Mise en contexte
Le fait majeur de la vie politique thaïlandaise est survenu le 13 octobre 2016, avec le décès du roi Bhumibol Adelyadej, à l’âge de 88 ans, marquant la fin d’un règne de 70 ans. Si l’état de santé du souverain s’était dégradé au fil des années au point que ce n’était pas une surprise, la place du roi dans la société thaïlandaise est telle que l’évènement est capital, surtout que le passé et les frasques de l’héritier désigné, le prince Maha Vajiralongkorn soulevaient bien des inquiétudes en ce qui concerne les conséquences de sa succession.
- La disparition d’un roi... - Ph : Flickr - Pablo Andrès Rivera
- Qui est vraiment Rama X ? Flickr - Dinhin Rakpong Asoke
POLITIQUE
Le décès du roi à la fin de l’année 2016 a donc initié une période de deuil d’un an qui s’est achevée le 28 octobre 2017 avec les obsèques et la crémation du défunt souverain (1). Cette crémation a été l’occasion pour les ultra-royalistes d’imposer un peu partout dans le pays, parfois par la force, que leurs concitoyens affichent les signes d’une tristesse extrême (2). Le successeur du monarque est donc son fils Maha Vajiralongkorn, qui a pris le titre de Rama X, dès janvier 2017. La personnalité controversée de ce dernier laissait craindre que l’Armée, au pouvoir depuis le putsch de 2014 voie sa position encore renforcée face à celui qui se présentait potentiellement comme un fantoche. En fait, le nouveau souverain s’est révélé beaucoup moins facile à manipuler que prévu. Il a très vite imposé ses conditions à la junte au pouvoir et s’est lancé dans des démarches visant à amender la constitution qui venait d’être adoptée. Cette dernière visait un renforcement du rôle de l’Armée et une restriction des libertés individuelles, la nouvelle, bien que surprenante, pouvait donc a priori sembler rassurante. Ce n’est malheureusement pas le cas, car les points que Rama X modifie ne concernent pas la démocratie, mais visent au contraire un accroissement sans précédent des pouvoirs du roi (3).
Le deuil attendu et redouté depuis plusieurs années a donc finalement eu lieu et sans surprise, il a représenté une raison supplémentaire pour reporter encore d’une année les élections promises par le général Prayuth Chan-Ocha lors de sa prise de pouvoir en 2014. En 2016, un processus baptisé « plan 6-4-6-4 pour la démocratie » était présenté par le gouvernement. Il consistait à se donner six mois pour élaborer une nouvelle constitution, quatre mois pour la faire adopter par référendum, six mois pour élaborer les lois permettant de la mettre en application et quatre mois pour faire campagne. Dès le mois de février, le vice-premier ministre Wissanu Krea-ngam annonçait toutefois que même si la constitution et le référendum avaient bien eu lieu comme prévu, la période de deuil et les modifications requises par le nouveau souverain requéraient des amendements qui, une fois effectués, devaient être soumis à l’approbation royale. Ce dernier ayant alors 90 jours pour se prononcer, les dix mois restants pour la mise en application du plan « 6-4-6-4 » repoussent les élections au-delà du mois de mars 2018, dans le meilleur des cas (4).
- Prayuth Chan-Ocha toujours à la tête du pays - Flickr : Dominique A. Pineiro - US Army
De toute manière, comme le mentionnent certains observateurs, la valeur de la tenue du scrutin doit être relativisée du fait des mesures prises par la junte dans la nouvelle constitution pour l’encadrer (5). En substance, outre le fait que le Sénat sera dorénavant nommé et non plus élu et qu’il sera possible de nommer un Premier ministre non élu, le nouveau mode de scrutin est un système de proportionnelle mixte ayant pour objectif de réduire l’importance d’une éventuelle victoire du parti de Thaksin Shinawatra, le Pheu Thai, non au profit de son principal opposant, le parti Démocrate, mais pour accroître l’importance des tiers partis, le plus souvent anti Pheu Thai. Une éventuelle victoire du Pheu Thai, fort probable puisque ce parti a remporté les trois dernières élections de 2001, 2007 et 2011, serait ainsi amoindrie au point de devoir céder la place à une coalition de ses adversaires. La portée réelle d’un éventuel processus électoral serait donc faussée et ne présage rien de bon pour le pays en matière de stabilité politique.
L’offensive contre le parti de Thaksin se poursuit aussi devant les tribunaux, les démarches judiciaires à l’encontre de l’ancienne Première ministre, Yingluck Shinawatra, sœur de Thaksin ayant abouti et mené cette dernière à fuir le pays en août pour trouver refuge à Dubai. Cela ne l’a pas empêchée d’être condamnée in abstentia à cinq ans de prison (6) pour une affaire de corruption concernant des subventions à la production de riz, mais le verdict représente malgré tout pour elle une demi-victoire, puisqu’elle encourait une peine de dix ans de prison.
