POLITIQUE
- Quelle énergie ! (Flickr - MM)
L’année 2015 marque plusieurs anniversaires, comme les Vietnamiens aiment bien les souligner : 50e anniversaire du débarquement des premiers marines de l’armée étasunienne, ce qui lançait plus « officiellement » une guerre déjà amorcée depuis plusieurs années ; 40e anniversaire de la fin de cette même guerre du Vietnam (Deuxième guerre d’Indochine ou guerre américaine selon les points de vue) ; et par la même occasion, le 20e anniversaire de la normalisation des relations diplomatiques survenue en 1995 entre les États-Unis et le Vietnam. Pour cette occasion, en juillet 2015, le Secrétaire général du Parti communiste vietnamien, Nguyen Phu Trong, s’est rendu en visite officielle à la Maison-Blanche – reçu comme un chef de gouvernement, fait inusité —, avec comme préoccupation principale des discussions au sujet des interventions de la Chine en mer d’Asie du Sud-Est, appelée mer de l’Est par les Vietnamiens, mer du Sud par les Chinois, et mer de Chine méridionale par les Européens et Nord-Américains en général. Moins visible, mais s’inscrivant dans cette dynamique, un représentant du ministère de la Défense de la France était aussi en visite de travail au Vietnam au même moment. S’agissant de la France, en 2013 a été souligné le 40e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre le Vietnam et la France. Après la signature d’une « Déclaration conjointe sur le partenariat stratégique entre la France et le Vietnam », l’année croisée France – Vietnam s’est amorcée par la France au Vietnam (2013), poursuivie par le Vietnam en France pendant toute l’année 2014.
Alors que 2014 a été marquée par une intensification de la confrontation entre le Vietnam et la Chine dans la mer d’Asie du Sud-Est, 2015 a vu davantage de jeux de positionnements des différents partis : poursuite de la construction d’iles artificielles par la Chine (5 hectares en janvier 2014, plus de 800 hectares en juin 2015), rejointe par le Vietnam qui a lui-même amorcé de telles constructions, comme l’a dévoilé en mai une enquête du Center for Strategic and International Studies (basé à Washington) après l’étude d’images satellites ; magasinage pour l’acquisition de chasseurs auprès de constructeurs d’armes européens et étasuniens par le Vietnam pour améliorer sa défense maritime ; rencontres de travail entre les ministères de la Défense vietnamien et français (en juillet). De plus, en octobre 2014, un embargo de plus de quarante ans sur les ventes d’armes avait déjà été partiellement levé par les États-Unis pour permettre au Vietnam d’acquérir des bateaux de patrouille armés (étasuniens). Un meilleur bilan sur le plan des droits de l’homme était toutefois souhaité de la part des diplomates étasuniens pour que l’embargo soit levé complètement. Rappelons aussi que le Tribunal d’Arbitrage de La Haye (Pays-Bas) a commencé ses audiences en juillet 2015 au sujet d’un litige territorial spécifique entre les Philippines et la Chine, audiences auxquelles la Chine refuse de participer. Une décision dans ce dossier, quelle qu’elle soit, aura certainement des conséquences sur toutes les revendications dans la mer d’Asie du Sud-Est, et plus directement sur les relations entre le Vietnam et la Chine.
S’agissant de politique intérieure, la controverse soulevée par la crispation de l’Assemblée nationale dans le processus de révision de la Constitution de 1992 – une consultation populaire en 2014 avait amassé plus de 26 millions de commentaires et suggestions, en particulier concernant la réforme du système politique et celle du système foncier, et avait été laissée de côté – ne s’est pas éteinte en 2015, atteignant même les pays voisins. En juin 2015, l’organisme Human Right Watch s’est vu imposer un embargo par les autorités… thaïlandaises (!) concernant le lancement qui devait avoir lieu à Bangkok d’un rapport plutôt accablant pour le Vietnam sur le plan des droits humains. Dans cette foulée, un processus de révision complète de la loi sur les religions a été amorcé en 2015. En janvier 2015, une nouvelle loi sur l’immigration est aussi entrée en vigueur, visant à établir des politiques d’entrées et de sorties du pays plus claires entre autres pour ceux qui font des affaires au Vietnam. Enfin, sur le plan politique, c’est plutôt vers 2016 qu’il faut regarder : se tiendra alors le 12e Congrès national du Parti communiste vietnamien où seront élus non seulement le Secrétaire général, mais aussi au moins la moitié des 16 membres du politburo, l’organe de décision suprême.
