En 1874, « une Société équestre était fondée à Bucarest avec le but de construire un cirque » : aussi étrange que ça puisse paraître, c’est ainsi que commence l’histoire de l’Athénée roumain, selon le mémorialiste Constantin Bacalbașa. Peu après la pose des fondations – circulaires, dès lors que le bâtiment devait accueillir un manège – les travaux furent toutefois abandonnés faute d’argent. Neuf ans plus tôt, plusieurs personnalités, dont le diplomate Constantin Esarcu, avaient créé la Société culturelle « Ateneul român », qui se proposait d’ériger un futur « temple des arts et de la science ». Une souscription publique sous le slogan « Donnez un leu pour l’Athénée » et une loterie – dont le gros lot valait 75 000 lei – furent lancées, la collecte de fonds
s’étalant sur une trentaine d’années. En 1886, la société racheta le terrain qui aurait dû accueillir le cirque et confia la construction à l’architecte français Albert Galleron, qui avait déjà réalisé le palais de la Banque nationale. Son projet dut composer avec les fondations laissées à l’abandon, d’où la forme circulaire du bâtiment.
Inspiré par les vieux temples grecs, l’Athénée fut construit dans un style néoclassique avec des touches romantiques et inauguré en 1888, mais les travaux se poursuivirent encore pendant une dizaine d’années. L’auditorium coiffé d’une coupole de 41 mètres de haut richement décorée compte près de 800 places et bénéficie d’une acoustique impeccable. L’entrée principale donne sur un majestueux vestibule tout en marbre, dont 12 colonnes soutiennent la voûte centrale. Quatre escaliers en spirale mènent vers la salle de concert. Tout le long du pourtour de la coupole, les murs sont décorés d’une fresque du peintre Costin Petrescu. Mesurant 3 mètres de haut et 75 de long, elle fut dévoilée en 1938. L’ouvrage comporte 25 scènes de l’histoire de la Roumanie. Initialement, la dernière mettait en scène le roi Carol II, mais après l’abdication de ce dernier et l’instauration du régime du maréchal Ion Antonescu, elle fut remplacée par une autre, dépeignant la Grande Union de 1918. Entre 1948 et 1966, la fresque dans son ensemble fut recouverte de velours rouge pour occulter le rôle de la monarchie dans l’histoire du pays. Heureusement, pourrait-on dire, puisque cela a permis de préserver la peinture et d’écarter un projet de la remplacer par des scènes inspirées du régime communiste.
Mais l’histoire du bâtiment dans son ensemble fut mouvementée : sa coupole fut endommagée par une bombe lâchée par les Allemands le 24 août 1944. En 1919, le bâtiment accueillit une réunion solennelle du Parlement entérinant la naissance de la Grande Roumanie. En 1948, décoré de portraits de Staline, il fut témoin de la création du Parti ouvrier roumain, avant
d’ouvrir ses portes par la suite à des réunions du Parti communiste.
Entre 1990 et 2003, le bâtiment connut de profonds travaux de rénovation qui lui redonnèrent sa splendeur d’antan. En poste depuis 2010, le directeur Andrei Dimitriu s’attache à ajouter de nouvelles dimensions à la mission culturelle du bâtiment, devenu le siège de la Philharmonie roumaine, et surtout à mettre en valeur son histoire. Il entend ainsi ouvrir une pinacothèque et un musée où soient exposés des objets intimement liés à l’âme de l’Athénée, dont une truelle utilisée lors de la pose de la première pierre, ou encore les livres d’honneur portant les signatures de compositeurs et musiciens célèbres du monde entier.
Autre projet qui lui tient à cœur, restaurer et accrocher de nouveau aux murs deux plaques en marbre de 2,75 mètres de hauteur par 3 mètres de largeur, portant une inscription intitulée « Acte de remerciement » à Constantin Esarcu. Les deux plaques, dont une est gravement endommagée, avaient été brutalement écartées de la rotonde par les communistes en 1950, mais heureusement retrouvées dans le sous-sol du bâtiment après 1990.
Au-delà du somptueux auditorium, l’Athénée recèle d’autres trésors, dont une demi-coupole en verre qui laisse entrer le soleil et repose sur un palier rythmé par des colonnes en marbre et donnant vers plusieurs salles de répétition. D’élégants escaliers mènent au sous-sol où l’on découvre la « Petite salle » de l’Athénée, aux murs tendus de tissus dorés et pouvant
accueillir une centaine de spectateurs. Symétriquement, de l’autre côté du foyer circulaire, se trouve une salle destinée à l’enregistrement de concerts, qui sera transformée en pinacothèque.
En descendant quelques marches supplémentaires, ce n’est plus la musique classique mais un ronronnement qui se fait entendre : l’installation thermique, modernisée vers la fin des années 1990. Fini le temps où, contraints par des températures en-dessous de 10 degrés Celsius, les musiciens jouaient équipés de gants tandis que les spectateurs ne se séparaient pas de leurs manteaux et chapkas – économie de chauffage imposée par les communistes oblige.
Le dimanche 26 octobre 1886, lors de la pose de la pierre fondamentale, Constantin Esarcu prononçait un discours enflammé, partageant un rêve auquel il avait consacré sa fortune et plus de 20 ans de sa vie : « Lorsqu’il aura cristallisé les idées que nous venons de formuler, ce monument, qui s’élance avec ses somptueuses et imposantes proportions architecturales, ouvrira de nouveaux horizons et de nouvelles perspectives », il « éveillera et coordonnera les énergies de l’intellectualité nationale ». Et d’ajouter, visionnaire : « Lorsque nous regarderons fièrement ce palais et l’impétueux fleuve qui fécondera la plaine nationale, nous dirons tous : c’est le Nil, c’est le Danube, c’est une grande Institution. » Pari gagné.
Mihaela Rodina