- Kiev
POLITIQUE - DIPLOMATIE
Visite du Président du Conseil Européen, Charles Michel, en Ukraine
Après le camouflet essuyé par le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, lors de sa visite à Moscou au début du mois de février, la décision de Charles Michel, Président du Conseil européen, de se rendre à Kyiv, dans le cadre d’une visite à trois pays du partenariat oriental – Géorgie, Moldavie, Ukraine – du 28 février au 3 mars, revêtait une importance toute particulière.
Pour l’Europe, l’Ukraine est et restera toujours un pays clé, tant pour des questions de sécurité que pour son potentiel économique et humain.
Z. Brzezinski, l’ancien conseiller à la sécurité nationale du Président Carter, écrivit en son temps que « sans l’Ukraine, la Russie n’est plus un empire ». Il n’est donc pas étonnant aujourd’hui, avec un Poutine rêvant de rétablir l’ancien espace soviétique, de voir à quel point la question de l’Ukraine et de sa réintégration est prioritaire pour la Russie.
Nous devons être conscients qu’il en sera ainsi aussi longtemps que les dirigeants de la Russie s’efforceront de reconstituer leur ancien empire. Les assassinats (ou tentatives) contre des personnalités russes « alternatives », comme Politkovskaia, Nemtsov ou Navalny, pour ne citer que les plus connus, ne sont pas rassurants sur ce point, l’espace politique et médiatique russe se fermant à toute position dissidente ou aux influences « étrangères ».
Nous souhaiterions sans doute que l’Ukraine progresse plus vite pour accéder au niveau des pays de l’UE ou, en tout cas, à celui des pays d’Europe centrale qui ont adhéré à l’UE. Mais nous ne pouvons comparer les anciens pays satellites de l’URSS (Pologne, Roumanie, Hongrie, etc.) avec les anciennes républiques de l’ex-URSS qui n’avaient aucune autonomie et étaient pleinement intégrées.
En Ukraine, la mise en place d’un système reposant sur l’état de droit et les valeurs promues par l’UE demande dès lors beaucoup plus de temps. De plus, la Russie s’oppose à ce système et à ces valeurs et pour elle, une Ukraine qui réussirait son défi serait un exemple dangereux et contagieux à sa propre frontière.
Pour ce faire, la Russie, via ses agents d’influence en Ukraine, profite des avantages offerts par un système démocratique. Il s’agit principalement de partis politiques enregistrés légalement en Ukraine et de l’important espace médiatique (surtout télévisuel) racheté par des oligarques proches de Moscou. Ces médias influencent à leur tour et principalement l’électorat des régions du Sud et de l’est de l’Ukraine qui ont le plus souffert du Holodomor (famine artificielle décrétée par Staline en 1933) et subi de larges transferts de population russe (pour repeupler ces régions après la famine) dans le cadre de l’industrialisation et de la collectivisation. Les habitants de ces régions ne les ont pratiquement jamais quittées pour voyager vers l’ouest du pays ou vers l’Europe. Leurs points de référence restent donc majoritairement la Russie qui se trouve à leur frontière et les chaines de télévision relayant les opinions de Moscou tout en perpétuant le mythe soviétique et l’utilisation de la langue russe… en un mot ce que la Russie appelle le « Russki Mir » (le Monde russe). C’est précisément dans ces régions (Donetsk et Louhansk) que la Russie soutient de façon militaire un mouvement séparatiste qu’elle a elle-même suscité.
L’Ukraine est confrontée à plusieurs défis de taille :
1/ la guerre – après l’annexion de la Crimée et l’occupation d’une partie du Donbass, elle doit maintenir son effort de guerre avec son lourd impact financier et humain, même si ces derniers temps la tension était quelque peu retombée sur la ligne de front. Rappelons que cette guerre a des conséquences tragiques avec plus de 13.000 morts, plus de 30.000 blessés, près d’un million et demi de personnes déplacées en interne et plus de 900.000 départs à l’étranger.
2/ des réformes fondamentales, notamment celles du système judiciaire, du système de santé et la « désoligarchisation » du pays.
3/ le Covid 19 - avec une réforme radicale, mais inachevée de son système médical, l’Ukraine a été très durement touchée par la pandémie. Le personnel médical a lui-même été décimé à cause du manque de moyens de protection adéquats. De plus, les statistiques ne semblent pas vraiment fiables vu l’absence quasi totale de tests de dépistage.
4/ une décrédibilisation continue des institutions étatiques (via les médias et certains partis politiques d’opposition) avec un impact négatif sur la population.
Vu ce qui précède, les investissements extérieurs ont considérablement baissé et le budget national est gravement affecté. L’Ukraine ne peut pas continuer à fonctionner sans les prêts octroyés par le FMI ou les divers financements de l’UE. Rappelons que ceux-ci sont soumis à des conditions liées au progrès des réformes et à la lutte contre la corruption et le fraude.
