POLITIQUE
Après environ deux ans de régime militaire, la situation politique thaïlandaise demeure tendue et ses perspectives bien sombres. Le général Prayuth Chan O-Cha, porté au pouvoir par le coup d’État de 2014 a depuis lors raffermi sa mainmise sur le pouvoir. Ses déclarations sont toujours aussi peu diplomates et son animosité pour les journalistes ne se dément pas. Il continue à retarder la date des élections promises initialement, lesquelles ont été reportées successivement au mois de septembre 2016, puis fin 2017. Dans le même temps, officiellement afin de stabiliser de manière durable la situation politique, la junte s’est attelée à un projet de nouvelle constitution dont les conséquences potentielles ont fortement alarmé ses opposants ainsi que de nombreux observateurs étrangers.
En substance, ce projet donnera en effet des pouvoirs accrus à un Sénat dont bon nombre des membres pourront être issus de l’Armée. De plus, le Premier ministre pourra être nommé sans nécessairement avoir été élu (1). Les grands partis traditionnels, dont le Pheu Thai de Thaksin, l’ancien Premier ministre en exil, verront de ce fait leur rôle et leur marge de manœuvre nettement restreints (2). Pour couper court aux critiques et aller de l’avant, un référendum a été tenu le 7 août 2016, le projet de constitution étant adopté par une majorité de plus de 60 %, qui n’a pas été sans surprendre au vu des critiques dont il avait jusque là fait l’objet. Si la junte s’en est félicitée, d’aucuns y ont plutôt vu le résultat de l’intimidation à laquelle les opposants ont été soumis durant la campagne référendaire, mais aussi l’effet d’une fausse perception du projet auprès de la population à laquelle on a donné à croire qu’il s’agissait là d’un moyen de revenir à une certaine stabilité. C’est sans doute surtout ce désir qui s’est exprimé le 7 août, et donc une certaine méconnaissance de la constitution et de ses effets plutôt qu’un soutien massif à l’égard de cette dernière (3).
- Bangkok... calme en apparence ! (Ph : Flickr - Tore Bustad)
En matière de stabilité politique, la Thaïlande a justement connu des moments particulièrement difficiles en 2015-2016. L’été 2015 a été marqué par l’attentat de Bangkok, qui a fait 20 victimes, le 17 août, dans un quartier touristique de la capitale. Non revendiqué, l’attentat n’a étonnamment pas constitué un prétexte pour le gouvernement pour lancer une série d’accusations contre les minorités musulmanes du Sud avec lesquelles il a souvent maille à partir. En fait, c’est plutôt la piste ouïgoure qui s’est avérée, avec l’arrestation de deux membres de cette ethnie musulmane chinoise et leur comparution en février 2016. Bien que, selon la police, Bilal Mohammed et Yusufu Mieraili (4) aient avoué leur culpabilité, ces derniers ont officiellement rejeté les charges retenues contre eux au cours de cette comparution. C’est pourtant d’habitude à l’intérieur des frontières de la Chine que les Ouïgours sont accusés par Pékin de perpétrer des actes terroristes, par exemple dans le cas du massacre de la gare de Kunming, le 1er mars 2014. Le motif de cette attaque aurait ici été causé par le fait que quatre cents d’entre eux, qui avaient trouvé refuge en Thaïlande pour fuir la répression, venaient d’être expulsés par les autorités thaïlandaises. Bien que cette piste apparaisse bien ténue, il ne semble pas y en avoir d’autres.
Pour clore l’année, le mois d’août 2016 a lui aussi été troublé par des attentats, certes moins meurtriers que celui de 2015, mais plus nombreux et tout aussi alarmants. Le 11 et le 12 août (5), puis le 23 août, l’explosion de plusieurs bombes a secoué le sud du pays, notamment dans les stations balnéaires de Hua Hin et Phuket (6). Si ces attentats n’ont pas, eux non plus, été revendiqués, les autorités visent à mots couverts l’opposition, qui s’est montrée particulièrement insatisfaite du résultat du référendum. Certaines de ces attaques ayant eu lieu lors du congé national célébrant l’anniversaire de la reine de Thaïlande et ayant touché la station de Hua Hin, où le couple royal a coutume de passer du temps, lorsque la santé du roi le lui permet, la thèse d’un mouvement de contestation anti-gouvernemental a été envisagée. Le général Prayuth s’est même ouvertement posé la question de savoir qui aurait intérêt à de telles attaques alors que selon lui la Thaïlande est devenue un pays plus sûr sous son gouvernement. De son côté, l’une des principales opposantes, Yingluck Shinawatra, qui demeure l’objet d’un véritable acharnement judiciaire à son endroit, a pourtant fermement condamné ces attaques. La situation demeure donc tendue et confuse, les coupables n’ayant toujours pas été identifiés à la fin du mois d’août 2016.
