POLITIQUE
Saint-Pierre et Miquelon (SPM) est devenu en 2014-2015 le cinquième territoire d’outre-mer visité par le président français François Hollande depuis le début de son mandat. Avant lui, seuls trois chefs de l’État, sous la Ve République, s’étaient déplacés sur l’archipel nord-atlantique : le général de Gaulle en 1967, François Mitterrand en 1987 et Jacques Chirac en 1999. À la différence de ses prédécesseurs qui y ont fait une halte en allant ou en revenant d’un voyage vers le Canada, l’actuel président de la République est le seul à avoir fait spécifiquement le déplacement pour la communauté insulaire.
- Ph : Office de Tourisme de SPM
François Hollande a profité de sa visite pour célébrer le 73e anniversaire du débarquement de l’amiral Muselier à SPM en 1941. Sur ordre du général de Gaulle, Muselier avait libéré l’archipel placé sous l’autorité du régime de Vichy depuis juin 1940. Mais la présence du président visait surtout à faire mousser la construction d’un grand port à Saint-Pierre qui ferait de la commune principale de SPM une plaque tournante où les gros porte-conteneurs traversant l’Atlantique transborderaient leur cargaison sur des bateaux moins imposants qui desserviraient ensuite les villes portuaires de l’est du Canada. À l’inverse, le pétrole canadien sortant du fleuve pourrait transiter par Saint-Pierre avant d’être chargé sur d’autres navires-citernes à destination de l’Europe. La communauté insulaire, à la recherche d’un nouveau souffle économique, espère voir le projet se concrétiser d’ici 2016.
Aux côtés d’Annick Girardin, qui fut députée (PRG) de l’archipel, avant d’être nommée secrétaire d’État au développement et à la francophonie dans le gouvernement de Manuel Valls, François Hollande a également réaffirmé lors de son passage à SPM sa volonté de voir reconnaître à l’archipel un plateau continental plus étendu qu’à l’heure actuelle, ce que refuse le Canada. Le sous-sol maritime entourant la collectivité d’outre-mer recèlerait d’importants gisements en hydrocarbures. L’ONU doit trancher la question en 2015. Si la France obtenait gain de cause, elle pourrait exploiter les fonds marins et le sous-sol dans la zone qu’elle convoite.
Toujours sur le plan politique, la Société d’investissement de la filière pêche de l’archipel (SIFPA) s’est retrouvée sous la loupe de la Chambre territoriale des comptes (CTC) de SPM en mai 2015. Le rapport de la CTC a révélé plusieurs dysfonctionnements dans la gestion de la société d’économie mixte locale, créée en 2009 par la collectivité territoriale et l’investisseur privé canadien Louisbourg Seafoods LTD afin de réunir dans une seule structure les équipements industriels existants de l’usine de transformation des produits de la pêche de Saint-Pierre après la mise en liquidation judiciaire du précédent exploitant.
Il apparaît que les relations juridiques entre la SIFPA et son exploitant, Seafoods LTD, ont été définies de façon inadéquate lors de la création de la société, à un point tel, que l’exploitation du matériel de l’ancienne usine de transformation par l’investisseur privé canadien s’est exercée sans titre d’occupation des emprises foncières supportant les installations industrielles en 2009 et 2010. Par ailleurs, en l’absence d’une nouvelle convention de transfert des biens du domaine public maritime entre les deux partenaires, les autorisations d’occupation qui étaient en règle depuis 2011 sont devenues caduques. Aucun acte formalisant les relations juridiques entre la SIFPA et son exploitant n’a été conclu depuis, même si un projet de bail pourrait être entériné d’ici la fin 2015.
- La pêche, objet de toutes les attentions (AFD - fabrice dufresne)
Au-delà du flou juridique, la CTC a également pointé du doigt l’usage des fonds publics par Seafoods LTD. L’exploitant, qui bénéficiait d’une subvention de l’État de 1,7 million d’euros en 2012 pour la réfection du système de congélation de l’usine affectée par des fuites d’ammoniac, n’a pu justifier l’utilisation du montant accordé, conformément à son objet, qu’à hauteur de 500 000 euros. Sur ce point précis, une action judiciaire est en cours.
La CTC considère aussi que la SIFPA a « particulièrement manqué de rigueur et d’attention aux fonds publics » en validant la cession des titres de son actionnaire canadien à la collectivité, sur la base d’une évaluation non finalisée. Le rachat des titres de Seafoods LTD par la collectivité territoriale aurait dû s’établir sur une base de 940 000 euros, alors qu’il s’est élevé à 1,8 million d’euros. SPM a donc payé plus de 920 000 euros en trop. La CTC appelle les élus du conseil territorial à une plus grande vigilance dans la gestion de la SIFPA.