- Exportations... le port de Ho Chi Minh Ville (Wikimedia Commons - Diego Delso)
ÉCONOMIE
L’ouverture économique du pays se poursuit après l’adhésion à l’OMC en 2006 (effective en janvier 2007) et la signature, toujours en 2006, d’un accord avec les États-Unis permettant au Vietnam de bénéficier de la clause de la nation la plus favorisée. Cela s’est traduit, entre 2006 et 2012 (sauf pour la catastrophique année 2009, -9 %), par une augmentation annuelle de plus de 20 % du commerce total du pays (surtout grâce aux exportations, celles-ci ayant gagné entre 26 et 29 % par an entre 2010 et 2012). Mais la compétitivité du pays souffre des dévaluations des monnaies chez ses concurrents immédiats, l’Indonésie et la Malaisie. Le gouvernement a ainsi pris la décision de dévaluer de nouveau le dong (après une dévaluation en juin 2014), deux fois plutôt qu’une (en janvier et en mai), pour un total de 2 % en 2015 [1]. Avec sa participation aux négociations en vue de l’Accord de partenariat transpacifique (TPP), le Vietnam espère profiter d’un libre-échange avec ses onze autres partenaires. Une réunion des « représentants du PTP » a eu lieu à Hanoï en septembre 2014. Jusqu’en mai 2015, sept autres rencontres n’ont pas permis de finaliser l’accord qu’on prévoyait pourtant signer début 2015. Selon certains observateurs, il semblerait que les négociations aient été simplement rompues, les discours (sur les avantages attendus) et les réalités (nombreux impacts négatifs) ne se rejoignant pas toujours.
- L’économie de la soie (Flickr - HRAMIREZ)
Les relations maintenant cordiales entre les États-Unis et le Vietnam se traduisent sur le plan économique. Ce dernier demeure le plus grand exportateur vers les États-Unis en Asie du Sud-Est [2]. Au total, en 2014, le Vietnam occupait le 34e rang des pays exportateurs et le 32e rang au chapitre des importations dans le monde, une légère progression au cours des dernières années (CIA World Factbook). Pour les six premiers mois de 2015, les États-Unis occupaient toujours le 1er rang des acheteurs de produits vietnamiens (15,7 milliards de dollars EU sur un total de 77,7 milliards, soit 20,2 %), devant l’Union européenne (28 pays ; 14,8 milliards), l’ASEAN (9,3 milliards), la Chine (7,7 milliards) et le Japon (6,7 milliards) [3]. Le Vietnam importait principalement de Chine (24,4 milliards de dollars EU sur un total de 81,5 milliards, soit 29,9 %, en hausse de 4 points de pourcentage par rapport à 2013, qui avait déjà vu une hausse de 2 % l’année d’avant), de Corée du Sud (13,8 milliards aussi en très forte hausse), de l’ASEAN (12,0 milliards) et du Japon (7,3 milliards) (GSO, 2015). Entamées en 2012, les négociations avec l’Union européenne (UE) pour la signature d’un traité de libre-échange se sont poursuivies en 2013 et 2014. Les parties ont fini par buter sur la question des droits humains au Vietnam. En avril 2015, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme a été soutenue par la médiatrice européenne, soutenant que la question des droits de l’homme au Vietnam devait être mieux évaluée par l’UE avant qu’un accord de libre-échange puisse intervenir [4]. Un accord de principe a finalement été conclu au début août 2015.
Bref, l’économie du pays se stabilise ; le taux d’inflation s’est à peu près complètement résorbé depuis 2009 (19 % en 2011, 9 % en 2012, 6,8 % en 2013) (CIA World factbook). À 5,45 % en décembre 2014, il n’était plus qu’à 0,9 % en juillet 2015 [5]. Enfin, le PIB agricole (agriculture plus forêts et pêcheries) a continué de croitre : en 2014, ses 713 trillions de dongs représentaient quatre fois la valeur enregistrée en 2005. Dans l’ensemble toutefois, le poids de l’agriculture est resté relativement stable, entre 18 et 20 % du PIB, un poids qui suit une tendance légère, mais constante à la baisse depuis 2011 (20,1 % en 2011, 18,1 % en 2014), contre 39 % à l’industrie et 43,4 % au secteur des services (estimations de 2014). La main-d’œuvre agricole continue cependant d’occuper 48 % des travailleurs (2012) alors que les inégalités sont maintenant en croissance (croissance des revenus des riches et diminution de celui des pauvres), en grande partie en raison de la corruption rampante [6] .
