(... Cameroun)
On essaye d’autres angles, d’autres coins, d’autres places, comme si on cherchait toujours quelque chose, quelque chose qui vous ferait enfin dire : Je suis bien installé ! Quelque chose qui vous fera trouver le point de départ, du commencement, ce fil, ce fil que vous cherchez. Des jours, des semaines, on est toujours là, à chercher, chercher. Peut-être qu’au final n’est-on pas obligé de trouver ? Peut-être que les résidences se suivent, mais ne se ressemblent pas ? Peut-être que...
Un jour, votre regard s’attarde, et vous remarquez qu’il s’est souvent attardé, qu’il s’attarde toujours, là sur cette bouche de métro. Où que vous soyez, dans la pièce, la bouche de métro est là, élément le plus important, de votre vision. On peut voir des gens s’y engloutir, d’autres qui en ressortent, comme une bouche d’apparition, de disparition, une bouche qui avale, crache et recrache des personnes. Sur la plaque qui surmonte la grille, dans la nuit, on peut continuer à voir la publicité, comme un écran sur la ville. Derrière la plaque, presque au pied, un banc. Parfois, des gens, là, qui regardent, juste là assis à regarder. Parfois un sac à côté, comme une personne assise avec eux. Parfois avec des écouteurs, pour certains, une canette à la main pour d’autres, ou un reste de repas. Souvent, le banc reste vide, quand ils se lèvent, parfois aussi, une personne vient s’asseoir, ou deux, juste après, comme une passation, une permutation. Une femme fait du vélo, un cortège de police passe, en flèche, avec des sirènes, je me rappelle que c’est samedi et sans doute il y a une manifestation. Mais la bouche du métro, sereine, comme un point imperturbable dans le chaos.
On aurait aussi dit une une fenêtre, quelque chose d’ouvert, une sorte de porte qui conduirait à un ailleurs, un autre endroit, une autre réalité des choses, de la ville, du pays, de la cité en face, cette cité qui a vu et voit passer tant d’artistes, a été témoins de leurs angoisses, leurs peurs, leurs craintes, et aussi leur enthousiasme, leurs rires. Ce lieu qui a été peut-être pour certains un repère, un commencement, un début où ils n’ont eu aucun mal à trouver leur point de fixation, leur point de commencement.
Je commence à m’habituer à ce spectacle, ces gens qui sortent, entrent, ceux assis sur le banc, le banc vide, la lumière, la nuit, comme si c’était un point de fixation enfin trouvé, mais déjà à dépasser, comme une perpétuelle envie de se renouveler.
Puis ce soir, il y a ce flot, cette déversée de paroles qui envahit, résonne, gagne, vibre, jusqu’ici, à mon étage. Au départ, je me dis c’est sans doute des musiques qui s’élèvent, comme souvent, à certaines heures, la nuit. On se demande souvent si elles proviendraient d’un autre atelier, d’un bateau en face, ou alors si c’est un groupe de jeunes qui passe, se serait arrêté on ne sait pourquoi, là. Pourtant on ne dirait pas exactement de la musique, mais quelque chose de plus vrai dans la parole, comme un clash, un échange tendu, violent, mais rythmé, une harmonie dans la violence.
En m’approchant de la fenêtre, je ne vois ni trace de personnes, ni de fête, ni de groupe rassemblé, dans la rue. Il y a juste une personne, cette personne assise sur le bang, derrière la plaque. C’est une femme, une jeune femme vraisemblablement, sans qu’on ne puisse vraiment pouvoir le dire d’ici. Elle semble crier, demander à une personne de dégager, sortir de sa vie. Pourtant, elle le lui dit d’une telle manière qu’on croirait à un artiste, un chanteur dans une performance, à un certain pic de sa performance. C’est tellement intense, que je sors mon téléphone, essayer d’avoir, avoir quelque chose du moment. Ça monte. Peut-être est-elle en danger plutôt ? Des mouvements comme si elle se préparait à quelque chose, affronter quelque chose. Du quatrième, il faut presque 3 minutes, par les escaliers, ou 2 si l’ascenseur arrive vite. L’ascenseur n’arriva peut-être pas vite, je me lance : traverse la réception, passe les portes et le couloir d’entrée, appuie sur le bouton d’ouverture de la grille d’entrée, franchis la grille d’entrée.
Dehors, personne, pourtant il y a toujours des gens qui traînent là, dans la nuit, des gens qu’on ne voit pas forcément du quatrième. Une voiture passe, une moto disparaît au loin sur le pont. La lumière de la publicité éclaire la place. Le banc est vide : plus de paroles, rien. Où est-elle ? Que s’est-il passé ? Puis, un homme est là, au pied d’un arbre. Était-il toujours là ? Depuis tout à l’heure ? Peut-être est-ce à lui qu’ elle avait à faire ? Qu’est-ce que je fais ? S’approcher de lui ? Le héler ? J’entre dans le métro, je ne sais pas pourquoi, puis ressors. Finalement, je l’’interroge, il est toujours là.
Il semble qu’on la voit comme ça souvent, s’adresser à cette personne, invisible, il semble qu’on la voit très souvent à des heures comme ça. Il semble... le type me le dit, comme une chose des plus normales, comme s’il était normal qu’une personne se pointe comme ça chaque la nuit et gueule contre un interlocuteur invisible, puis disparaisse, sans même qu’on ne sache par où elle est partie. Il me le dit comme si ces apparitions et disparitions faisaient partie de la vie, du décor de la place.
Parfois, je croise un regard, où je ne sais pas, quelqu’un qui retourne juste la tête, ou qui regarde un oiseau, le ciel, un regard qui passe par là, croise le mien. Parfois, elle se dégage, la face serrée. Parfois, elle me fait un signe, de la main, ou de la tête. Parfois j’ai envie de leur crier, du haut de la fenêtre, de l’étage, que ce ne sont pas eux que je regarde, pas même la bouche de métro, c’est elle, c’est elle que je cherche. J’espère toujours la revoir, assise, là. Parfois, dans mon atelier, la nuit, je tends juste l’oreille, espérant entendre sa voix, sa voix qui s’élèverait de dehors. Cette voix qui semblait contenir des réponses, des réponses à de multiples questions.