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UKRAINE - Retour sur l’année 2015-2016

UKRAINE - Retour sur l’année 2015-2016

24 novembre 2015 - par Zenon Kowal 
 - © Flickr - bert kaufman
© Flickr - bert kaufman

Lorsque Petro Porochenko est élu président de l’Ukraine, au premier tour des élections, le 25 mai 2014, il arrive à la tête d’une Ukraine en bien mauvais état.


Mémorial de l’Holodomor à Kiev (Flickr - andrew j swan)
Maidan, l’esprit toujours présent... (Flickr - geoffrey froment)

Après les événements du Maïdan et l’annexion de la Crimée par la Russie en mars, un nouveau front s’est ouvert à l’Est, dans les régions de Donetsk et Louhansk. Ces régions fortement russifiées sont doublement fragiles. Tout d’abord, leur équilibre ethnique a été profondément bouleversé par la terrible famine artificielle de 1933 (le « Holodomor »), suite à laquelle elles ont été repeuplées par des immigrés venus en grande partie de Russie. Et ensuite, l’industrialisation poussée de ces régions a également créé un sous-prolétariat exploité sans scrupules par les oligarques et soumis au bon vouloir de ceux-ci. Tout changement, toute révolution, à l’instar de celle menée à Kyiv, risquaient de mettre en péril une « paix sociale » illusoire et précaire. De plus, ces régions devenues russophones se sont naturellement orientées vers les médias russes qui présentaient les événements du Maïdan comme un coup d’État fasciste contre Ianoukovitch, l’un des leurs, puisqu’il était issu de la région…

D’un point de vue militaire, l’été 2014 semble cependant insuffler quelque optimisme aux autorités ukrainiennes. Le formidable élan de la société civile et les nombreuses initiatives de volontariat ont permis de renouveler une armée qui avait progressivement été réduite à une peau de chagrin par des gouvernements successifs irresponsables ou inféodés à Moscou.
En fait, à l’époque de Ianoukovitch, les orientations stratégiques de l’Ukraine ne voyaient en la Russie qu’un allié et un partenaire stratégique… les frontières avec la Russie ne nécessitaient donc aucune défense…
Depuis juin 2014, les forces ukrainiennes reprennent des territoires et menacent des points stratégiques. Elles risquent d’enfoncer les lignes de communication entre les « Républiques populaires » autoproclamées de Donetsk (DNR) et Louhansk (LNR)…
La résilience ukrainienne prend par surprise les autorités moscovites qui espéraient une déstabilisation rapide, par contagion, du Sud et de l’Est de l’Ukraine. Dans le Sud, si la ville portuaire et industrielle de Marioupol tombe, la Russie obtient un accès via la terre vers la Crimée. Ce couloir terrestre est capital pour faciliter l’approvisionnement de la presqu’île et poursuivre la déstabilisation vers Odessa et puis la Moldavie… et puis la Transnistrie, isolant ainsi l’Ukraine de la mer Noire et l’enfermant dans un étau. Mais ce scénario, connu sous le nom de «  Novorossia » (Nouvelle Russie) ne parvient pas à décoller…
Voyant ses alliés des DNR/LNR menacés, la Russie s’implique de plus en plus dans le conflit en livrant un armement moderne et en encadrant les unités de ses alliés. Quarante-cinq mille soldats se retrouvent à proximité des frontières orientales de l’Ukraine.
À partir du 24 août, des unités de l’armée russe s’engagent directement sur le territoire ukrainien et repoussent les troupes ukrainiennes de différents points stratégiques (Ilovaïsk, Saour Mohyla).



Ukraine : un drone filme l'aéroport de Donetsk... par lemondefr


Minsk (05/09/2014)