D’une manière anecdotique, on peut noter qu’en juin 2015, l’Assemblée nationale a adopté une résolution relative à la construction du nouvel aéroport Long Thanh à 40 kilomètres au nord-est d’Ho Chi Minh-ville, dans la province de Dong Nai, aéroport destiné à désengorger celui de Tan Son Nhat, qui lui devrait atteindre sa capacité maximale dès 2017, et devenir à terme (objectif à long terme) le plus gros aéroport d’Asie du Sud-Est. Initialement prévus pour démarrer en 2015, les travaux de la première phase se termineraient en 2025. Le gouvernement japonais s’est déjà engagé à fournir de l’aide au développement en vue de ce projet.
Sur le plan énergétique, depuis 2010, le pays est redevenu un importateur net de pétrole, tendance qui se poursuit en 2014 (figure 1). La raison est simple : d’un côté, la consommation quotidienne est en croissance rapide (multiplication par six depuis 1990), croissance qui n’a connu aucun fléchissement depuis le milieu des années 2000, alors que de l’autre, la production a diminué significativement depuis le pic atteint en 2005. La courte hausse de production, tous les ans depuis 2012, n’a pas suffi à compenser la hausse continue de la consommation.
CULTURE ET SOCIÉTÉ
- L’avenir droit dans les yeux (Flickr - neil moralee)
En 2009, un quatrième recensement a été réalisé depuis la réunification officielle du pays en 1976. Les autres ont été tenus en 1979 (peu fiable), 1989 et 1999. Parmi les tendances les plus frappantes, celle de la diminution drastique de la croissance de population au cours des 20 dernières années se poursuit, alors que le nombre d’enfants a considérablement diminué en proportion de la population totale (figure 2) et que le nombre d’enfants par femme en âge de procréer est passé sous la barre du seuil de renouvellement (2,1) en s’établissant à 2,0 enfants par femme en moyenne ; ce taux était de 2,3 en 1999 ; en 2014, les estimations établissent ce taux à 1,85 enfant par femme. Avec 90,7 millions d’habitants estimés à la fin de 2014 [7] le taux de croissance annuel de la population navigue entre 1,05 % et 1,08 % depuis le recensement d’avril 2009 (85,8 millions de personnes) (Statistical Yearbook, 2014), ce qui reste tout de même une croissance élevée si l’on replace cette tendance dans les temps longs. Un tiers de cette population habite maintenant dans les villes, une légère hausse depuis les 29,8 % du recensement de 2009 ; ces chiffres traduisent tout de même imparfaitement la géographie urbaine du pays, alors que, d’une part, le taux d’urbanisation se trouve pleinement sous la barre des 30 % dans toutes les régions du pays, atteignant seulement 16,0 % dans les montagnes et piémonts du nord, et d’autre part, qu’il dépasse les 57 % dans la région Sud-Est, au cœur de laquelle se trouve Ho Chi Minh-ville (GSO Vietnam).
Pour souligner le 120e anniversaire de fondation de la ville de Dalat, le ministre de la Culture, des Sports, du Tourisme et le Comité populaire de la province de Lam Dong ont lancé l’Année nationale du tourisme Tây Nguyen – Dalat 2014. Dans la même veine, Dalat (ASEAN Certificates of Recognition, dans la catégorie « air propre – petites villes ») et Huê (Environmentally sustainable cities – ESC), ont finalement été honorées comme villes vertes en octobre 2014, lors de la 15e réunion des ministres de l’Environnement des pays de l’ASEAN. Ha Long (2008) et Da Nang (2011) avaient déjà reçu cet honneur.
- Massage matinal (Flickr - chris golberg)
À partir de la fin juillet 2015, l’Institut Goethe de Hanoï a dévoilé l’exposition « Désorientation : un petit Paris à Hanoi » de Matthias Meyer, dans laquelle ce dernier compare l’architecture des deux villes à travers la photographie. Au même moment, des professeurs et des lycéens de Da Nang (troisième ville du pays) présentaient un projet au 2e Forum mondial de la langue française à Liège (Belgique) : l’initiative vise à développer l’information touristique disponible (vidéos, dépliants, album photo, etc.) pour faire de Da Nang une destination francophone ; cela a été très positivement souligné par Philippe Suinen, commissaire général du Forum mondial de la langue française [8].
Enfin, soulignons en juillet 2015 le décès du biographe et journaliste Jean Lacouture, auteur de plusieurs dizaines d’ouvrages et qui a entre autres signé Le Vietnam entre deux paix (Seuil, 1965), Hô Chi Minh (Seuil, 1967). Il avait été présent à la signature de l’accord historique entre Jean Sainteny et Hô Chi Minh en 1946 et croyait vraiment alors que la paix avait une réelle chance de s’imposer. L’histoire, ou plutôt d’autres hommes en ont décidé autrement.