Les comédiens d’Isis sont des cannibales. Dès les premières scènes, ils attrapent le public, à bras-le-corps et ne le laissent plus respirer. Les comédiens d’Antigone sont des athlètes. Ils sautent, cabriolent, s’empoignent, s’étreignent, se solidarisent, se désolidarisent. Mais ils ne sont pas exclusivement des comédiens du physique et de la souplesse : ils jouent de la kora, du djembé, de la guitare ou des cuivres. Ils dansent. Ils étirent la scène, la rétrécissent en fonction des vagues qu’ils dessinent de leurs corps. Pour finir, les comédiens de la tragédie des corps dispersés sont écorchés vif, ont le rire et les pleurs ostentatoires, sont dotés d’une ligne émotionnelle directe avec les tripes et l’âme des spectateurs.
Apprécier, kiffer ou adorer une œuvre théâtrale est une chose. Rester au fond de son siège, collé, comme un pilote de chasse quand les jets l’emprisonnent dans son harnais devenu superflu, en est une autre. Là, nous sommes dans l’autre chose : dans l’idée que même si Isis, Osiris, Antigone et les autres... * ne nous sont pas familiers car les années de collège sont loin, il ne fait aucun doute que ce qui se dit là ne peut être dénué de sens, doit être profond, perforant et universel. L’auteur togolais Kossi Efoui, écrit comme il s’habille. Excentrique – pour un regard de « vieux blanc » - mais tellement classe. Tellement singulier. Son écriture lui ressemble.
Le spectateur perd parfois le fil, le retrouve et face au dynamique enchaînement de tableaux, il se trouve face à une poésie globale dont il ne saurait tout interpréter et décrypter. Qu’importe, il doit juste se laisser embarquer dans cette histoire de reconstitution de troupe de comédiens dissoute à qui le metteur en scène historique propose un nouveau projet. Ils sont excités, impatients, se remémorent avec nostalgie, rire et tristesse leurs aventures passées. Jusqu’à ce que l’Histoire antique et la brûlante actualité se confondent. La tragédie des corps dispersés, l’impossibilité de se recueillir devant un corps, une tombe ou un monument funéraire est un mal du 21e siècle. Mal criant en Grèce, encore et toujours, en Méditerranée, dans l’Atlantique et sur bien des frontières naturelles, maritimes ou terrestres. Qui se soucie des corps dispersés ?
* Clin d’œil farfelu à Claude Sautet