Anjan Sundaram, brillant étudiant indien en mathématiques à Yale (États-Unis), aurait pu travailler pour Goldman Sachs. Mais, en 2005, il choisit d’abandonner cette voie toute tracée et, à la suite de quelques rencontres, il s’envole pour Kinshasa. Il veut devenir journaliste. Il ne connaît rien à ce métier, rien non plus à l’Afrique.
- Kinshasa - Ph : Flickr - Kaysha
On comprend vite à la lecture de « Kinshasa jusqu’au cou » qu’Anjan Sundaram a fait le bon choix. Son livre nous plonge dans les entrailles de « Kin » », mais aussi au cœur d’une République Démocratique du Congo (RDC) en pleine confusion électorale.
Mais le jeune Indien doit d’abord apprendre son métier. Il commence par être pigiste, il court après les sujets, il essaie de comprendre, de s’imposer, de construire un carnet d’adresses. Loin du centre-ville et des quartiers réservés aux chanceux, aux diplomates, aux « internationaux », il loue une chambre chez une famille congolaise dans le quartier Victoire. Les débuts dont difficiles. Il sollicite les conseils de journalistes congolais, il s’appuie aussi un peu sur la communauté indienne. Ainsi, il interviewe un Indien installé au Congo, patron d’une grosse fabrique de vaccins. L’industriel explique que la RDC n’est pas du tout préparée à lutter contre la grippe aviaire et que le péril est immense pour la population. L’article va permettre à Anjam Sundaram de se faire un nom. Il va devenir correspondant de Associated Press. Correspondant payé à l’article dans un premier temps. Régulièrement il devait céder la place à quelques « grosses pointures » venues couvrir tel ou tel événement. Mais, tenace, passionné, il va finir par être reconnu et respecté.
Sa carrière de journaliste commence peut-être véritablement lorsqu’il décide de sortir de Kinshasa pour s’aventurer sur le fleuve Congo à la rencontre des pygmées, puis plus tard, dans l’Est du pays, à Bunia, où il sera confronté à la guerre, aux milices, à la rivalité qui oppose, à coups de machettes et de kalachnikovs, les partisans de Joseph Kabila et ceux de Jean-Pierre Bemba. Lorsque, après ce périple compliqué et souvent dangereux à l’autre bout du pays, il sera de retour à Kinshasa, Anjan Sundaram verra la ville autrement. « Le mystère de la capitale s’était évaporé. De retour de la campagne, je la voyais désormais pour ce qu’elle était : un chaos indépendant, coupé du reste du pays. Je savais que les routes qui quittaient Kinshasa s’arrêtaient brusquement au milieu de la jungle. Les populations s’éloignaient, de plus en plus isolées. L’importance de la capitale tenait de l’autopersuasion ».
Sundaram, on l’a dit, est Indien et c’est ce qui donne une force toute particulière à son récit. Il n’est pas lesté par le poids du passé colonial, comme peuvent parfois l’être des auteurs belges ou français, et c’est ce qui rend son regard sur le Congo très intéressant. « Le Congo, je le sentais, était victime du mythe du dictateur, écrit-il. C’était ce que j’avais vécu enfant : l’endoctrinement qui fait du despote un sage et un sauveur tout-puissant. Jusqu’à récemment encore, Dieu était généralement invoqué dans le mythe pour justifier un pouvoir fondé sur un droit divin. De nos jours, les dictateurs ont moins besoin d’avoir recours au mystique : ils se servent des outils de la liberté, comme les élections, le commerce, l’éducation, l’art, les médias ».
Enfin, ce récit évoque ceux de Lieve Joris, merveilleuse écrivaine, fantastique voyageuse et amoureuse de l’Afrique (« Mon Oncle du Congo », « Danse du léopard », « Les hauts plateaux »…). Comme elle, Anjan Sundaram, avec des mots justes, des phrases alertes, une curiosité réjouissante, nous propose de le suivre. Et on se laisse embarquer.
Marc Capelle, contributeur au réseau Agora francophone, ancien directeur de l’ESJ Lille
Anjan Sundaram, « Kinshasa jusqu’au cou ». Éditions Marchialy, 2017. 343 pages. Traduit de l’anglais (Inde) par Charles Bonnot.