- Le couple royal à ses débuts ! (Ph : wmc - monarchie thaïlandaise)
Année après année, la santé du roi devient également un élément de plus en plus préoccupant de l’équation politique thaïlandaise. Après plus de 60 ans de règne, le roi Bhumibol Adulyadej dont la santé ne cesse de décliner n’apparaît plus en public. La question de sa succession, rendue particulièrement sensible du fait de la loi sur les crimes de lèse-majesté qui bâillonne la presse, est au cœur de bien des questions que se posent les Thaïlandais. En effet, autant le roi était très populaire et a joué dans le passé un rôle vital ayant permis au pays de traverser bien des crises, autant son héritier, le prince Maha Vajiralongkorn, fait l’unanimité contre lui et apparaît comme un personnage superficiel et sans charisme, englué dans des scandales mondains (7) et à mille lieues de l’image rassembleuse de son père (8). La monarchie pourrait donc se trouver très affaiblie en cas de décès prochain du roi et son rôle politique fortement remis en question.
- Le couple royal au coeur de la société (Flickr - Maya-Anaïs Yataghene)
ÉCONOMIE ET SOCIÉTÉ
Les turbulences politiques ne sont bien entendu pas dépourvues d’effets sur la société et sur l’économie du pays. À cet égard, la junte a toujours fait de son mieux pour protéger autant que possible l’activité touristique, qui est un des moteurs de l’économie thaïlandaise, mais ses efforts ne semblent plus aussi efficaces. Les attentats d’août 2016 pourraient avoir un effet négatif que n’avaient pas encore eu les évènements des mois précédents et freiner l’afflux de touristes étrangers. Déjà, l’année 2015 avait constitué une étape importante pour cette activité, car, si les chiffres d’ensemble n’avaient pas connu de baisse dramatique, c’était surtout du fait de l’arrivée massive de touristes chinois. En tout état de cause, un article du New York Times décrivait en novembre 2015 la situation économique thaïlandaise comme étant extrêmement morose, et les Thaïlandais comme étant particulièrement épuisés par l’instabilité politique chronique et les perspectives économiques bien peu optimistes (9). L’article citait notamment une déclaration du Général Prayuth résumant cette morosité, et qui avait même évoqué le mois précédent l’idée de « fermer le pays », avant de se rétracter devant le tollé que sa remarque avait soulevé.
- La manne touristique en danger (Ph : Flickr - Lain)
D’autres observateurs se basant sur les différents indicateurs économiques habituels se font moins pessimistes, par exemple la Banque Mondiale qui ne note qu’une faible diminution du PIB par rapport à 2013 (395,3 milliards de dollars US contre 419,9) et même une croissance de 2,5 % pour 2016. Par contre, l’agriculture et ses exportations traditionnelles que sont le riz et le caoutchouc souffrent, avec un effet dramatique sur le niveau de vie de bon nombre de petits agriculteurs (10).
- Les exportations de riz en difficulté (Ph : Flickr - Tore Bustad)
Ironiquement, pour remédier à cette crise sociale, le gouvernement est amené à imiter son prédécesseur en accordant des aides aux producteurs touchés, comme cela avait été le cas précédemment pour le riz et qui avait été reproché au gouvernement de Yingluck Shinawatra.
Il semble toutefois y avoir consensus au sujet de la dépendance accrue que l’économie thaïlandaise dans son ensemble commence à expérimenter vis-à-vis du puissant voisin du nord, dépendance qui n’est pas sans impact sur le plan politique. Un resserrement des liens entre Pékin et Bangkok étant effectivement en train de s’opérer.
En lien avec les situations politique et économique, la question des migrants n’a guère connu d’évolution particulièrement positive, la réponse de la Thaïlande restant le plus souvent l’expulsion massive, qu’il s’agisse de Birmans, ou de Cambodgiens (11) notamment, que ce soit par mer ou par voie terrestre (12).
Il convient peut-être d’être un peu plus optimiste dans le cas des réfugiés birmans avec l’élection du parti d’Aung Sang Suu Ky, qui devrait stabiliser la situation dans son pays et réduire le flux d’émigration de manière significative au cours des prochains mois.
Notes :
(1) http://thediplomat.com/2016/02/the-staying-power-of-thailands-military/
(2) http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/08/08/a-bangkok-une-constitution-au-service-de-la-junte_4979749_3216.html
(3) http://time.com/4448655/thailand-constitutional-referendum/
(4) http://www.ibtimes.com/thailand-indicts-two-bangkoks-erawan-shrine-bombing-case-says-blast-was-revenge-2197450
(5) http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/08/13/la-tres-politique-recherche-des-auteurs-des-attentats-en-thailande_4982257_3216.html
(6) http://www.nytimes.com/2016/08/13/world/asia/thai-leader-links-attacks-on-tourist-sites-to-constitution-change.
(7) http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/07/23/des-photos-du-prince-heritier-thai-embarrassent-le-royaume_4973797_3216.html
(8) http://www.nytimes.com/2015/09/21/world/with-king-in-declining-health-future-of-monarchy-in-thailand-is-uncertain.html
(9) http://www.nytimes.com/2015/11/30/world/asia/thailand-economy-tourism.html
(10) https://asialyst.com/fr/2016/03/03/thailande-pourquoi-l-economie-est-en-berne/
(11) https://www.cambodiadaily.com/news/more-than-50000-migrants-deported-by-thailand-in-2015-102223/
(12) http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2015/05/15/des-migrants-refoules-de-thailande-et-d-indonesie_4633891_3216.html