Pendant les soixante ans de son existence, le cinéma du continent africain est demeuré relativement confidentiel et peu visible tant au plan national que sur la scène internationale. Certes, depuis les indépendances, le cinéma africain a progressé et même obtenu de nombreuses distinctions dans les Festivals internationaux de renom cependant ses percées vers le grand public ont été rares hormis quelques exceptions par exemple le film « Timbuktu » d’Abderrahmane SISSAKO (Mauritanie) sorti en 2015. L’inadéquation ou l’absence de circuits de diffusion conjuguée à une certaine déconnexion avec les attentes de son public de prédilection peut expliquer la crise de croissance que le cinéma africain a connue et le fait qu’il n’avait pas su attirer des financements privés et publics conséquents.
Cependant, depuis quelques années, on assiste à un revirement de situation dans la mesure où le cinéma africain suscite un intérêt croissant aussi bien auprès des professionnels et des pouvoirs publics africains que des investisseurs étrangers. En effet, ce secteur profite de la dynamique démographique sur le continent, des mutations technologiques, de l’émergence d’une classe moyenne, de la soif du public africain pour des images qui leur ressemblent.
Le numérique au secours du cinéma africain
La révolution numérique a non seulement conduit à une certaine démocratisation du cinéma africain en faisant baisser les couts de production, mais elle a également ouvert de nouveaux débouchés pour la diffusion des films africains à travers les plateformes de streaming et les bouquets de chaînes payantes, qui pour la plupart sont gérées par des investisseurs étrangers qui ont décidé d’aller à la conquête du marché audiovisuel africain, attirés par les promesses d’un secteur considéré comme étant hautement stratégique et lucratif. S’agissant des chaînes payantes, selon les estimations révélées dans un article paru dans Allafrica en date du 25 juillet 2019, ce marché pèserait au moins 5 milliards d’euros (ce qui représente le chiffre d’affaires cumulé des deux groupes concurrents STARTIME groupe chinois et CANAL + Vivendi filiale du groupe français Bolloré). Ledit marché s’appuierait sur environ 30 millions d’abonnés à la télévision payante en Afrique (prévisions 2020). Or, quand on sait que les diffuseurs privés ne font pas de sentiments et privilégient la rentabilité, on comprend que le cinéma africain offre des perspectives alléchantes qui devraient en retour redynamiser la création cinématographique africaine.
Quant aux marchés des plateformes de streaming, il actuellement dominé par une société américaine dénommée NETFLIX. En effet avec 139 millions d’abonnés répartis sur 190 pays en 2018, Netflix est la plateforme de streaming la plus solidement implantée sur le plan international. Aussi, supplante-t-elle largement ses deux principaux concurrents que sont le groupe africain Iroko-tv, et Amazon prime Vidéos. La bonne nouvelle c’est que cette importante plateforme s’intéresse à l’Afrique. En effet, depuis une dizaine d’années, les catalogues de NETFLIX ne cessent de s’étoffer en contenus (films et séries) du continent facilitant ainsi l’accès direct à un public aussi bien continental qu’international. Ainsi grâce notamment à la puissance de diffusion internationale que représente cette plateforme et à sa présence sur le continent, le cinéma et les séries africains pourront élargir leur audience et connaitre un essor sans précédent. Cette ouverture du marché de l’image africaine à l’international a donné lieu à de belles retombées économiques. En effet, en acquérant en 2018, pour 3 millions de dollars le film nigérian intitulé : « Lionheart » de Geneviève Nnaji, Netflix a prouvé que le marché « reconnaissait » le cinéma africain. Ces dynamiques d’acquisition et de production de films et de séries africaines, toutes structures confondues, confirment, s’il en était besoin, de l’embellie, voire du renouveau, que connait le cinéma africain.