ÉCONOMIE ET SOCIÉTÉ
Conséquence indirecte de la situation politique tendue et de ses implications sur la société thaïlandaise, les couches les plus pauvres de la population se trouvent courtisées par la junte, par l’intermédiaire de mesures l’on pourrait qualifier de populistes, par exemple l’attribution aux personnes enregistrées comme bénéficiaires de l’aide sociale d’une carte mensuelle de 2750 bahts (environ 70 euros) pour des dépenses essentielles prédéfinies (7). Dans l’éventualité d’un prochain scrutin, de telles mesures pourraient peut-être influencer un électorat qui est traditionnellement plus porté à voter pour le Pheu Thai. Cette nouvelle vient contrebalancer une initiative lancée en avril par le gouvernement, qui visait à bannir les comptoirs de nourriture de rue (« street food ») des trottoirs de Bangkok (8), officiellement pour des raisons d’hygiène et de propreté. CNN venait pourtant d’élire la capitale thaïlandaise comme étant la meilleure du monde dans ce domaine, et ceci pour la seconde année consécutive. Le tollé soulevé par cette décision allait néanmoins pousser la junte à faire promptement, mais partiellement marche arrière en indiquant que cela ne devait s’appliquer qu’à certains secteurs et non plus à toute la ville (9). Des tentatives de ce genre avaient déjà eu lieu dans le passé, mais les mesures imposées alors s’étaient relâchées par la suite. Il est toutefois à craindre que cette fois-ci la junte se trouve dans une position plus solide et moins encline à d’autres concessions et les secteurs déjà évacués n’ont pas été réoccupés. Cette démarche qui s’inscrit dans une série de tentatives visant à « assainir » les mœurs d’une métropole qu’elle considère un peu trop tumultueuses pourrait faire selon certains de Bangkok une « pâle imitation de Singapour, ordonnée et stérile (10) ».
- Manger dans la rue, une tradition remise en question - Ph : Flickr - Sitoo
Toujours sur le plan social, même si la Thaïlande n’a pas la réputation du Qatar en matière d’exploitation de sa main d’œuvre d’origine étrangère, elle doit faire face à des scandales dans ce domaine, notamment dans le cas des migrants qui travaillent dans le domaine de la construction, qui se rapproche dangereusement de l’esclavage (11). Si ce problème n’est pas nouveau, il s’est encore aggravé ces derniers mois et rappelle les mauvais traitements constatés dans les pêcheries et qui ont été dénoncés dans un rapport de l’Organisation internationale du travail (12).
En ce qui concerne les performances économiques, le tourisme demeure un secteur important (12 %) de l’économie thaïlandaise et il semble que le gouvernement ait été capable de continuer de limiter les effets des turbulences politiques sur les arrivées de touristes internationaux. Non seulement les chiffres ne diminuent pas, mais ils ont au contraire augmenté en 2017 par rapport à 2016. En effet, le ministère du Tourisme prévoyait en octobre atteindre pour l’année un total de 33 à 34 millions de touristes étrangers, soit un million de moins que ce qui était attendu, mais toujours en progrès en comparaison des 32,6 millions de l’année précédente (13). Comme en 2016, ces chiffres, qui peuvent surprendre au vu de l’instabilité de la situation politique, sont attribuables en grande partie aux touristes chinois, dont la part ne cesse de croître et qui constituaient en 2017 plus de 28 % des touristes internationaux.
Notes :
1) Olarn K et Cripps K., (Oct 26). http://www.cnn.com/2017/10/26/asia/thailand-king-bhumibol-adulyadej-cremation/index.html
2) Buchanan J. (Oct 26) https://thediplomat.com/2016/10/the-darker-side-of-thai-royalism/
3) Mériau E (Feb 3) https://theconversation.com/seeking-more-power-thailands-new-king-is-moving-the-country-away-from-being-a-constitutional-monarchy-71637
4) Parameswaran P. (Feb 10) https://thediplomat.com/2017/02/why-is-thailand-delaying-elections-until-2018/
5) Ibid (mar 01, 2016)https://thediplomat.com/2016/03/why-thailands-next-election-may-not-matter/
6) Holmes O (Sep 27) https://www.theguardian.com/world/2017/sep/27/yingluck-shinawatra-ex-thai-pm-sentenced-to-five-years-in-jail
7) Mokkhasen S. (Jul 27) http://www.khaosodenglish.com/news/business/2017/07/26/poorest-thais-get-2750-baht-cash-cards/
8) Le Monde (Apr 19) http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2017/04/19/les-stands-de-street-food-de-bangkok-feront-ils-bientot-partie-du-passe_5113783_4832693.html
9) Dunlop (Aug 27) https://www.theguardian.com/global/2017/aug/27/will-bangkok-street-food-ban-hold
10) Dunlop (Ibid)
11) Avezuela A. et Salva A (Feb 7) https://thediplomat.com/2017/02/thailands-construction-nomads/
12 Lawrence F et Hodal K (Mar 30) Thailand accused of failing to stamp out murder and slavery in fishing industry. (2017). The Guardian (30 mars. https://www.theguardian.com/global-development/2017/mar/30/thailand-failing-to-stamp-out-murder-slavery-fishing-industry-starvation-forced-labour-trafficking
13) Reuters (Oct 12) https://www.reuters.com/article/us-thailand-tourism/thailand-cuts-2017-tourist-arrivals-forecast-to-33-34-million-minister-idUSKBN1CH0LP