Après une première phase de « guerre chaude » avec l’invasion de la Crimée et d’une partie du Donbass qui ont amené l’UE, les États-Unis et d’autres partenaires internationaux à prendre toute une série de sanctions, la Russie a dû revenir à une méthode plus subtile, mais non moins efficace, à savoir la déstabilisation interne. Disposant de ressources considérables, elle a développé son réseau d’agents d’opinion (corruption et utilisation à son profit du système démocratique de l’Ukraine). Ceux-ci ont acquis une majorité des médias d’opinion qui influencent largement la population. Ils ont aussi créé des partis politiques influents qui ont un ancrage important dans le Sud et l’est du pays et dont certains sont représentés à la Rada (Parlement).
Tous ces éléments d’influence concourent à diviser la population et à y susciter des antagonismes, mais aussi à décrédibiliser l’appareil d’Etat.
Entre 2005 et 2018, selon une synthèse des statistiques, on relève globalement une chute de 43,8 % à 9,15 % dans le taux de confiance envers les institutions étatiques. Les statistiques sont par contre nettement plus encourageantes au niveau de la société civile (ONGs) dont les associations bénéficient d’un niveau de confiance qui passe de 38 % à 56,9 %, ce qui atteste leur vivacité et leur mobilisation.
Des crises découlant notamment du processus de réforme et du travail de sape des « agents d’influence » surgissent régulièrement en Ukraine. Elles obligent les autorités à consacrer du temps et des efforts considérables tant à l’interne qu’auprès des partenaires internationaux pour s’expliquer et trouver des solutions. Elles contribuent également à créer une image de pays à problème tendant à accréditer des informations qui évoquent régulièrement « la fatigue » des partenaires de l’Ukraine ou annonçant un « défaut » prochain de l’Ukraine… visant à affaiblir son soutien international.
Outre le processus ardu de réformes sans précédent, ce travail de sape permanent des agents d’influence est une donnée incontournable qu’il convient de toujours garder à l’esprit.
Plus que jamais, l’Ukraine a besoin du soutien sans faille (même conditionnel) de ses alliés, et d’un accompagnement ferme, mais amical si l’on veut minimiser les menaces qui découleraient d’une déstabilisation et de la reconstitution d’un « empire russe » aux portes de l’Europe.
Les messages convoyés par le Président Charles Michel lors de sa visite en Ukraine ont à cet égard été sans équivoque.
Lors de sa visite sur la ligne de séparation dans le Donbass, il a déclaré que « nous sommes sur le continent européen, en 2021, et une guerre y sévit. Il s’agit là d’une réalité honteuse. (…) Malheureusement, la Russie n’a pas répondu, par des mesures analogues, aux mesures prises par l’Ukraine pour mettre en œuvre les accords de Minsk. C’est la raison pour laquelle nos sanctions économiques à l’encontre de la Russie resteront en vigueur. La Russie est partie à ce conflit, elle n’est pas un médiateur. »
Il a également pris la parole lors du forum « Ukraine 30. Développement de la justice ». Il a rappelé que l’UE a « toujours été un partenaire et un soutien importants de l’Ukraine. (…) Pour soutenir le choix européen de l’Ukraine, l’UE lui a alloué plus d 16 milliards d’euros au cours des sept dernières années, notamment dans le contexte de la mise en œuvre de l’accord d’association – le soutien le plus important que l’UE ait apporté à un partenaire. (…) Des progrès substantiels ont été accomplis, mais il reste encore beaucoup à faire, en particulier en ce qui concerne l’état de droit, la réforme du système judiciaire et la lutte contre la corruption.
Il s’agit là de conditions importantes dans le cadre du programme d’assistance macrofinancière, approuvé récemment, et du processus de libéralisation du régime des visas.
Ces réformes sont complexes et difficiles. (…) L’UE n’a cessé de soutenir l’Ukraine sur la voie des réformes… et nous sommes prêts à continuer, en fournissant des conseils et un soutien financier et public. »
- Le président Zelensky aux cérémonies du 29e anniversaire de l’Indépendance de l’Ukraine
Avant son départ, lors de la conférence de presse commune avec le Président Zelensky, le Président Michel a déclaré : « il ne saurait être question d’Europe sans Ukraine. (…) L’UE est le partenaire le plus fiable de l’Ukraine. (…) Je tiens à réaffirmer que l’UE soutient de manière indéfectible l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues. (…) Un pays doit être libre de choisir sa propre voie sans ingérence étrangère. L’Ukraine a librement choisi de suivre la voie euro-atlantique. (…) Nous demeurons résolus à renforcer l’association politique et économique de l’Ukraine avec l’Union européenne. »
Dans un monde où les « infox » et la désinformation prennent de plus en plus de place et influencent les opinions, il est capital de pouvoir vérifier par soi-même les informations et, si possible, de rencontrer les partenaires. La visite du Président Michel à trois des pays du partenariat oriental lui a donné l’occasion de constater personnellement la situation sur place et de se forger sa propre opinion.