Vu la tournure que prennent les événements et le risque d’une guerre ouverte de grande envergure, une réunion du « groupe de contact trilatéral » (Ukraine, Russie, OSCE) est organisée avec les «  séparatistes » à Minsk. Un protocole est signé le 5 septembre établissant un cessez-le-feu dans l’est de l’Ukraine.
Bien que du 5 au 9 septembre, la partie ukrainienne déclare avoir subi 89 attaques et perdu 4 soldats, elle reconnait le maintien global du cessez-le-feu. Le président Porochenko annonce le 10 septembre que 70 % des forces russes ont quitté le territoire ukrainien.
La signature de cet accord n’a pas permis à l’Ukraine de reprendre le contrôle des régions occupées, mais elle a au moins stabilisé la situation. Elle a donné à l’Ukraine la possibilité de regrouper ses forces, de les réorganiser tout en améliorant leur armement et en les renforçant avec de nouvelles unités. Elle a aussi montré le souhait des autorités ukrainiennes de rechercher une solution politique au conflit.
Le président Porochenko doit en effet faire face au défi que représentent les élections parlementaires prévues le 26 octobre.
Du côté russe, même si une offensive de grande envergure était techniquement possible, ce n’était pas le scénario envisagé… la contagion et la déstabilisation des régions voisines se voyaient opposer une résistance décidée qui n’avait sans doute pas été prévue par le Kremlin.
La vague de popularité sur laquelle surfait Poutine depuis l’annexion de la Crimée risquait de retomber, car il serait devenu de plus en plus difficile de camoufler les pertes russes aux yeux de la population… sans parler des conséquences négatives au niveau international.
Il serait ainsi plus facile de persuader les partenaires occidentaux de faire pression sur Porochenko pour qu’il accepte les conditions de paix proposées par Moscou. En effet, la Russie niait toujours toute implication directe dans le conflit.
Le protocole de Minsk a mis en œuvre des échanges de prisonniers. Au 9 septembre 2014, 638 des quelque 1200 prisonniers de guerre ukrainiens ont été libérés. Et, point capital pour l’Ukraine, Kyiv n’a pas reconnu la légitimité des « Républiques populaires » séparatistes autoproclamées de Donetsk et Louhansk, même si leur signature figure au bas du document. N’y figurent pas non plus les demandes russes visant au retrait des troupes ukrainiennes du Donbas ou d’une garantie quelconque quant à la fédéralisation de l’Ukraine.
Du côté russe, il était essentiel d’établir un dialogue politique auquel prennent part la DNR et la LNR et d’obtenir une emprise sur le futur de l’Ukraine ou, à tout le moins, de mettre en place un contexte empêchant un rétablissement complet de l’autorité ukrainienne ou tout développement en faveur d’une intégration européenne plus poussée. Avec le cessez-le-feu, le Kremlin démontrait une approche constructive et se dotait d’un argument important contre les partenaires occidentaux qui auraient souhaité l’adoption d’une ligue dure contre la Russie. Dès le 9 septembre, elle avançait d’ailleurs de nouveaux pions en demandant à l’UE et à l’Ukraine d’adopter des amendements à leur accord d’association, afin de rendre celui-ci compatible avec une adhésion éventuelle de l’Ukraine à l’Union douanière initiée par la Russie
Rien n’y fait, le 16 septembre, avec 355 voix pour et 26 abstentions, le Parlement ukrainien ratifie l’accord d’association avec l’UE. Simultanément, le Parlement de l’UE ratifie ce document de son côté avec 535 voix pour, 127 contre et 35 abstentions.


Les enquêteurs néerlandais sur les lieux du drame (Wikimedia Commons - ministère de la défense des Pays-Bas)

La catastrophe du MH17

Le 17 juillet 2014, l’avion MH17 de la Malaysian Airlines s’écrase dans la région de Donetsk, non loin de Torez, à une quarantaine de kilomètres de la frontière russe, descendu par un missile. La nouvelle se répand instantanément et choque profondément la communauté internationale.
Le vol MH17 transportait 283 passagers, majoritairement néerlandais, et 15 membres d’équipage et effectuait la liaison entre Amsterdam et Kuala Lumpur.
Différentes sources attribuent la responsabilité aux séparatistes soutenus par la Russie. Le gouvernement ukrainien déclare qu’un missile a été lancé par des « professionnels russes et coordonné de Russie ». De son côté, le gouvernement russe accuse l’Ukraine et affirme que celle-ci porte toute la responsabilité puisque «  l’incident a eu lieu dans l’espace aérien ukrainien ».
En juin 2015, le fabricant russe de missiles, la société « Almaz-Antey » annonce que le MH17 a été descendu par un missile 9M38M1 BUK-M1. À l’époque des faits, l’Ukraine ne disposait pas de missiles « BUK » dans la région de la catastrophe… Or, ce type de missile ne peut être lancé que par des équipes expérimentées, ce qui dépasse plus que vraisemblablement les capacités de combattants séparatistes.
Le « Dutch safety board » qui mène l’enquête dépose un rapport préliminaire le 9 septembre 2014, excluant une erreur humaine ou un problème technique. Un rapport définitif devrait être présenté en octobre 2015.
Le 9 juillet 2015, la Malaisie demande au Conseil de sécurité de l’ONU l’établissement d’un tribunal international qui serait habilité à juger de façon impartiale les responsables du tir du missile ayant causé la catastrophe. Cette demande est appuyée par les Pays-Bas dont provenait la majorité des victimes. L’ambassadeur de la Russie à l’ONU répond qu’une telle demande est « prématurée et contre-productive ». L’Australie et la Belgique appuient également la requête de la Malaisie. Le 29 juillet, lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie oppose son véto, contre 11 votes favorables et 3 abstentions… mais cette question est loin d’être réglée… affaire à suivre.