Toutefois pour alimenter ces chaînes payantes et ces plateformes, il convient de disposer de contenus et de proposer des œuvres variées et originales destinées à un large public. Or bien qu’en augmentation constante sur le plan tant quantitatif et que qualitatif, la production audiovisuelle et cinématographique en Afrique (estimée à environ 2 000 films par an) reste faible au regard d’une population de près de 1,2 milliard d’habitants de surcroit à majorité jeune, laissant ainsi une vaste marge de progression. Il est à noter qu’un important patrimoine cinématographique numérisé, conservé dans des cinémathèques des pays du Nord comme du Sud est désormais disponible. « Cet autre gisement » de films est de plus en plus opérationnel et prêt à être présenté au public grâce aux soutiens notamment de la Film Foundation de Martin Scorsese et de l’Institut français qui ont investis dans la restauration et la numérisation de films historiques africains dont certains sont des chefs d’œuvres qui méritent d’être connus et reconnus par le grand public.
Vers l’autonomisation et la féminisation du cinéma africain
Outre le financement privé/public du cinéma africain qui s’amorce, le renouveau du cinéma africain est notamment marqué par une féminisation des professionnels du cinéma comme illustré par les récentes distinctions de Mati DIOP franco-sénégalaise qui a obtenu le Grand Prix au Festival de Cannes 2019 pour son film « Atlantique », ou « Rafiki » de la réalisatrice kenyane Wanuri KAKIU qui a été présenté à Cannes en 2018 et enfin la réalisatrice Zambienne Rungano NYONI du film « I am not a witch ». Tous ces films ont connu un certain succès. Dans le paysage audiovisuel et cinématographique africain, on assiste aussi à un renouvellement générationnel et une africanisation des producteurs ou des critiques cinéma qui sont des acteurs clés du développement du cinéma.
Un observatoire du cinéma et de l’audiovisuel africain
Bien que le cinéma africain semble sorti de sa longue crise existentielle et financière et qu’il renoue avec le succès en se rentabilisant davantage, on constate néanmoins que dans les pays africains, l’accompagnement au niveau des pouvoirs publics n’est pas opérationnel dans tous les pays, même si plusieurs d’entre eux se sont dotés de mécanismes nationaux d’appuis à la production au bénéfice des cinéastes et du public. Néanmoins pour assurer un développement durable du secteur, une plus grande intervention des États africains s’avère fondamentale. Cet accompagnement et cette implication sont d’autant plus importants que ce sont des acteurs étrangers qui dominent et contrôlent encore le marché audiovisuel africain. Il est donc devenu urgent que les pays concernés prennent une part plus active dans cette dynamique afin de consolider le rôle économique des professionnels nationaux et continentaux et de garantir le respect de leurs intérêts sur toute la chaîne de production, de distribution et de mise en marché des films et séries. Sans une telle politique publique volontariste et cohérente, la stricte recherche de profits ne pourrait à elle seule garantir la prise en compte des identités culturelles et des visions africaines.
Or, pour encourager et faciliter la formulation de politiques publiques pouvant favoriser l’essor de la production et de la promotion du cinéma africain, il est crucial que les décideurs africains disposent d’informations et de données chiffrées leur permettant de mesurer, de la manière la plus fiable possible, l’impact économique et social du secteur, aussi bien à l’échelle nationale que continentale. Aussi, afin d’assurer un développement harmonieux tout en ayant un droit de regard sur la manne financière générée par ce secteur, mais aussi de pouvoir informer les décideurs, il paraît important de disposer d’un observatoire du cinéma et de l’audiovisuel africain. Tout le monde en parle de nos jours, mais il est plus que temps de mettre en place un tel dispositif afin d’analyser les tendances du cinéma africain et d’aider à la prise de décision aussi bien politique que professionnelle.
Compte tenu du poids financier généré par le marché de l’image en Afrique, qui est loin d’avoir épuisé toutes ses potentialités économiques, de la position dominante des intervenants étrangers, des enjeux de souveraineté très sensibles soulevés par ce secteur, il est évident qu’il ne peut être abandonné et livré au bon vouloir de structures dont le profit est l’objectif principal. Aussi, dans un tel contexte et afin d’assurer un développement basé sur un partenariat respectueux des intérêts mutuels, il est important de disposer d’un outil susceptible de permettre aux états et aux professionnels d’être au fait des évolutions économiques et socioculturelles, de déchiffrer les enjeux et de convaincre les gouvernements à s’engager dans ce domaine, au vu des performances en termes d’employabilité, de retombées touristiques, d’image de marque, de taux national de production. Pour toutes ces raisons, la création d’un observatoire du cinéma et de l’audiovisuel africain parait indispensable.