Nombreuses sont les femmes togolaises qui, contre vents et marées, restent engagées pour la survie de leur famille, à travers diverses activités. C’est le cas de celles de la préfecture du Bas-Mono, dont la plupart sont productrices de Corète potagère appelée en langue locale au sud du pays, « adémè ». Par cette culture, elles alimentent une grande partie du Togo et par moment les pays voisins grâce une production sur des espaces considérables de dizaines d’hectares. Qualifiées de vaillantes femmes, leur quotidien rime avec des difficultés liées notamment au changement climatique. Comment arrivent-elles à relever les défis climatiques tout en préservant leurs activités ?
Nous sommes le 14 août 2022 en fin d’après-midi à Avégbo, village situé dans la commune de Bas-Mono1, traversé par le fleuve Mono (le plus long fleuve du Togo). Dans ce village quasi calme avec un air frais entremêlé d’un peu de chaleur, c’est avec une odeur de fumée de bois que nous sommes accueillies.
Plus tôt, le long du trajet, nous observons des groupes de femmes abaissées dans des champs, paniers à côté, certaines avec des enfants au dos. De près, l’on peut constater des légumes verts dans du panier. C’était la période de la cueillette d’Adémè.
La culture de ce légume très prisé au Togo n’est pas saisonnière dans cette localité. L’on en trouve tout le temps, mais pas au même prix de vente. Cela dépend de la période des difficultés de productions. « Pendant la saison des pluies, nous arrosons les graines d’Adémè et quand il pleut, cela germe facilement. Et en un mois, nous pouvons faire la cueillette. Mais en saison sèche, nous devons chercher de l’eau et la durée de cueillette est rallongée. En cette période, nous les vendons un peu plus cher », explique « Pastonon » (en français, la mère du pasteur).
Sécheresse du Mono, début de corvée
La culture d’Adémè, est la plus pratiquée par les femmes de la localité. En période de rareté celles-ci sont confrontées à des difficultés et sont contraintes de recourir à d’autres méthodes, pas toujours aisées, pour trouver la quantité d’eau nécessaire pour l’arrosage. « C’est en saison sèche que nous avons plus de mal. Il faut aller chercher de l’eau dans le Mono et venir arroser. Certaines ont des pompes pour le faire et d’autres n’ont que leurs têtes » explique notre interlocutrice.
Avec le phénomène des changements climatiques, les braves productrices sont parfois laissées par le fleuve Mono qui tarit aussi. « Il arrive parfois que le Mono tarisse et que nous n’ayons pas d’eau pour arroser les légumes. C’est là que cela devient pénible pour nous. Dans ce cas, nous allons chercher de l’eau dans le puits profond du village. C’est une corvée pour nous. Transporter l’eau sur des kilomètres jusque dans nos champs, vous pouvez imaginer notre souffrance », se désole une productrice domiciliée au Bénin voisin.
Cette narration décrit une réalité que vivent ces femmes, mais ne les empêche pas de continuer leur activité génératrice de revenus. Cette culture, seule source de revenus pour elles, les oblige à des recherches de solutions face au problème de rareté de l’eau. Au rang des palliatifs, la construction d’un barrage à partir du Mono. « Le Mono est naturel. Mais voilà que parfois, cela nous lâche. Je pense qu’on peut creuser un trou dans le Mono, afin de créer un barrage permettant ainsi d’avoir constamment de l’eau », propose Edoh-Wokui Koffi Buikpo, coordinateur préfectoral du projet Communauté d’Épargne et de Crédit interne (CECI).
Cette forme d’aménagement proposé relève des autorités et doit répondre à des enjeux qui doivent aller au-delà de la seule communauté, explique Koami BOKODJIN, agroécologiste et Secrétaire général du Réseau national des acteurs de l’agroécologie au Togo (RéNAAT. Il précise par ailleurs que cela n’est pas une solution définitive. « Elles peuvent faire de petits aménagements de retenue d’eau pour retenir le fleuve et l’utiliser en cas de sécheresse. Mais étant une eau de surface, elle va aussi tarir. Il leur faut des forages pour disposer des sources d’eau souterraine en permanence », a-t-il ajouté.
Si cette solution est trouvée, il n’en demeure pas moins que d’autres difficultés pointent le nez.
Accès à la terre et utilisation des engrais chimiques
Certaines des femmes productrices ont été contraintes de laisser des terres qu’elles ont baillé au profit de la production du riz. Elles se retrouvent donc sans terres et obligées d’aller de l’autre côté du Bénin. « Cette année, je n’ai plus cultivé d’Adémè dans ce village. Les terres que j’utilisais m’étaient baillées. J’ai dû les rendre à la demande des propriétaires qui veulent faire la culture du riz. Ils m’ont proposé de le faire également, mais, ce travail est beaucoup plus pénible, donc j’ai décliné l’offre. C’est de l’autre côté, au Bénin que j’ai trouvé des terres », confie Somabé.
Maman Raphaël pour sa part, cultivait sur deux hectares d’adémè mais avec la culture du riz développé ces derniers temps dans la localité, elle perd la moitié de ses terres et ne dispose désormais qu’un hectare.Pour avoir un meilleur rendement, plus de légumes à vendre, elle est contrainte d’utiliser de l’engrais. « Les charges de la famille n’ont pas diminué, mais les terres oui. Il faut forcément que je trouve une solution. En utilisant un peu d’engrais, je suis sûre d’avoir beaucoup plus d’Adémè à vendre et aussi un peu plus rapidement. Aussi, les anomalies climatiques que nous observons réduisent les rendements, obligeant ainsi à ajouter de l’engrais », a-t-elle confié.
Sauf que l’utilisation des substances chimiques a un effet sur la qualité du légume dans l’assiette du consommateur, mais en même temps sur sa conservation. Les légumes étant des denrées périssables, quand l’engrais chimique est utilisé, la durée de vie d’Adémè est encore plus courte. À peine 48 h, elles commencent par se faner. Pour préserver la qualité du légume et permettre aux productrices d’avoir autant de rendement, il est proposé une alternative. « Nous avons formé un groupement en production de composts à base de pailles et autres déchets d’animaux. Nous souhaitons fournir ces composts aux agricultrices d’Adémè afin de permettre aux légumes de résister à la chaleur et à la durée » , a affirmé Edoh-Wokui Koffi Buikpo.
Le défi désormais sera de faire accepter l’utilisation de ces composts aux femmes en insistant sur le ratio qualité et prix.
Article écrit dans le cadre de la création d’un réseau international de jeunes journalistes enquêtant sur les Objectifs de développement durable afin de sensibiliser les populations au respect de ceux-ci.
Organisation Internationale de la Francophonie ; Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (France) ; Ministère de la Francophonie (Québec) : Principauté d’Andorre.
Avec le soutien de l’École supérieure de journalisme de Lille (France) et de l’Institut francophone du Développement durable (Québec).