Le président Porochenko et son épouse (Flickr - service de presse PP)

Élections législatives

Après l’élection au 1er tour de Petro Porochenko à la présidence de l’Ukraine, une nouvelle épreuve s’annonçait avec les élections législatives anticipées du 26 octobre 2014, dans un pays confronté à une guerre larvée à ses frontières orientales.
Fait piquant, le «  Parti des régions », principal soutien de Ianoukovitch, est formellement dissout, mais réapparaît sous le nom de « bloc de l’opposition »… curieuse dénomination pour un parti à la veille d’une élection…
Près de 4,6 millions de citoyens ne peuvent participer aux élections vu l’occupation d’une partie du territoire. Il s’agit de 1,8 million d’habitants de la Crimée, de 49 % de la population de l’oblast de Louhansk.
Le comité électoral central annonce le soir même une participation de 52,4 % des électeurs et déclare, de concert avec les observateurs locaux et étrangers, que les élections se sont déroulées de façon libre et équitable.

Le Premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk (Flickr - Parlement européen PPE)

La répartition donne 22,14 % au « Front populaire » du Premier ministre Iatseniouk qui devance de peu le « Bloc de Petro Porochenko » avec 21,82 %. Un nouveau venu, le parti «  Entraide » (Samopomitch) présidé par le maire de Lviv, Andriy Sadovyi entre dans l’arène avec 10,97 %, suivi du « Bloc de l’opposition » avec 9,43 %, du Parti radical d’Oleh Liachko avec 7,44 % et du parti «  Patrie » (Batkivchtchyna) de Ioulia Timochenko avec 5,68 %. Le parti « Liberté » (Svovoda) d’Oleh Tiahnybok (droite patriotique) avec ses 4,71 % n’arrive pas à franchir la barre fatidique des 5 %... pas plus que le parti communiste avec 3,88 % et le parti d’extrême droite « Pravyi Sektor » avec 1,8 %.
Rappelons que le système électoral ukrainien est un système mixte avec des élections sur base des listes des partis pour la moitié des députés et un système majoritaire pour l’autre moitié. Vu l’occupation d’une partie du territoire, le vote n’a pas pu avoir lieu que dans 198 des 225 circonscriptions électorales.
Les 12 circonscriptions de la Crimée et les 15 circonscriptions des territoires occupés à l’Est n’ont pas pu y prendre part. Ce qui fait que 225 députés ont été élus sur base des listes et 197 sur base du système majoritaire, ce qui nous donne un nombre total de 422 députés au lieu des 450 que comptait le Parlement précédent.

Au sein du nouveau Parlement les sièges sont répartis comme suit :
143 - Bloc Porochenko
81 - Front populaire (Iatseniouk)
43 - Bloc de l’opposition (ex-parti des Régions)
31 - Samopomitch (Entraide)
22 - Groupe « Renouveau »
21 - Parti radical (Liachko)
19 - Batkivchtchyna (Patrie – Timochenko)
19 - Groupe « Volonté du peuple »
43 - Sans parti
(28 – Sièges vacants)

Le 27 novembre, une coalition est formée entre 5 partis de cette liste (les 1,2, 4, 6 et 7 de la liste) disposant de 295 sièges.
Selon les analystes, ces élections constituent un pas supplémentaire vers la consolidation de la démocratie, alors que l’Ukraine se trouve en état de guerre, et que les élections précédentes avaient été critiquées par les observateurs. Les partis pro-Européens et pro-occidentaux acquièrent une majorité claire. Les partis qui avaient mené la révolution orange en 2004-2005 ont pratiquement disparu. Une des conclusions marquantes est que les partis extrémistes, qu’ils soient de gauche ou de droite, n’ont pas le soutien des masses.
Pour la première fois, le parti communiste qui est aussi le seul parti à s’être clairement positionné contre l’intégration européenne est balayé du Parlement. Le 2 décembre, la nouvelle coalition confirme Arseniy Iatseniouk au poste de Premier ministre, avec un cabinet largement remanié. Trois ministres étrangers (lituanien, géorgien et américain) sont naturalisés et intègrent le gouvernement (développement économique et commerce, santé, finances). L’accusation souvent lancée de Moscou comme quoi les autorités ukrainiennes sont une « junte fasciste » paraît assez « fantaisiste » et même inconvenante vu ce qui précède.