ÉCONOMIE
Les autorités sanitaires de SPM lorgnent Moncton dans leurs recherches d’un autre fournisseur de soins de santé dans l’est du Canada, depuis que les coûts ont récemment explosé chez son prestataire habituel, Terre-Neuve-et-Labrador. Les sommes déboursées pour les patients Saint-Pierrais et Miquelonnais nécessitant des soins spécialisés à l’hôpital de Saint-Jean, à Terre-Neuve, ont augmenté de façon draconienne entre 2010 et 2014. L’archipel a versé 3 300 000 $ au gouvernement terre-neuvien en 2014, une hausse de 75 % par rapport à 2010, pour un plus faible nombre de patients traités. Comme Moncton, Halifax est dans la mire des autorités sanitaires de la collectivité d’outre-mer. La capacité de servir les patients en français semble néanmoins procurer un avantage indéniable à la métropole acadienne dans l’obtention du contrat de nouveau partenaire médical de SPM.
- François Hollande en viste au Centre hospitalier (presse Présidence de la République)
Dans un autre ordre d’idées, les agriculteurs de l’archipel ont fait un front commun en février 2015 afin de faire lever les barrières commerciales les empêchant d’exporter leurs produits au Canada, qui ne reconnaît pas le statut sanitaire de SPM. Ainsi, même un foie gras produit par les insulaires avec des canards et du maïs venant du Québec ou de l’Ontario ne peut être exporté au pays voisin. Même l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, qui doit entrer en vigueur dans les prochaines années, n’offrira pas d’ouverture de marché à l’archipel, puisque la collectivité d’outre-mer, bien que française, ne fait pas partie de l’Union européenne. Le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon, Jean-Christophe Bouvier, espère que le cri du cœur des agriculteurs de SPM trouvera écho à Paris.
Du côté maritime, la Gendarmerie royale du Canada et les autorités françaises soupçonnent une intensification du trafic de drogue entre Terre-Neuve et SPM depuis le début 2015. De la marijuana et de la cocaïne seraient chargées dans des bateaux le long de la côte sud de Terre-Neuve et expédiées par la suite vers Saint-Pierre-et-Miquelon. Aucune arrestation n’a été effectuée jusqu’à maintenant, malgré un important déploiement de bateaux-patrouille autour de l’archipel. Mais tant du côté canadien que français, on espère coincer bientôt les contrebandiers afin d’estimer l’ampleur du blanchiment d’argent imputable à ce trafic de stupéfiants.
Sur le plan des tendances conjoncturelles, le produit intérieur brut de l’archipel a diminué de 0,1 % au 1er trimestre 2015, après avoir connu une augmentation de 2,4 % à la fin 2014. Ce léger repli s’explique principalement par la baisse enregistrée dans les industries productrices de services (0,3 %) et le recul marqué du commerce de gros (-2,6 %). Bonne nouvelle cependant pour le taux de chômage qui a baissé de 0,2 % au cours de l’année pour s’établir à 6,8 % au mois de juin 2015. 138 000 emplois ont été créés, dont la vaste majorité à temps plein. L’indice des prix à la consommation (IPC) a quant à lui progressé de 1,2 % entre mars 2014 et 2015. La baisse des prix de l’essence (-19,2 %) demeure le principal déterminant atténuant la hausse de l’IPC. Sans la diminution du coût du carburant, l’IPC aurait augmenté de 2,2 %.
Enfin, l’activité de la pêche affiche au 1er trimestre 2015 des résultats contrastés, les prises artisanales augmentant de 96,6 % par rapport à 2014, mais les prises industrielles, qui représentent les trois quarts des volumes de l’archipel, reculant de 17 %. L’industrie du tourisme est pour sa part en déclin. En raison de la réduction du nombre de bateaux de croisière faisant escale à SPM, le nombre de touristes canadiens, américains et autres nationalités a baissé respectivement de -30,3 %, -75,4 % et -36,5 %. L’isolement et la difficulté d’accès représentent un frein important au développement touristique de la communauté insulaire.
BICENTENAIRE DE LA RÉTROCESSION DE L’ARCHIPEL À LA FRANCE
D’importantes célébrations se préparent à SPM, alors que 2016 marquera les 200 ans de la rétrocession de l’archipel à la France par l’Angleterre. De 1604 à 1816, les deux empires coloniaux se sont farouchement disputé la possession de SPM, 1816 marquant le retour définitif des colons français sur l’archipel grâce à la Restauration. Un colloque sur l’histoire, un festival littéraire, des reconstitutions historiques, des prestations musicales et du théâtre seront au menu à l’été 2016 pour commémorer le bicentenaire de l’événement. Les insulaires ont toutefois commencé à célébrer dès juillet 2015, alors que la frégate L’Hermione, réplique du navire avec lequel le marquis de La Fayette a apporté le soutien de la France aux indépendantistes américains, s’est amarrée à Saint-Pierre après avoir mouillé dans le port de New York lors de la fête nationale des États-Unis.
L'Hermione en escale à Saint-Pierre-et-Miquelon par OuestFranceFR