en boudant sans raison valable le sommet d’Erevan, avant d’abolir en novembre 2018 le Commissariat aux services en français et de renier du même souffle sa promesse électorale en jetant aux orties le projet de fonder une université francophone à Toronto.
Tous les partis politiques québécois ainsi que de nombreuses organisations de la société civile ont dénoncé les décisions du gouvernement Ford, qui constituent un inquiétant rappel de la fragilité structurelle de la langue française à l’intérieur du Canada. La mobilisation des partis politiques fédéraux autour de cet enjeu laisse d’ailleurs présager de son importance pour la prochaine campagne électorale fédérale de 2019.
CULTURE
À tout juste 43 ans, le prolifique chef d’orchestre québécois Yannick Nézet-Séguin est devenu le nouveau directeur musical du prestigieux Metropolitain Opera de New York (MET). Il a entamé son règne avec une énième version de La Traviata de Giuseppe Verdi, qui a ravi les critiques, notamment parce que le chef québécois a modifié un passage important du spectacle permettant aux chanteurs de reposer leur voix en début d’opéra afin de l’élever au maximum lors du dernier acte. Au printemps 2019, Nézet-Séguin aura la chance de diriger le Dialogue des carmélites du compositeur français Francis Poulenc. Il se concentrera également à l’enregistrement d’un vaste éventail d’œuvres symphoniques et d’opéras pour le prestigieux label allemand Deutsche Grammophon, avec qui il a signé un contrat d’exclusivité en 2018.
- Yannick Nézet-Séguin
- ® Hans van der Woerd
Du côté de la chanson québécoise, 2018 fut sans conteste l’année d’Hubert Lenoir… pour le meilleur diront certains et pour le pire diront d’autres. Immanquable par son visage souvent complètement peint de rouge, de blanc ou encore de noir, le chanteur androgyne a remporté quatre Félix (révélation de l’année, album pop de l’année, album de l’année, chanson de l’année pour Fille de personne II) au Gala de l’ADISQ pour son premier album Darlène. Éclectique, riche, entraînant, voire survolté, Darlène est un ambitieux condensé de différents genres musicaux (jazz, soul et rock) qui soulève l’importance de s’accepter tel que l’on est. Hubert Lenoir répète d’ailleurs souvent en entrevue qu’il n’a pas d’identité sexuelle fixe, qu’il se « situe un peu dans le milieu de n’importe quoi » et « qu’on le laisse tranquille avec ça ». Provocateur et anticonformiste, le chanteur de Beauport aime susciter la controverse et ne laisse personne indifférent : en 2018, il s’est enfoncé un Félix dans la gorge ; s’est dénudé une fesse pendant une performance et a laissé entendre qu’il voulait s’enlever la vie.
Au grand écran, La Chute de l’empire américain de Denys Arcand a été unanimement encensée par les critiques. Mettant en vedette l’animatrice et ex-sensation de la télé-réalité québécoise Mariepier Morin (un risque qui s’est avéré payant), le film raconte l’histoire d’un doctorant en philosophie ayant de la difficulté à joindre les deux bouts qui se retrouve confronté à un dilemme moral : partir avec les sacs remplis d’argent volé sur lesquels il est tombé par hasard ou pas. Renouant avec ses thèmes de prédilection (critique du capitalisme, du système de justice et du mépris social envers les intellectuels), Denys Arcand livre son meilleur film depuis Les invasions barbares. Toujours dans le septième art, le réalisateur Sébastien Pilote a lui aussi connu la consécration en 2018, remportant le Prix du meilleur long métrage canadien au Toronto International Film Festival pour La disparition des lucioles. Le film suit les tribulations d’une adolescente de 16 ans qui, élevée dans une famille dysfonctionnelle, souhaite fuir au plus vite sa région natale (Saguenay-Lac-Saint-Jean) et voler de ses propres ailes.
La révélation du petit écran québécois en 2018 est sans contredit Fugueuse de l’auteure Michelle Allen. L’œuvre de dix épisodes d’une heure traite de l’exploitation sexuelle des jeunes femmes qui fuient – involontairement ou non – leur famille pour travailler dans l’industrie du sexe, un enjeu réel à Montréal. Basée sur des témoignages d’ex-prostituées montréalaises qui ont réussi à se sortir des griffes de proxénètes, la série est d’un réalisme convaincant et sensibilise les familles aux dangers qui guettent les adolescentes sous l’influence d’un gang de rue ou d’hommes manipulateurs.
Sur la scène littéraire, l’écrivain et journaliste indépendant Frédérick Lavoie a reçu le prestigieux Prix littéraire du Gouverneur général dans la catégorie « essais » pour son livre Avant l’après : voyages à Cuba avec George Orwell. Prenant comme point de départ la nouvelle édition cubaine de 1984 d’Orwell – qui coïncide avec la fin du régime castriste –, l’auteur saguenéen entraîne ses lecteurs à La Havane pour explorer les limites de la liberté d’expression dans un pays en transition. Le propos est original et l’écriture, rythmée, se situe entre le récit de voyage et le roman ; George Orwell lui-même aurait adoré. Pour terminer, l’un des prix littéraires les plus importants de la province, le Prix des collégiens, a été officiellement suspendu en 2018 en raison de son nouveau partenariat avec le géant du commerce en ligne Amazon. L’entente de commandite a vivement choqué les finalistes, leurs éditeurs, de même que les libraires indépendants qui se battent pour survivre face au géant américain. La survie du Prix dépendra de la capacité de l’organisation à trouver en 2019 de nouveaux appuis financiers, considérables, ou à décrocher une importante subvention gouvernementale.
- Montréal facétieuse !
SOURCES
Institut de la statistique du Québec
Banque de données des statistiques officielles sur le Québec
Assemblée nationale du Québec
Ministère des Relations internationales et de la Francophonie
Ministère des Affaires municipales
Emploi-Québec
L’état du Québec 2018 – Institut du Nouveau Monde
ADISQ
Radio-Canada/Le Devoir/Les Affaires/La Presse/L’Actualité/La Presse Canadienne/Le Monde