Sur scène, dans un décor de café, deux hystéries s’affrontent. Une frontale, jouée face au public. Une autre lointaine, brièvement évoquée. La première est le tourbillon de la vie de gens qui pédalent comme des hamsters dans une roue pour tenter de construire une vie qui leur échappe. À plusieurs reprises, le mot « raté » est scandé. Des gens qui ratent leur vie, le vide trépidant qui les guette fait d’eux des désabusés, des maladroits, des va-t-en-guerre de pacotille. Ils sont touchants. La seconde hystérie les fouette. C’est la grande Histoire qui balaye leurs petites histoires médiocres. Près du café, un attentat – c’est ce que le spectateur interprète aisément – fracasse les vies. Les considérations puériles ou égoïstes apparaissent bien dérisoires...
Cette pièce que l’on imagine se passer au cœur de Paris est écrite par une Parisienne d’adoption, Sonia Ristic. Parisienne depuis 1991, mais pas de nationalité française. Sonia Ristic est née en ex-Yougoslavie et ses origines penchent du côté de la Serbie et de la Croatie. Pourtant sa liaison amoureuse avec la francophonie remonte à l’enfance grâce à une mère diplomate qui fut en poste pour deux mandats de 4 ans à Kinshasa puis à Conakry. Adolescente fréquentant les lycées français de ces villes, comment échapper à la langue française ? Puis, au moment de choisir la destination de son université et de quitter Belgrade, Paris fut choisie. Sonia Ristic ne l’a plus quittée. Parisienne, mais pas française. Elle allait rejoindre la terre de ses lectures, elle y côtoie les fantômes de Beauvoir, Kessel, Zola, Hemingway même ! Elle se souvient qu’un jour, revenant d’un séjour en Croatie par le train Venise Paris, elle se surprit à penser qu’elle rentrait à la maison. Sonia Ristic est aussi un peu Limougeaude* ! Elle fréquente les Francophonies en Limousin depuis 2005, a connu trois directions et à chaque renouveau du festival, elle prend une place de choix. Le lien est professionnel, mais aussi affectif, les fantômes déjà cités veillent sur elle...
Naître dans un pays qui n’existe plus. Voilà un destin singulier qui nourrit l’écriture. Pendant longtemps, Sonia Ristic a écrit sur la guerre qui a définitivement mis fin à l’utopie yougoslave. Selon elle, le conflit est le terreau de la fiction. Ni thérapeutiques ni didactiques, ses écrits ne sont que les reflets d’un arrachement, d’un empêchement et d’un événement qui sont une matière première exceptionnelle. Son travail se construit autour des petites histoires, intimes, subjectives qui résonnent avec la grande histoire. L’histoire de Pourvu qu’il pleuve en est l’illustration parfaite. Employés du café comme clients ont raté la marche du succès et se débattent dans des vies anodines, pourtant l’espace d’un instant ils se retrouvent pris dans un événement historique, qui les dépasse, les révèle ou les écrase.
* Habitante de Limoges