L’viv, loin de la zone de conflit (Flickr - chat des balkans)

Convois humanitaires ?

Le 22 août 2014, sur ordre du président Poutine, un premier convoi « humanitaire » franchit la frontière de l’Ukraine à destination de Louhansk sans que les gardes-frontière ukrainiens puissent en vérifier le contenu. Le président Porochenko proteste et la chancelière Merkel se déclare préoccupée par la décision de Poutine.
Au 15 juillet 2015, plus de 30 convois du même type ont traversé les frontières de l’Ukraine sans pouvoir être contrôlés par la partie ukrainienne ou la Croix rouge. On rapporte que la fréquence et la densité des tirs en provenance des territoires occupés s’accroissent notablement après chaque arrivée de ces convois… humanitaires ? De ravitaillement ?
Selon le Général-Major Oleksandr Rozmaznin, chef adjoint du Centre principal de commandement de l’état-major des forces armées ukrainiennes (émission TV « Svoboda Slova » - «  Liberté de parole » du 27 juillet 2015) une concentration de 52.000 hommes des forces armées russes se trouve aux frontières de l’Ukraine. Ceci sans parler d’armes de gros calibre ou des forces aériennes. De plus, 12 bataillons (6 x 550 militaires) et 6 régiments tactiques (6 x 300), soit un total de 5.100 militaires russes, se trouvent sur le territoire de l’Ukraine. Selon l’opposant russe Boris Nemtsov, assassiné peu avant la publication de son rapport intitulé « Poutine-la guerre » en mai 2015, la Russie aurait dépensé près d’un milliard d’euros pour l’entretien de 6.000 volontaires de l’armée russe et près de 30.000 combattants locaux.
La présence des militaires russes a été confirmée par différentes sources, notamment l’OTAN, et des militaires russes sont régulièrement capturés par les forces ukrainiennes. La Russie déclare par contre qu’aucun militaire russe ne se trouve sur le territoire ukrainien. Quant à ceux qui ont été capturés, ils s’y trouvaient alors qu’ils étaient « en congé de l’armée » et qu’ils répondaient à leur conviction personnelle en aidant les séparatistes… ou bien parce qu’ils se sont « égarés » lors de manœuvres et pensaient être sur le territoire de la Russie
Rappelons que lors de l’invasion de la Crimée, la Russie a également prétendu qu’il n’y avait pas de forces russes engagées (soldats sans insignes distinctifs… appelés sarcastiquement les petits « bonhommes verts » par les Ukrainiens)… jusqu’à ce que le président Poutine finisse par admettre le 23 février 2015, dans la bande de lancement d’un documentaire intitulé « Chemin vers la Patrie » diffusé à la télévision, qu’il avait organisé la fuite de Ianoukovitch et ordonné l’annexion de la Crimée.


L’armée ukrainienne défend Slovyansk en juillet 2014 (Flickr - sasha maksymenko)

Drôle de guerre non déclarée que les autorités ukrainiennes appellent elles-mêmes «  ATO » (Opération Anti-Terroriste). Mais guerre qui continue à faire des victimes chaque jour parce que les tirs de calibres divers n’ont pas cessé.
L’Ukraine ne peut se permettre une guerre ouverte contre la Russie et une des armées les plus puissantes du monde avec des moyens 17 fois supérieurs et un budget de défense 15 fois plus important.
La seule possibilité pour l’Ukraine est de poursuivre sa politique de retour des territoires occupés par la voie pacifique en poursuivant l’application des Accords de Minsk : retrait de 15 km de part et d’autre de la ligne de démarcation des armements de calibre lourd (100 mm et plus), puis des autres armements et finalement démilitarisation des territoires.
Cette politique n’est réaliste qu’avec la solidarité des partenaires occidentaux et le maintien des sanctions économiques vis-à-vis de la Russie. Sinon, ce sera une guerre totale avec des milliers de victimes…
De son côté, la Russie poursuivra une guerre larvée et de déstabilisation contre un pays « frère » gouverné selon lui par une « junte fasciste » qui est arrivée au pouvoir par un coup d’État. Cette déstabilisation devrait empêcher le fonctionnement normal de l’État et présenter l’Ukraine comme un partenaire non fiable aux investissements potentiels. Un des scénarios envisagés par la Russie était, comme dans les oblasts de Donetsk et de Louhansk, de susciter d’autres « Républiques populaires » du Sud et de l’Est de l’Ukraine, à Kharkiv, Odessa, Zaporizja, Kirovohrad… La mobilisation et la réaction de la population ukrainiennes dans ces régions surprirent les auteurs de ce scénario et permirent d’éviter la théorie des dominos qui devait en découler.


