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TUNISIE, une autre révolution !

TUNISIE, une autre révolution !

La sérénade d’Ibrahim Santos de Yamen Manai, éditions Elyzad.
18 avril 2012 - par Isabelle Soussana 
La sérénade d’Ibrahim Santos de Yamen Manai - éditions Elyzad
La sérénade d’Ibrahim Santos de Yamen Manai
éditions Elyzad

Ce jeune auteur tunisien résidant en France nous propose un conte initiatique au pays du meilleur rhum du monde, fruit d’une harmonie entre le travail des hommes et la générosité de la nature dans un village oublié où un musicien virtuose annonce les caprices de la météo et où l’on cultive son âme autant que la terre de ses ancêtres. Ce bel équilibre est rompu le jour où le Président goûte l’incomparable breuvage et se met en quête de ce lieu inconnu pour y implanter un mode de production digne des méthodes révolutionnaires de son régime. Il y envoie un jeune émissaire, ingénieur fraîchement formé qui, impuissant à convaincre les habitants, instaure la dictature et le productivisme.

Yamen Manai nous offre une galerie de personnages hauts en couleurs, aux portraits soignés (un peu à la façon d’Albert Cohen avec Mangeclous et ses acolytes) ainsi qu’une raillerie des dictatures qui pensent pouvoir faire fi du bon sens et des rêves des peuples.

C’est un hymne à la vie dont on ressort grisé comme après un verre de rhum, pétillant d’espoir malgré l’inéluctabilité des destins que l’on lit dans le marc de café. C’est encore plus savoureux lorsque l’on sait que ce roman a été terminé juste avant l ’éclosion du « printemps arabe » en Tunisie. On ne peut donc qu’inviter le futur lecteur au voyage jusqu’à Santa Clara, sous la brise caribéenne, au cœur de la nature humaine.


Extraits

« - Quand il a goûté ce rhum, notre cher Président Alvaro Benitez a été immédiatement saisi par un rêve. Il a voulu en faire le symbole de notre identité, l ’ambassadeur de la patrie, afin qu’on sache à travers le monde à quel point est enivrant la goût de notre terre. Mais malheureusement, Santa Clara n’est qu’un petit village. La culture de la canne, telle qu’elle y est pratiquée aujourd’hui, suffirait à peine aux besoins d’une grande ville. La cause en est toute simple : les méthodes des autochtones sont obsolètes. Rien n’a changé depuis des siècles. Plantation, récolte, traitement.. Tout se fait à l’ancienne. Cette terre au potentiel immense est mal exploitée, et cela handicape sérieusement ses capacités de production. »

« -Je suis ingénieur agricole. Je suis chargé par le gouvernement de la mise aux normes de l’agriculture dans le village.
La mise aux normes de l’agriculture ?
C’est bien cela, senorita, sourit Joaquin avec un air savant.
Et depuis quand a-t-on normé l’amour qu’un homme a pour sa terre ? »

« - Il n’y a pas de baromètre dans ce village ?
Un quoi ?
Un baromètre, articula Joaquin. Vous savez, l’outil qui permet de prédire le temps.
Un appareil qui prédit le temps ? L’étonnement était déjà une réponse en soi. Non, il n’existe pas de tel outil chez nous. A Santa Clara, pour savoir quel temps il fera, il faut écouter les sérénades d’Ibrahim Santos. »

« - Je vous laisserai jouer votre sérénade, à condition de me dire comment. Comment arrivez-vous à prévoir le temps ?
Vous me demandez donc de vous expliquer comment être un Homme ? Ce qui ne s’explique pas se révèle, Votre Excellence. Vous avez une âme. Écoutez-la, vous serez surpris de tout ce qu’elle peut vous faire entendre ? »

« Les derniers étonnements s’estompèrent peu à peu, laissant place à un silence de cathédrale. A cet instant, Ibrahim baissa l’archet, autorisant ses musiciens à jouer. Et la musique fut comme jamais.

Elle jaillit, et sonnait dans les oreilles comme un chant de pluie sur une terre aride. Elle pénétrait par des chemins invisibles, s’attaquait à ces êtres désespérés, les consolait, les secouait, les élevait vers les lumières. Les notes s’envolaient des instruments vers le ciel, et emportaient avec elles tous ceux qui voulaient voir le monde d’un peu plus haut.

Ibrahim gardait les yeux fermés, et sentait vivre la viole sous ses mains. Ses doigts glissaient le long des cordes, tenaient l’archet dans un équilibre et une harmonie tels qu’on avait du mal à déceler la limite entre l’homme et son instrument. »


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