Minsk II : Vladimir Poutine, Angela Merkel, François Hollande et Petro Porochenko (Flickr - KL Poggemann)

Minsk II

Après la relative accalmie des combats suite à la réunion de Minsk du 5 septembre 2014 et aux élections d’octobre 2014, les escarmouches s’accentuent sur toute la ligne du front.
Le 24 janvier 2015, la ville stratégique de Marioupol est la cible de missiles des forces séparatistes qui font une trentaine de victimes civiles. La prise de cette ville sidérurgique et portuaire située entre la frontière russe et la Crimée, sur la côte de la mer d’Azov, permettrait une liaison terrestre directe vers la Crimée… Les combats font également rage au centre d’un autre point stratégique entre Louhansk et Donetsk, la ville de Debaltseve.
Vu l’aggravation dramatique des événements, l’OSCE convoque une réunion extraordinaire de son Conseil Permanent.
Le 5 février, F. Hollande et A. Merkel se rendent à Kyiv pour discuter d’une solution du conflit avec P. Porochenko. Le lendemain, ils se rendent à Moscou pour y rencontrer V. Poutine et le 8 février, ils organisent une conférence téléphonique à quatre pour préparer une nouvelle rencontre à Minsk les 11 et 12 février, afin de mettre en œuvre les accords conclus en septembre 2014 qui prévoyaient notamment le retrait de l’armement lourd et un cessez-le-feu.
La réunion de crise à Minsk débouche sur un accord en 13 points dont les principaux portent sur un cessez-le-feu immédiat sous le contrôle de l’OSCE et le retrait mutuel de tout armement lourd. Ils prévoient également la mise en œuvre d’un processus politique en Ukraine avec l’adoption d’une législation sur la décentralisation, une autonomie locale provisoire et des élections locales dans les territoires occupés des oblasts de Donetsk et Louhansk. Ils visent aussi l’adoption d’une nouvelle Constitution par l’Ukraine dont la décentralisation du pouvoir serait un des éléments clés. Le tout est accompagné de mesures et de délais qui doivent être mis en œuvre par le « Groupe trilatéral de contact » (Ukraine, Russie, OSCE - en présence de responsables des séparatistes) et des groupes de travail chargés des différents aspects de l’accord.
Ce nouvel accord n’amène cependant qu’un arrêt partiel des hostilités. Pour les partenaires occidentaux et l’Ukraine, il devait empêcher l’escalade… donner la possibilité d’étendre en nombre la mission de l’OSCE (qui passera de 500 à 1000 personnes).
L’influence de la Russie est bien palpable. Son soutien aux séparatistes et ses manœuvres de déstabilisation ralentissent le vaste programme de réformes de l’Ukraine nécessaire au rapprochement avec l’UE. Cette situation risque à son tour de renforcer un sentiment de frustration de la population vis-à-vis des autorités. Prises dans un étau entre la guerre et l’obligation de mener à bien ses réformes systémiques, l’Ukraine et son économie dépendent du soutien financier international et des investissements étrangers. Ces derniers sont tributaires d’une lutte sans merci contre une corruption profondément ancrée dans tous les rouages d’un système qui doit être revu de fond en comble.
Selon certains experts, seule une décision claire de l’UE quant à une intégration de l’Ukraine avec toutes ses conséquences politiques et financières pourrait améliorer la position de l’Europe dans ses négociations avec la Russie. Sinon, Moscou dictera les prochains compromis à Minsk ou ailleurs et alors, le voisinage de l’UE devra faire face à un État faible et déliquescent avec toutes les conséquences sociales, économiques et sécuritaires qui en découlent.

Réformes

Dans le domaine des relations internationales, le 16 septembre 2014, une première historique a lieu pour le Parlement européen qui ratifie simultanément avec le Parlement ukrainien l’accord d’association UE-Ukraine. L’entrée en vigueur de la partie relative au libre-échange est retardée au 1er janvier 2016… La Russie demandait un délai encore plus long. Des négociations ont lieu entre l’UE, l’Ukraine et la Russie à ce sujet.
Le 29 décembre, le président Porochenko signe une loi supprimant le statut «  non-aligné » de l’Ukraine et déclare que d’ici 5 à 6 ans un référendum sur l’adhésion à l’OTAN devrait être organisé.
Dans le domaine énergétique, l’UE organise des réunions régulières avec l’Ukraine et la Russie. Parallèlement, l’Ukraine diversifie ses sources d’approvisionnement, réduit ses livraisons en provenance de Russie, augmente les prix du gaz sur le marché interne et s’attaque aux schémas de la corruption dans le secteur gazier.
De nombreuses lois sont adoptées dans des domaines tels que la réforme fondamentale de l’enseignement pour sortir celui-ci des ornières postsoviétiques, la lustration contre les agents de l’État compromis dans l’ancien système, la déstalinisation, l’ouverture des archives, la décentralisation du pays, le système social, les pensions, la corruption, la police, le système fiscal, pour ne citer que les plus importantes. Un nouveau projet de Constitution est en préparation et devrait être adopté en automne. L’Ukraine se prépare également à des élections régionales qui permettront de faire progresser la décentralisation.


Moyens de fortune pour protéger Slovyansk en juillet 2014 (Flickr - sasha maksymenko)

Coût humain

Les informations mentionnées ci-après sont communiquées pour donner un ordre de grandeur, mais sont à prendre avec réserve et à actualiser.
Selon le département de coordination des questions humanitaires de l’ONU et le ministère de la Politique sociale d’Ukraine, au 3 juin 2015, 1.325.200 auraient fui les régions touchées par la guerre à l’Est de l’Ukraine et trouvé refuge dans d’autres régions en Ukraine. Près de 500.00 personnes ont cherché asile dans les pays voisins, majoritairement en Russie.
Le 18 avril, un représentant du Haut-commissariat des Droits de l’homme à l’ONU a déclaré que la guerre dans l’est de l’Ukraine a causé la mort de 6.116 personnes et qu’il y a plus de 15.500 blessés.
Le lendemain, l’UNICEF précisait que depuis le début de l’année 2015, quelque 400 civils auraient trouvé la mort dans l’est de l’Ukraine.
Le 30 mars 2015, Ilia Iachine, proche de Boris Nemtsov a rendu publiques des informations du rapport «  Nemtsov » selon lesquelles on estimait à un minimum de 220 hommes les pertes de soldats russes en Ukraine.

Le double défi

Parallèlement à son programme de réformes, l’Ukraine doit faire face à une guerre imposée par la Russie qui annexe une partie du territoire (Crimée), soutient l’occupation d’une partie du territoire, le bassin du Donbas, poumon industriel du pays.
L’argent consacré à l’effort de guerre ne peut aller vers les réformes. Très souvent, la guerre révèle ce qu’il y a de meilleur et ce qu’il y a de pire dans une société.
Nous nous bornerons ici à mettre en évidence le meilleur :
 l’incroyable effort de la société civile qui a envoyé vers le front des détachements de volontaires pour pallier les déficiences d’une armée progressivement réduite à une peau de chagrin
 cet effort fut doublé d’un soutien moral, financier et matériel inestimable venant lui aussi de la société civile
 la révolution de la dignité, l’annexion de la Crimée par la Russie et l’ingérence dans l’Est du pays réveillèrent et consolidèrent une conscience et une solidarité nationale longtemps noyées par des slogans hérités d’une autre époque et perpétués par un système confisqué par une ploutocratie sans âme et n’offrant que de maigres perspectives d’avenir.

Ce double défi qui est de faire face à une agression extérieure et de mener des réformes fondamentales à l’intérieur, tout en s’arrachant à une corruption omniprésente et en restaurant des valeurs elles aussi fondamentales comme le respect de l’individu, de l’État de droit et des principes de la démocratie ne pourra se réaliser qu’avec le soutien de partenaires partageant les mêmes valeurs.


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Zenon KOWAL
Expert
z.kowal@walbru.fr

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